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Lifestyle - Histoires de thérapies

L’allaitement en temps de deuil

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, des larmes, des fous rires et des silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, les pièces d’un puzzle qui constitue une vie. Dans cette nouvelle rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

L’allaitement en temps de deuil

Illustration Noémie Honein

À 35 ans, Pauline* est enceinte de son deuxième enfant, après trois années de mariage. Elle est à son neuvième mois. Sur le plan physiologique, la grossesse se passe très bien. Sauf que par un malheureux tour du hasard, sa mère souffre d’un cancer terminal apparu quelques mois auparavant. Pauline est très affectée par la maladie de sa mère et se rend à l’évidence qu’elle va bientôt mourir. Ainsi, la mère de Pauline meurt quelques jours avant son accouchement.

Ce jour-là, Pauline a mis au monde une petite fille qui, selon les médecins, est en bonne santé. Seulement, l’enfant ne se développe pas, elle ne prend pas de poids. Pauline et son mari consultent un grand nombre de spécialistes, pédiatre, pédopsychiatre, neurologue. Aucun ne trouve une réponse au problème et le bébé dépérit.

Au retour du médecin de famille, qui était en vacances, il apprend la nouvelle de l’accouchement de Pauline et la mort de sa mère. Il dira par la suite qu’il a eu, comme Hamlet, « un œil qui rit et l’autre qui pleure », ne sachant pas trop s’il devait la féliciter ou présenter ses condoléances. Arrivé chez Pauline, il s’entend dire : « C’est le Bon Dieu qui vous envoie. »

Avec une confiance sans limites en ce médecin qui la soigne depuis de nombreuses années, Pauline lui énumère alors les problèmes de sa fille, les différentes consultations et l’absence de résultats. À peine âgée de deux semaines, sa petite risquait de mourir. Le médecin lui demande alors : « Vous l’allaitez ? » « Bien sûr », répond Pauline. « Vous avez suffisamment de lait ? » poursuit-il. « Assez pour allaiter plusieurs enfants », confirme Pauline.

Sans plus réfléchir, il lui dit : « Arrêtez de l’allaiter, vous lui donnez du poison; et confiez-la à une nourrice. » Bonne décision car, dès que la nourrice s’est mise à l’allaiter, la petite fille a repris un développement normal.

La réflexion du médecin fut une parole de génie, digne des meilleurs psychanalystes pour enfants. Sans avoir une quelconque idée de la psychanalyse et du regard qu’elle porte sur la relation mère/enfant, ce médecin énonça une parole de bon sens. En effet, comment Pauline, en deuil de sa mère, pouvait-elle accueillir sa petite fille avec la joie et le visage d’une mère qui vient d’accoucher? Plombée par sa douleur, son lait ne pouvait pas être nourrissant. Au contraire même, ce lait était nuisible, empoisonnant. Le bon sens du médecin fit un miracle.

Ce n’était la faute de personne. Une mère qui accouche au moment où sa propre mère meurt, et une petite fille qui n’a rien demandé et qui vient au monde dans un contexte pareil. La fameuse anorexie précoce du nourrisson devrait répondre à ce genre de situation : pourquoi vers six mois un nourrisson refuse de téter ?

En laboratoire, une expérience montre une mère qui joue avec son enfant, dans la première année de sa vie, tout sourire, et un enfant qui répond au sourire de sa mère par un sourire. La mère pose ensuite un masque sur son visage et, du coup, elle n’a plus d’expression. Le nourrisson, atterré, finit par être déprimé.

Cette histoire et cette expérience montrent que le rapport mère/enfant est fondamental pour le développement de l’enfant. Même dans une famille nombreuse, où les enfants ont reçu la même éducation, la différence entre frères et sœurs vient surtout de là. La mère n’est jamais la même, ni pendant sa grossesse ni pendant l’allaitement. L’être humain est différent, il porte avec lui, sa vie durant, les traces qu’y laisse la mère.

Aujourd’hui, la mère et la famille se portent bien. Il aura fallu de peu pour frôler la catastrophe.

*Le prénom a été modifié par souci de confidentialité.

À 35 ans, Pauline* est enceinte de son deuxième enfant, après trois années de mariage. Elle est à son neuvième mois. Sur le plan physiologique, la grossesse se passe très bien. Sauf que par un malheureux tour du hasard, sa mère souffre d’un cancer terminal apparu quelques mois auparavant. Pauline est très affectée par la maladie de sa mère et se rend à l’évidence...

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