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Nos Lecteurs ont la Parole

Retour vers le futur : l’histoire est le sanctuaire de la mémoire

Inspiré du film « Si tu veux construire une machine à remonter le temps en politique, pourquoi ne pas le faire avec un certain style ? »

L’histoire est le sanctuaire de la mémoire, qu’il faudrait visiter fréquemment pour chercher à comprendre le présent et édifier sur ses ruines les fresques de l’avenir.

Le roi Justanid ordonna la construction de la forteresse d’Alamut quand, durant une partie de chasse, un aigle se posa sur un promontoire rocheux dont l’avantage stratégique ne lui avait pas échappé.

Lorsque Hassan as-Sabbah, le vieil homme de la montagne, probablement surnommé ainsi à la suite du récit de Marco Polo, le fondateur du chiisme ismaélien nizârite mais aussi de l’ordre des assassins, prit possession de la forteresse, avec l’intention de manipuler la dévotion religieuse et de soustraire la région à la tutelle sunnite afin d’étendre la doctrine ismaélienne au territoire, il utilisa les plus subtils des outils : la religion, la violence et l’hypnose.

Tout d’abord, il créa un centre de recherche légendaire pour ses jardins ensorcelants, sa bibliothèque et ses laboratoires où philosophes, scientifiques et théologiens pouvaient débattre en toute liberté intellectuelle. Une des grandes pertes intellectuelles de l’ancien monde est la destruction de la bibliothèque par l’invasion mongole. Mais ce que le monde moderne a retenu, c’est bien sa manipulation de l’âme humaine à travers l’hypnose droguée, la promesse du paradis et l’obédience religieuse, les outils nécessaires qui allaient l’aider à persuader des jeunes fanatisés par ses promesses paradisiaques que le meilleur moyen d’entrer au paradis était par l’acte du meurtre et le portail du martyre. La violence était reconnue comme un dogme divin. Le culte de la mort comme une persuasion divinatrice. Mais il avait surtout inculqué à ses dévoués la notion de la guerre permanente pour achever l’objectif, dont l’implication réverbère encore de nos jours.

Quand Rachid al-Din Sinane, le « nouveau » vieil homme de la montagne, est devenu l’héritier de Hassan as-Sabbah et dirigeant des assassins, établis maintenant dans la forteresse de Masyaf, dans le nord de la Syrie, il avait à faire face à deux ennemis, les croisés et leur ennemi Saladin.

Saladin, plus concerné par Sinane que par Richard Cœur de Lion, avait mis le siège à la citadelle protégeant les assassins, alors que ces derniers considéraient Saladin comme une plus grande menace que les croisés. Celui-ci, obsédé par une vision nocturne réelle ou fictive de Sinane, à la suite de deux tentatives d’assassinat, malgré la protection de ses gardes, allait lever le siège et faire un accord lui permettant de continuer sa campagne contre les croisés. L’éventail des victimes de l’ordre des assassins avait pris une dimension plus exhaustive, accumulant des dirigeants aussi bien musulmans que chrétiens, constituant une menace permanente envers les Fatimides, les Abbassides, l’autorité seldjoukide, mais aussi bien envers les croisés et le roi de Jérusalem. Une longue période cauchemardesque de près de 300 ans, troublée par la terreur et l’effroi, allait s’étendre sur la région, résultant dans un démantèlement de l’équilibre des pouvoirs, permettant l’invasion mongole du Levant sans une résistance efficace. De cet état de guerre permanente, une nouvelle ère venait de naître.

L’état de guerre permanente

En 2011, James Joyner a écrit un article dans le magazine The Atlantic dont le titre portait toute la mesure du dilemme : « How perpetual war became a US ideology ? » (Comment la guerre permanente est devenue une idéologie américaine). Une dominance idéologique des néoconservateurs avait entrevu l’urgence de délivrer l’idéal américain au reste du monde, à la suite de la faillite du communisme, attribuée à une nécessité affective, construite durant la période chargée émotionnellement de la guerre froide.

Actuellement, on ressent dans la politique internationale des États-Unis le sentiment d’une déception, mais aussi une perte d’intérêt dans cette perspective. Ni Donald Trump ni Joe Biden n’ont pu récupérer encore les pertes autoritaires contingentes au nihilisme moral dont s’imprègne l’état de guerre permanente.

Alors que le nihilisme moral, supporté par une idéologie de guerre perpétuelle, se manifeste sous toutes les formes de la diffusion, de l’autocratie, des slogans et du fascisme partisan, la légitimité libérale, démocratique est en perte de vitesse. Alexis de Tocqueville avait déjà écrit dans son essai De la démocratie en Amérique la pensée suivante : « Il n’y a pas de longue guerre qui dans un pays démocratique ne mette en grand hasard la liberté. Ce n’est pas qu’il faille craindre précisément d’y voir après chaque victoire les généraux vainqueurs s’emparer par la force du souverain pouvoir, à la manière de Sylla et de César. Le péril est d’une autre sorte. La guerre ne livre pas toujours les peuples démocratiques au gouvernement militaire ; mais elle ne peut manquer d’accroître immensément, chez ces peuples, les attributions du gouvernement civil ; elle centralise presque forcément dans les mains de celui-ci la direction de tous les hommes et l’usage de toutes choses. Si elle ne conduit pas tout à coup au despotisme par la violence, elle y amène doucement par les habitudes. Tous ceux qui cherchent à détruire la liberté dans le sein d’une nation démocratique doivent savoir que le plus sûr et le plus court moyen d’y parvenir est la guerre. C’est là le premier axiome de la science. »

Le drame des pays arabes, c’est d’avoir accepté pour une longue période de suivre la pente idéologique des pays de l’axe de la résistance, dont cet état de guerre permanente avait déjà pratiquement dilué l’entendement, érodé le cœur et dépossédé l’âme de leur nation. La nécessité d’un changement s’était ressentie durant la période agitée du « printemps arabe », dont la faillite n’était que le reflet de leur apathie complice. Si proche de la débilité coupable, elle dégrade les relations humaines et camoufle la faillite collective. Dans son fameux roman très personnel L’idiot, Dostoïevski relate le comportement d’un homme pris dans la tourmente sociale, manipulé comme un idiot par des intrigues aux multiples ricochets, mais dont l’attitude morale l’avait obligé à vouloir sauver une âme en peine et à se résigner à une condition diminutive, accentuée à la suite d’une crise d’épilepsie mentalement perturbatrice, suggérant à sa grande déception que l’asthénie sociale avait tourné les convictions sacrées d’un homme en dérision. Le mouvement des pays arabes du golfe Persique vers une intégration universelle reflète la nécessite du changement.

Le monstre de l’idiotisme est difficile à déraciner, car il aura traversé les champs des idéologies, des religions, des autocraties, pimentés par la corruption et l’orgueil. Deux positions antagonistes apparaissent au début de cette année. Celle du Hezbollah, qui préconise un retour à la culture d’Alamut, et celle de la France, qui appelle à rompre avec certains dirigeants libanais. Un jeu de marionnettes, adopté déjà sans remords par des candidats en herbe, qui diminue la valeur de la présidence, affectée antérieurement par des décisions insipides et le choix de présidents incapables d’autonomie. Une situation qui rappelle la pénitence de Canossa, quand le roi des Romains Henri IV, excommunié par le pape Grégoire VII, vient s’agenouiller avec sa famille dans la neige pour que le pape accepte de lever la terrible condamnation.

La division du butin entre un candidat consensuel et un candidat souverainiste fausse déjà la perspective électorale et induit l’esprit à analyser la situation dans un discours mythique, qui semble être le seul cadre de négociation dont le pays soit capable. Le seul candidat qui devrait être considéré est celui suffisamment compétent dans la reconstruction du pays, or nul n’a encore avancé un plan susceptible de restaurer la confiance et la sécurité. Peut-être que nul n’en est capable ou décidé. Le mépris du discours de l’altérité concurrente ne peut aboutir à un résultat. On ne peut certes retourner à Alamut ou à Masyaf, mais devant la misérable alternative de guerre permanente, la question reste de savoir comment faire du chant de la liberté l’unique et unanime cri de guerre.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, «L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Inspiré du film « Si tu veux construire une machine à remonter le temps en politique, pourquoi ne pas le faire avec un certain style ? » L’histoire est le sanctuaire de la mémoire, qu’il faudrait visiter fréquemment pour chercher à comprendre le présent et édifier sur ses ruines les fresques de l’avenir. Le roi Justanid ordonna la construction de la forteresse d’Alamut...

commentaires (1)

Chapeau….

Eleni Caridopoulou

21 h 38, le 25 janvier 2023

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Commentaires (1)

  • Chapeau….

    Eleni Caridopoulou

    21 h 38, le 25 janvier 2023

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