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Société - Éclairage

Syrienne ou libanaise ? Une famille de réfugiés expulsée manu militari de Copenhague

Sept membres de la famille Bathich, des demandeurs d’asile au Danemark depuis 2015, ont été renvoyés à Beyrouth le 1er novembre. Cette affaire reste mystérieuse.

Syrienne ou libanaise ? Une famille de réfugiés expulsée manu militari de Copenhague

Khadija et Ahmad Bathich. Photo Twitter

Khadija, 65 ans, et Ahmad Bathich, 78 ans, ont été réveillés en pleine nuit par la police, alors qu’ils dormaient paisiblement dans leur chambre de la maison de retraite de Tonder, une petite ville du sud du Danemark. Le couple et cinq de leurs enfants ont été renvoyés dans la même journée, le 1er novembre, par avion au Liban. Ils affirment être syriens, mais les autorités danoises et des sources libanaises assurent, elles, qu’ils sont bien libanais. Cette expulsion manu militari auréolée de mystère a fait couler beaucoup d’encre parmi la presse danoise et fait vivement réagir des ONG de défense des droits de l’homme. Le quotidien Politiken avait notamment suivi à plusieurs reprises le parcours de la famille Bathich dans ses démarches pour obtenir le droit d’asile, avant qu’une décision de la Commission des réfugiés ne la rejette. Durant l’été, le permis de séjour du couple et de cinq de leurs enfants est révoqué, et ils sont tous transférés, après ordonnance d’un tribunal, dans un centre de départ pour les demandeurs d’asile déboutés, celui de Kærshovedgård (dans le Jutland). Deux des fils du couple résident quant à eux légalement au Danemark. L’Orient-Le Jour n’a pas été en mesure d’entrer en communication avec eux.

Si cette histoire agite tellement l’opinion, c’est tout d’abord en raison de la façon dont a été traité ce couple d’un âge avancé et au dossier médical extrêmement lourd. Selon le journaliste Frank Hvilsom, de Politiken, contacté par notre journal, Khadija Nahouli souffre d’un syndrome post-traumatique sévère, d’étourdissements et de maux de tête constants, d’un coup de fouet cervical débilitant, d’incontinence urinaire et de diabète. Son mari souffre, quant à lui, de démence, mais aussi d’une maladie rénale, de troubles cognitifs, il est malvoyant et a des difficultés à marcher. Le quotidien raconte comment l’un de leur fils, Ismaïl Bathich, a passé 16 nuits dans sa voiture afin de faire pression pour que ses parents soient transférés en maison de retraite en octobre, afin qu’ils aient accès à des soins appropriés. « Il est scandaleux et inhumain de tirer des personnes âgées et malades de leur lit au milieu de la nuit », fustige Haifa’ Awad, une médecin syro-danoise, présidente de l’ONG ActionAid Danemark, contactée par L’OLJ. « C’est une façon de faire très dure, mais, selon la loi danoise, vous pouvez être expulsé de force. Les soldats danois ont le droit de les envoyer hors du sol danois », regrette l’avocate de la famille, Jytte Lindgård, également contactée.

Damas et sa région

Le timing de cette expulsion soulève également quelques questions. « Que les autorités décident de le faire le jour des élections (législatives) danoises, véritable célébration de la démocratie, n’est peut-être pas une coïncidence, alors que tout le monde, y compris les médias, est occupé par le scrutin », appuie Haifa’ Awad. La Première ministre sortante, Mette Frederiksen, chef de file des sociaux-démocrates, est arrivée mardi largement en tête avec 27,5 % des voix (contre 25,5 % en 2019).

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L’année dernière, le Danemark a durci sa politique d’immigration et a réitéré son intention d’expulser des réfugiés syriens originaires de Damas et de sa banlieue. Cette décision controversée n’est pas récente, puisque le Danemark considère la capitale syrienne comme étant sûre depuis 2019 et a lancé, depuis, le réexamen de centaines de dossiers. Pour Copenhague, « la situation actuelle à Damas n’est plus de nature à justifier un permis de séjour ou l’extension d’un permis de séjour ».

Si le gouvernement danois, qui n’a pas normalisé ses liens avec Damas, ne peut rapatrier de force les réfugiés syriens sans permis de séjour, deux choix s’offrent à ces derniers. Retourner en Syrie de leur plein gré avec un dédommagement d’environ 28 000 dollars ou rester indéfiniment dans les « camps de déportation », selon les termes utilisés par les activistes.

La famille Bathich, qui affirme être syrienne, originaire de Damas, a refusé de rentrer en Syrie, et a donc été déportée de force au Liban parce que les autorités danoises auraient pu établir le fait qu’elle possède la nationalité libanaise. « Les sept personnes qui ont été renvoyées au Liban le 1er novembre étaient toutes des citoyens libanais qui séjournaient illégalement au Danemark », s’est contentée de répondre à notre journal l’Agence de retour danoise, qui dépend du ministère de l’Immigration et de l’Intégration. Selon les médias locaux, les autorités danoises pensent que le père de famille s’est vu délivrer un passeport libanais alors que la famille vivait dans un camp de réfugiés syriens au Liban et peut donc être considéré à la fois comme libanais et syrien. Si des citoyens syriens ont en effet obtenu la nationalité libanaise ces dernières années, il s’agit d’hommes d’affaires ayant des intérêts importants au Liban ou avec de puissantes connexions politiques. Il est donc peu probable qu’une famille syrienne vivant dans un camp ait obtenu la nationalité libanaise. « Ils sont citoyens syriens, les autorités danoises le savent, mais considèrent qu’ils ont les deux nationalités, d’où leur renvoi au Liban », explique l’avocate Jytte Lindgård.

Nés en Syrie

Ce climat suspicieux alimente certaines théories au Danemark d’un accord secret entre les deux pays, puisque les autorités n’ont pas souhaité communiquer à l’avocate les documents qui prouvent que la famille a effectivement la nationalité libanaise.

Côté libanais, la question embarrasse apparemment les autorités, puisque aucune des sources interrogées n’a souhaité voir son nom mentionné. Une source sécuritaire nous a confirmé que la famille entière possède bel et bien la nationalité libanaise. Une seconde source, diplomatique cette fois, affirme que les parents sont « nés en Syrie, mais ont effectivement la nationalité libanaise ». « Les autorités libanaises n’auraient jamais accepté leur retour sur leur sol s’ils étaient uniquement syriens », précise la source diplomatique. Le gouvernement travaille en ce moment même activement sur son plan de rapatriement de 15 000 réfugiés par mois, qui a débuté la semaine dernière avec le départ de plus de 750 personnes. La famille Bathich a-t-elle commis une fraude en ne mentionnant pas sa nationalité libanaise aux autorités danoises, ou a-t-elle été victime d’un marchandage : son retour au Liban contre une contrepartie financière au gouvernement libanais ? Au Danemark, les deux hypothèses sont aujourd’hui soulevées. L’OLJ a tenté de joindre des membres de la famille Bathich, désormais au Liban, sans succès.

Khadija, 65 ans, et Ahmad Bathich, 78 ans, ont été réveillés en pleine nuit par la police, alors qu’ils dormaient paisiblement dans leur chambre de la maison de retraite de Tonder, une petite ville du sud du Danemark. Le couple et cinq de leurs enfants ont été renvoyés dans la même journée, le 1er novembre, par avion au Liban. Ils affirment être syriens, mais les autorités danoises...

commentaires (3)

Espérons que leurs “puissantes connexions politiques “ ouvriront à ces nouveaux concitoyens les portes des hôpitaux libanais. A leurs risques et périls…

Mago1

14 h 31, le 04 novembre 2022

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Commentaires (3)

  • Espérons que leurs “puissantes connexions politiques “ ouvriront à ces nouveaux concitoyens les portes des hôpitaux libanais. A leurs risques et périls…

    Mago1

    14 h 31, le 04 novembre 2022

  • Ce que l’on retient de cet article c’est que des passeports libanais ont été vendus et distribués. Des rumeurs à ce sujet circulaient mais aucun journaliste d’investigations n’a réussi à dénoncer ouvertement les irresponsables politique qui bouffent à tous les râteliers de peur d’être pris pour cible par les mercenaires sur notre sol qui détiennent le pouvoir.

    Sissi zayyat

    12 h 37, le 04 novembre 2022

  • "TOUS" chez eux... c est mieux pour l Europe.

    Marie Claude

    07 h 04, le 04 novembre 2022

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