« Il vaut mieux que vous élisiez un président aujourd’hui. Sinon je vais continuer à vous amener au Parlement. » À une dizaine de jours de la fin du mandat du président de la République, Michel Aoun, le chef du législatif, Nabih Berry, joue avec les mots et la Constitution. Car à partir de samedi, le Parlement devient un collège électoral, comme le stipule l’article 75 de la Constitution, et ne peut donc plus légiférer ou effectuer toutes autres démarches. L’article 73, pour sa part, dispose que « si le Parlement n’est pas convoqué (pour élire un président de la République), il est considéré comme étant réuni d’office le dixième jour précédant l’expiration du mandat ». Nabih Berry se fonde ainsi sur cet article pour considérer que du fait qu’il a convoqué dès jeudi la Chambre à une réunion lundi, en tenant compte des jours fériés, l’Assemblée ne peut plus être considérée (samedi) comme étant réunie d’office. Il veut ainsi rester maître du calendrier et de la procédure.
Pour le moment, concernant l’élection d’un nouveau président, on est encore loin du compte, en l’absence d’une entente élargie. Car face à un camp soudé derrière le Hezbollah, l’opposition demeure noyée dans ses divergences, accentuées par le schisme au sein du bloc des députés de la contestation. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la troisième séance électorale tenue jeudi place de l’Étoile. Prochain rendez-vous le lundi 24 octobre à 11 heures, une date fixée par M. Berry qui avait promis de convoquer les députés à des séances électorales consécutives. Dans ses grandes lignes, la réunion de jeudi était dans une large mesure une réédition du scénario de la première séance tenue le 29 septembre, à quelques nuances près. On peut en tirer trois leçons.
*Le score de Michel Moawad amélioré : le député de Zghorta et candidat d’une partie de l’opposition (les Forces libanaises, les Kataëb et le Parti socialiste progressiste) est parvenu à faire passer son score de 36 voix lors de la première séance à 42 lors de la troisième. À ces 36 voix que Michel Moawad avait obtenues pouvaient s’ajouter celles de quatre parlementaires qui s’étaient absentés le 29 septembre. Aujourd’hui, il a récolté le vote de ces derniers (Salim Sayegh, Sethrida Geagea, Nehmat Frem et Fouad Makhzoumi), mais aussi ceux de deux parlementaires du groupe de la Modération nationale, rassemblant des députés du Liban-Nord, majoritairement sunnites ex-haririens, qu’il a réussi à convaincre. Il aurait pu obtenir deux voix supplémentaires puisque Chawki Daccache (FL) et Ihab Matar (indépendant), dont les votes lui étaient acquis, ont manqué le rendez-vous.
*Le Hezbollah toujours passif : à une dizaine de jours de la fin du mandat de Michel Aoun, le Hezbollah n’a toujours pas huilé sa machine en vue d’épargner au pays le scénario d’une vacance présidentielle. Le parti chiite évite jusqu’ici de dévoiler toutes ses cartes, alors que ses deux alliés chrétiens, le chef des Marada, Sleiman Frangié, et son rival le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, sont de sérieux présidentiables. Le Hezbollah semble ne pas encore avoir réussi à souder son camp autour d’un candidat et estime, peut-être, que le contexte régional n’est pas encore propice à l’élection d’un président. Il continue donc de se cacher derrière le vote blanc en attendant le compromis politique élargi autour du futur chef de l’État, une réalité dictée par les équilibres politiques au sein de la nouvelle Chambre issue des législatives de mai dernier.
Lors de la séance de jeudi, le nombre de bulletins blancs a diminué en passant de 63, le 29 septembre, à 55, le 20 octobre. Cette baisse s’explique d’abord par le fait que cinq députés gravitant dans l’orbite du Hezbollah n’ont pas fait acte de présence à la Chambre. Oussama Saad, député de Saïda, a pour sa part changé de position. À l’issue de la séance, il a annoncé avoir inscrit le mot « personne » sur son bulletin, après avoir voté blanc lors de la première réunion. De son côté, Abdel Rahman Bizri, qui avait également voté blanc, a déclaré à la presse avoir voté pour « le nouveau Liban », se ralliant ainsi à la position de la majorité des députés ex-haririens et dix des députés de la contestation. Qui est le dernier député à avoir modifier son vote ? L’OLJ n’était pas en mesure jeudi de le dire. Charbel Massaad, député de Jezzine, assure avoir « voté blanc parce que tout le monde savait que la séance ne débouchera pas sur un nouveau chef de l’État ». Après le premier tour, le parti chiite a, une fois de plus, joué la carte du défaut de quorum pour torpiller la séance. L’heure de l’élection n’a donc pas encore sonné.
*La contestation sans candidat : Secoués par les désaccords et les retraits, les députés de la thaoura sont arrivés à la séance de jeudi sans candidat. Après avoir voté pour l’homme d’affaires Salim Eddé lors de la première séance, ils ont tenté d’apporter leur soutien à Ziyad Baroud, ancien ministre de l’Intérieur, et Nassif Hitti, ex-chef de la diplomatie. Et alors que l’on s’attendait à ce que le bloc des élus dits du changement soutienne M. Hitti, ce dernier leur aurait demandé de ne pas voter pour lui. Ne voulant griller de nouveaux candidats et déterminés à ne pas soutenir Michel Moawad, perçu comme le candidat de certains partis politiques traditionnels, ces parlementaires ont opté pour la fuite en avant : dix d’entre eux ont pris part à la séance (en l’absence de Cynthia Zarazir et d’Élias Jaradé) et ont voté pour « le nouveau Liban » au même titre que leurs collègues sunnites du bloc de la Modération nationale. Quant à Michel Doueihy qui vient de claquer la porte du bloc, il a fait cavalier seul et voté pour la souveraineté et l’indépendance du Liban.
La répartition du vote :
- 42 voix pour le député Michel Moawad
- 55 votes blancs
- 17 votes « Nouveau Liban »
- 1 voix pour Milad Abou Malhab (un homme qui avait participé en caleçon à une manifestation à Beyrouth en 2014, tenant une pancarte sur laquelle il se proclamait « Libanais » et « imbécile »).
- 4 bulletins annulés
Ce pays va rester combien de temps avec une constitution pour le moins bancale ? Peut on parler d’un changement de système politique ? Tous les maux viennent d’un système moyenâgeux. D’où le retour actuel au moyen âge : il manque le troc.
19 h 52, le 22 octobre 2022