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Lifestyle - Histoires de thérapies

« Je te pardonne tout le mal que je t’ai fait »

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, comme les pièces d’un puzzle qui constituent une vie.

« Je te pardonne tout le mal que je t’ai fait »

Illustration Noémie Honein

J’étais jeune étudiant en 3e année de médecine et je faisais un stage de psychiatrie à Font d’Aurelle, l’hôpital psychiatrique de Montpellier. Je n’avais pas de responsabilité, juste une fonction d’externe. Dans le service, un homme présentait tous les signes de la mélancolie : tristesse profonde, dégoût de la vie, pessimisme, douleur morale, idées suicidaires, ralentissement psychomoteur. Le patient avait l’air d’un zombie, un être entre la vie et la mort. Aujourd’hui, on dirait que c’est un bipolaire en phase dépressive. Il délirait et son délire contenait une note de certitude : il allait mourir le lendemain et il se voyait en « viande hachée » chez le charcutier. Le délire suscitait une angoisse tellement insoutenable qu’il décide d’écrire une lettre d’adieu à sa femme. La lettre passe des mains de l’interne au médecin-chef. Ce dernier la trouve intéressante et la remet à l’interne qui la pose sur le bureau avec une certaine indifférence. Ma curiosité me pousse à la saisir et je lis : « Chère Marie, je vais mourir demain. Je te pardonne tout le mal que je t’ai fait. »

La phrase me saisit et je pense à l’article de Freud : Deuil et mélancolie. Dans cet article, il compare le deuil et la mélancolie, cette dernière étant une sorte de deuil, mais sans un mort réel. Le mélancolique absorbe l’être qu’il aime, l’introjecte et l’incorpore à la manière d’un cannibale. Et il lui fait subir son agressivité et sa violence, d’où la fin de la phrase : « …Tout le mal que je t’ai fait. » Comme un reste de cette pratique archaïque, le cannibalisme, l’être aimé subit le mécanisme psycho-intestinal de la digestion. D’où, entre autres symptômes mélancoliques, celui de la constipation, constipation qui a pour fonction de garder en soi l’être aimé que l’on a ingéré, mangé. Aujourd’hui appelée dépression grave, sur un plan philosophique la mélancolie est une manière d’être au monde, qui voit le verre à moitié vide.

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L’allaitement en temps de deuil

Pour qui lit la bande dessinée Gaston Lagaffe, rien de tel que cet épisode où l’ami de Gaston, Bertrand La Bévue, très déprimé, le visage immensément triste est recroquevillé sur lui-même dans une poubelle. Gaston lui parle : « Je ne sais pas moi, tu devrais sortir un peu... franchement tu deviens ridicule avec ton complexe d’infériorité… tu vis trop replié sur toi-même. » Voyant que c’était sans résultat, il appelle leur autre ami, Jules-de-chez-Smith-en-face, et lui dit : « On ne peut pas laisser La Bévue dans cet état, on va lui faire un tour en voiture. » Les trois compères s’installent dans le tacot de Gaston, La Bévue derrière. En roulant, ils lui montrent la beauté de la nature : « Regarde les arbres et leurs feuilles déjà couleur or, ces maisons avec leurs briques rouges, cette cochonne qui donne à téter à ses petits, ce gazon magnifique dans le jardin… » Insensible, Bertrand La Bévue garde son visage triste. Fatigués, Gaston arrête la voiture et ils descendent : « Tu n’as pas vu tout ce qu’on t’a montré ? » Aussi triste qu’au départ, Bertrand leur répond : « Vous n’avez pas vu tous ces hérissons écrasés le long de la route ? » Alors, les visages de Gaston et de Jules deviennent aussi tristes que celui de Bertrand.

Cette bande dessinée est d’une justesse clinique digne des livres de psychiatrie. Non seulement Bertrand ne voit que les hérissons écrasés le long de la route, le verre à moitié vide, mais sa vision contamine les deux autres qui finissent par se déprimer à leur tour. La dépression est contagieuse. Et c’est pour cette raison que le déprimé se retrouve souvent seul, son entourage craignant la contagion.

J’étais jeune étudiant en 3e année de médecine et je faisais un stage de psychiatrie à Font d’Aurelle, l’hôpital psychiatrique de Montpellier. Je n’avais pas de responsabilité, juste une fonction d’externe. Dans le service, un homme présentait tous les signes de la mélancolie : tristesse profonde, dégoût de la vie, pessimisme, douleur morale, idées suicidaires,...

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