Michel Moawad sera-t-il le prochain président de la République ? C’est la question que se pose une grande partie des Libanais à seulement dix jours de la fin du mandat de Michel Aoun. Le député réformiste de Zghorta demeure jusqu’ici le seul candidat sérieux de l’opposition au pouvoir en place. Lors de la séance électorale de jeudi, il a d’ailleurs vu son score progresser, passant de 36 voix lors de la première séance, fin septembre, à 42 voix cette fois-ci. Au-delà de la symbolique, ce pas en avant rapproche le chef du mouvement de l’Indépendance de la barre des 65 voix nécessaires à son élection lors du second tour. Toutefois, le chemin de Baabda reste semé d’embûches. L’élection d’un président au Liban est en effet cette fois-ci comme souvent le produit d’un compromis élargi et conclu à l’avance entre les différents protagonistes. Faute de quoi, il suffit qu’un tiers des députés (43) provoque un défaut de quorum pour bloquer l’échéance.
Arithmétique complexe
Pour espérer accéder à la magistrature suprême, Michel Moawad doit donc d’abord fédérer le plus de députés possible autour de sa candidature pour récolter les 65 voix nécessaires à son élection au second tour (il en faut 86 pour être élu dès le premier tour). Pour le moment, les efforts de lobbying intenses du patron du mouvement de l’Indépendance lui ont permis de progresser de six voix, principalement parmi les anciens haririens. Ce chiffre peut même être revu à huit si l’on compte Chawki Daccache (Forces libanaises) et Ihab Matar (indépendant), qui se sont absentés de la séance, se trouvant à l’étranger, et qui avaient soutenu le député de Zghorta lors du premier vote.
Michel Moawad peut donc compter sur le soutien de 44 élus à l’hémicycle et doit encore en rallier 21. Il ne s’agit pas d’une mission impossible pour le candidat, surtout s’il parvient à convaincre les 17 députés ayant déposé un bulletin au nom du "nouveau Liban". Il s’agit principalement de la majorité des députés ex-haririens de la Modération nationale, ainsi que des élus de la contestation et de certains indépendants. Outre les parlementaires de la thaoura qui voient en Michel Moawad une figure traditionnelle du 14 Mars, une grande partie des élus du camp anti-Hezbollah disent refuser de le soutenir simplement parce qu’ils estiment qu’il n’a pas de chance d’être élu à la magistrature suprême. En effet, même s’il avait 65 votes ou plus à son compteur, M. Moawad devra encore braver un obstacle sérieux avant de pouvoir s’installer à Baabda : la question de l’entente, condition sine qua none imposée par le Hezbollah à l’élection d’un chef de l’État.
La semaine dernière, lors de la deuxième séance électorale (reportée faute de quorum), le député du parti de Dieu Hassan Fadlallah avait coupé l’herbe sous le pied à Michel Moawad. "Une candidature de défi ne conduira qu’à plus de retard dans l’élection, et Michel Moawad en est une", avait-il tranché. Le député de Zghorta, vu comme une figure centrale du camp "souverainiste" opposé aux armes du Hezbollah, devient donc officiellement une option inadmissible pour le camp du 8 Mars. Le secrétaire général du parti de Dieu, Hassan Nasrallah, a, à plusieurs reprises, appelé à un compromis élargi autour d’une figure plus consensuelle. Faute de quoi, le Hezbollah et ses alliés n’hésiteront pas à avoir recours à l’arme (bien qu’anticonstitutionnelle) du défaut de quorum, comme ils l’ont déjà fait la semaine dernière... et plus de 40 fois entre 2014 et 2016 afin d’imposer la candidature de Michel Aoun. Cette arme, utilisée depuis 1982, complique l’arithmétique nécessaire à l’élection d’un président, puisqu’elle octroie à n’importe quel groupe de 43 députés un véritable droit de veto.
Sortir le Hezb de sa passivité
Le camp pro-Moawad n’ignore d’ailleurs pas ces difficultés. "L’élection de Michel Moawad n’est pas impossible, mais elle nécessite quand même un sacré alignement des astres", reconnaît un député de l’opposition. Et de poursuivre : "Nous allons continuer à pousser cette candidature jusqu’au bout : soit pour élire Michel Moawad soit pour pousser le camp pro-Hezbollah à négocier selon nos conditions." C’est ce qu’affirme également à L’Orient-Le Jour le député du Parti national libéral et membre du bloc des FL, Camille Chamoun. "Pour le moment, nous continuons à soutenir Michel Moawad. Si nous nous rendons compte qu’il n’a aucune chance d’être élu, nous pourrions opter pour une figure plus consensuelle, mais à une condition : qu’elle soit souverainiste", précise-t-il.
La logique du camp de l’opposition consiste donc à continuer la bataille aux côtés de Michel Moawad pour lui permettre d’accéder à Baabda. À défaut, ils seraient prêts à revoir leur position en choisissant un candidat plus acceptable aux yeux du Hezbollah. Celui-ci ne semble pas encore engagé dans la bataille, se contentant pour le moment de demander à ses élus et alliés de voter blanc. L’idée derrière les calculs du camp adverse serait d’amasser le plus de votes en faveur de Michel Moawad afin de faire sortir le parti jaune de cette passivité. Fort de cette dynamique, ce camp pourrait par la suite négocier avec le Hezbollah autour d’une candidature moins clivante. "On pourrait alors mettre en avant les noms de Salah Honein, Nehmat Frem ou même de Joseph Aoun (le commandant en chef de l’armée)", estime un député de l’opposition.
commentaires (10)
L’inventeur de 2/3 des députés au premier tour; je peux comprendre. Cependant il devra y a avoir un seul premier tour et non pas à chaque fois qu’ils se réunissent ils s’amusent à faire premier tour. Autrement c’est l’odyssey!
Georges S.
19 h 45, le 21 octobre 2022