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Nos Lecteurs ont la Parole

Soixante-dix-neuf ans de dépendante indépendance

Le Liban a accédé à l’indépendance le 22 novembre 1943, au terme d’un conflit ouvert entre le délégué général de la France libre au Levant, Jean Helleu, et les deux auteurs du pacte national, Béchara el-Khoury, président de la République, maronite, et Riad el-Solh, président du Conseil, sunnite. Ces deux hommes sont encore aujourd’hui tenus en haute estime par les Libanais qui voient en eux les figures tutélaires d’un État souverain et autonome vis-à-vis de la France, de la Grande Syrie ou encore du Royaume-Uni. Leur nom et leur visage sont omniprésents dans les manuels scolaires, sur les plaques de rues et jusqu’au cœur de la capitale : l’avenue Béchara el-Khoury coupe Beyrouth en deux suivant un axe toujours bondé de la place des Martyrs à la Résidence des Pins ; la statue de Riad el-Solh trône, elle, fièrement devant le Grand Sérail.

Produits de leur temps, ces hommes ont conçu un système politique à leur image, garantissant la libanité des institutions et de l’administration, sans prévoir cependant les évolutions sociales et démographiques qui s’ensuivraient. La clef de répartition politique élaborée par leurs soins est simple : le président de la République est maronite, celui du Conseil des ministres sunnite et celui du Parlement chiite. Ces équilibres sont fondés sur un recensement daté de 1932, lequel permet également de ventiler les emplois publics au regard du poids respectif de chaque confession. Afin de parer à la caducité du pacte, des verrous sont mis en place pour préserver les équilibres de population : le mariage civil n’existant pas, les familles ne peuvent se constituer qu’au sein d’une communauté donnée ; le pouvoir judiciaire est, par ailleurs, essentiellement laissé à la discrétion des institutions religieuses.

À compter des années 1970, et notamment du Septembre noir au cours duquel les fedayins sont chassés de Jordanie par le roi Hussein, l’OLP se replie au Liban. Dès cette période, les camps se multiplient tant et si bien que l’on estime aujourd’hui que près de 250 000 Palestiniens se sont réfugiés sur le sol libanais. Sans jamais être naturalisés, ces derniers ont mécaniquement fait croître la population musulmane qui s’est, le plus souvent, coalisée avec les forces de gauche à l’encontre des milices chrétiennes de droite, nationalistes. C’est sur cette base qu’en 1975, le pacte national se rompt et que la guerre civile éclate.

C’en est alors fini de l’indépendance du Liban qui n’est plus qu’une chimère : toutes les puissances de la région, toutes les parties prenantes de la guerre froide s’y livrent des combats acharnés et y règlent leurs comptes par forces interposées. L’intégrité territoriale du pays ne cesse d’être violée, tantôt par l’armée israélienne, tantôt par les troupes syriennes. La première ne quitte le Sud-Liban qu’en 2000, les secondes ne lèvent le camp que cinq ans plus tard, au terme de la révolution du Cèdre. Après même son départ, chaque ancien belligérant continue de se sentir libre de faire la pluie et le beau temps au Levant, qui de perpétrer des attentats mortels, qui de lancer – en juillet 2006 – une offensive éclair visant à anéantir le Hezbollah et tuant, partant, 1 200 civils.

Le temps passe et pourtant ce petit État de 10 452 km2 demeure la cible favorite de tous les prédateurs avoisinants, le lieu d’expression de tous les intérêts divergents et de toutes les convoitises. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler l’ubuesque séquence de 2017 au cours de laquelle Saad Hariri, Premier ministre, annonçait depuis Riyad sa démission. Placé en résidence surveillée, il est finalement secouru par le président français, Emmanuel Macron, avant de rentrer au Liban pour rétropédaler. Si l’influence de l’Arabie saoudite au sein du courant al-Moustaqbal – principal parti sunnite – est connue de tous, cet épisode n’a fait que confirmer la capacité du prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, à piloter depuis son palais la vie politique libanaise. En contrefeu, le spectre de l’Iran demeure omniprésent via les positions du Hezbollah dont nul ne doute qu’elles sont largement alignées sur Téhéran. Depuis que l’effondrement de l’économie nationale a commencé, en 2019, que le port de la capitale a explosé le 4 août 2020 et que 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, sans électricité, parfois sans eau, aux prises avec une épidémie de choléra, les vulnérabilités aux ingérences étrangères sont encore accrues.

Ainsi, tandis que les discussions indirectes entre le Liban et Israël autour des gisements gaziers offshore de Cana et de Karish – situés dans des eaux à la souveraineté controversée – semblaient s’enliser depuis deux ans, en dépit d’une médiation américaine, les pourparlers ont soudainement abouti à la mi-octobre. Difficile de penser que l’accord trouvé, qui n’apporte d’ailleurs aucune évolution quant à l’état des relations diplomatiques entre les deux parties – lesquelles sont toujours officiellement en guerre –, n’est pas un compromis bancal, ficelé en toute hâte pour approvisionner en gaz une Europe privée d’hydrocarbures russes et de renflouer les caisses d’un Liban à l’agonie. Espérons simplement que, cette fois, l’exploitation – par Total – ne se fasse pas au profit de quelques happy few, mais qu’elle bénéficie à l’ensemble de la population qui ne cesse de s’enfoncer dans la misère et que plus personne n’entend, tant il est vrai qu’elle crie depuis soixante-dix-neuf ans : « L’indépendance est une flamme. [...]. Entretenons-la au fond de nous-mêmes si nous ne pouvons la réaliser. » (Farjallah Haïk, Dieu est libanais, Beyrouth, Nouvelles Éditions orientales, 1946).

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Le Liban a accédé à l’indépendance le 22 novembre 1943, au terme d’un conflit ouvert entre le délégué général de la France libre au Levant, Jean Helleu, et les deux auteurs du pacte national, Béchara el-Khoury, président de la République, maronite, et Riad el-Solh, président du Conseil, sunnite. Ces deux hommes sont encore aujourd’hui tenus en haute estime par les Libanais...

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