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Nos Lecteurs ont la Parole

L’État-fantôme

Pourquoi l’État au Liban s’effrite-t-il quand il doit neutraliser les ingérences extérieures ? Pourquoi est-il aussi impuissant quand il s’agit de faire face à l’anarchie ambiante ? Pourquoi est-il si étrangement paralysé quand il lui faut étaler sa force et faire acte de présence? Outre la vulnérabilité inhérente au régime démocratique, outre l’antagonisme entre deux civilisations, il existe une raison majeure qui explique la timidité de l’État : l’égocentrisme pathologique des Libanais pour qui l’État est une proie et non une institution à respecter. Pour le Libanais, ce narcisse au profil de rapace, l’État n’a que des obligations à l’égard du citoyen. N’ayant jamais complètement adhéré à l’État, l’individu libanais ne se sent pas impliqué ou moralement engagé envers l’institution qu’est l’État. Il y a une profonde et sournoise méfiance du citoyen par rapport à cette instance qu’il sent artificielle, factice, accident de l’histoire. Projection des contradictions qui divisent les communautés, reflet de leurs dissensions, l’État a toujours été incapable de jouer son rôle régulateur, d’aboutir à une véritable intégration des groupes ethniques. Organisateur de la cité dans les nations homogènes, accoucheur de chaos au Liban, le pouvoir se contente de gérer le désordre avec l’accord tacite de tous ceux qui trouvent dans l’anarchie une sorte de mère nourricière, une manne providentielle bonne à saisir.

Ne suivant que la logique de son intérêt, le Libanais a bien vu qu’un État ainsi édifié était une proie consentante et que cela était de loin préférable à un État planificateur et coercitif. Est-ce surprenant dès lors si le peuple amena au pouvoir les mêmes personnages pour assurer la continuité de l’État-fantôme érigé en gardien débonnaire de la caverne d’Ali Baba ? D’où l’étonnement de la plupart des politologues de voir que le tableau politique est resté quasiment inchangé depuis 1943, que les mêmes politiciens et les mêmes clans se partagent les postes ministériels. Habitués à raisonner selon des schèmes cartésiens dans le cadre des démocraties occidentales, ces politologues sont déroutés, ne sachant pas qu’une prodigieuse complicité a joué au niveau de la masse (de l’inconscient collectif), pour obtenir un régime à la mesure de nos appétits et de notre fringale, pour façonner un État manipulable au gré de nos intérêts, complaisant à l’égard de notre égocentrisme et de notre avidité.

L’État libanais, nous n’y avons jamais cru. Chacun agit comme si l’État était une institution provisoire et précaire dont il fallait tirer profit et qu’il s’agissait de dépouiller le mieux possible. Chaque communauté essaya de l’accaparer, d’y projeter ses idéaux et ses fantasmes. Nous n’avons pas la même vision du présent et de l’avenir. Sur les notions essentielles, nos avis divergent. Nous n’avons pas la même conception de ce que peut être notre Liban, c’est quoi la souveraineté.

Pour certains, le Liban n’est pas arabe : c’est un morceau d’Occident imprégné de six mille ans d’histoire, jeté par les hasards de la géographie dans un océan arabo-musulman. Pour d’autres, le Liban et le monde arabe sont identiques, le Liban étant une monstrueuse excroissance, fruit du mandat français. Pour les uns, l’indépendance n’exclut pas des « relations privilégiées » avec tel ou tel État. Pour d’autres, l’indépendance est totale ou elle n’est pas. En attendant que les hommes politiques se mettent d’accord sur ces options fondamentales, la souveraineté reste une vue de l’esprit, un souvenir qui se dissipe dans les nuages de la nostalgie. Étant l’expression de la conscience nationale, l’État subit nécessairement les variations et les contradictions qui remuent, bouleversent ou déchirent la conscience collective. Voici le constat désabusé d’un juriste perspicace : « À l’exception peut-être des minorités, toute communauté majeure prétend faire triompher une définition du Liban, d’après le “pattern” qu’elle tire de son particularisme propre, ce qui fait qu’il existe autant de Liban que de communautés ! Il faut se résoudre finalement à constater qu’à la base même de leur ensemble gisent des anticorps indéracinables, qui éclatent sous la poussée des circonstances, pour projeter des laves d’aversion et d’incompréhension se muant parfois, sous le coup des conjonctures, en haines inexpiables, entretenues par des siècles de ségrégation. » (Edmond Rabbat, La formation historique du Liban).

N’est-il pas temps que se fasse entendre la voix de la raison, pour que le peuple ait enfin le droit à la vie ?

Il ne faut jamais conclure sur un regret, seulement, sur un espoir !

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Pourquoi l’État au Liban s’effrite-t-il quand il doit neutraliser les ingérences extérieures ? Pourquoi est-il aussi impuissant quand il s’agit de faire face à l’anarchie ambiante ? Pourquoi est-il si étrangement paralysé quand il lui faut étaler sa force et faire acte de présence? Outre la vulnérabilité inhérente au régime démocratique, outre l’antagonisme entre deux...

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Le Liban n’est pas arabe il est phénicien

Eleni Caridopoulou

17 h 42, le 22 novembre 2022

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Commentaires (1)

  • Le Liban n’est pas arabe il est phénicien

    Eleni Caridopoulou

    17 h 42, le 22 novembre 2022

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