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Lifestyle - Histoires de thérapies

« Vous, vous détestez votre mère »

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, des larmes, des fous rires et des silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, les pièces d’un puzzle qui constitue une vie. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

« Vous, vous détestez votre mère »

Illustration Noémie Honein

Hospitalisée pour la première fois, Suzanne*, une jeune femme d’une trentaine d’années, souffrait d’une bouffée délirante aiguë, à la suite d’un tragique accident de voiture qui tua son jeune frère. La bouffée délirante aiguë est un délire qui n’est pas nécessairement grave car il peut se résorber plus ou moins rapidement. L’insomnie et l’anxiété diffuse caractérisent surtout ce délire aigu. Suzanne était inconsolable mais son deuil, noyé dans son délire était à l’arrière-plan de ce qu’elle présentait comme signes cliniques. Elle était plutôt euphorique, mélangeait le passé et le présent et parlait de cet accident de voiture et de la mort de son jeune frère comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre. Elle ne dormait pas, refusait de se nourrir et passait son temps à jouer aux cartes, seule sur son lit. Il était évident qu’elle voulait éviter la douleur du deuil. Le fait d’être hospitalisée la calmait plutôt et elle acceptait son état.

L’infirmière en chef, Elyssar, absente lors de son hospitalisation, était de retour. Enceinte au 9e mois de sa grossesse, elle entre dans sa chambre pour faire sa connaissance. Assise sur son lit en train de jouer aux tarots, Suzanne l’accueille avec ces mots : « Vous, vous détestez votre mère. » Surprise, l’infirmière répond que non, elle ne détestait pas sa mère. « Si, si, je le vois dans les cartes. » Comme on venait d’ouvrir l’étage de psychiatrie, l’équipe de soignants n’était pas encore habituée aux patients psychotiques (la psychose est un déni de la réalité, réalité remplacée par le délire du patient, ce qui donne une grande difficulté pour le dialogue avec le psychotique ; la névrose en revanche accepte la réalité mais en y ajoutant ses fantasmes inconscients). Elyssar insiste : « Non, je ne déteste pas ma mère. » Elle quitte la pièce impressionnée, mais sans plus.

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Après la journée de travail, Elyssar rentre chez elle. Sa mère, qui était là pour l’aider dans la fin de sa grossesse, lui ouvre la porte et lui demande comment elle va. La réponse fut brutale : « Laisse-moi s’il te plaît, je suis très fatiguée. » Surprise, sa mère lui dit : « Mais qu’est-ce que tu as ? » Elyssar la repousse et l’engueule de nouveau. Puis elle s’arrête et réfléchit : « Mais elle a raison, la patiente, je dois haïr ma mère. » Elle ne pouvait pas penser à autre chose, absolument pas : la patiente a raison. Le lendemain, elle arrive à l’étage toute troublée et me raconte l’histoire. Je souris : « Mais non, vous ne détestez pas votre mère, c’est la patiente qui déteste sa mère mais comme elle ne peut en aucune manière en prendre conscience car elle exploserait elle-même sous l’effet de cette haine, elle la dépose en vous, par une sorte de projection. » En psychanalyse, on appelle ça une identification projective. C’est comme si elle avait au fond d’elle un sac fermé, rempli de haine qu’elle ne peut pas ouvrir et dont elle n’a pas conscience. Il ne lui reste qu’une solution, le projeter dans quelqu’un d’autre, à charge que ce quelqu’un l’ouvre et déverse cette haine sur sa propre mère.

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C’est un mécanisme psychique archaïque que l’on retrouve chez les psychotiques et qui caractérise les premiers rapports entre la mère et le nourrisson. Dans un service de psychiatrie, l’intérêt d’avoir une orientation psychanalytique permet au personnel soignant de ne pas se laisser envahir par les projections des patients et, tout en accompagnant ces derniers, de garder une certaine distance bienveillante et bienfaisante.

*Le prénom a été modifié par souci de confidentialité

Hospitalisée pour la première fois, Suzanne*, une jeune femme d’une trentaine d’années, souffrait d’une bouffée délirante aiguë, à la suite d’un tragique accident de voiture qui tua son jeune frère. La bouffée délirante aiguë est un délire qui n’est pas nécessairement grave car il peut se résorber plus ou moins rapidement. L’insomnie et l’anxiété diffuse...

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