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Société - Histoire

Comment le Liban a géré les précédentes épidémies de choléra

La maladie a frappé plusieurs fois au XIXe siècle, mais aussi durant la guerre civile puis dans les années 90.

Comment le Liban a géré les précédentes épidémies de choléra

Des pèlerins mis en quarantaine se tiennent devant la mosquée du centre de quarantaine de Beyrouth en 1933. Photo Ahmad Chérif

La semaine dernière, le choléra a fait son grand retour au Liban, dans le Akkar et dans le nord de la Békaa, après qu’une épidémie se fut déclarée en Syrie voisine. Les premiers cas font craindre une propagation de la maladie sur le territoire, alors que la crise économique qui sévit dans le pays depuis trois ans complique l’accès aux soins médicaux.

Ce n’est évidemment pas la première fois que le Liban – ou ses voisins – est confronté au choléra, qui était bien plus meurtrier avant l’apparition des méthodes d’hygiène modernes.

Bien que la dernière épidémie enregistrée au Liban remonte aux années 1990, il existe une longue histoire d’épidémies de choléra officiellement enregistrées depuis la première moitié des années 1800, lorsque le Liban actuel se trouvait encore sous la domination ottomane, jusqu’à récemment, durant la guerre civile libanaise, lorsque diverses milices empêchaient parfois l’approvisionnement en eau potable et en fournitures médicales dans les zones encerclées.

Le centre de quarantaine de Beyrouth en bord de mer, vu depuis le château de terre en 1876. Photo Louis Vignes via BnF Gallica

Deux centres de quarantaine

Les premières épidémies significatives de choléra ont frappé le Liban en 1821, puis en 1831. À l’époque, le Liban et la Syrie (actuels) se trouvaient sous la férule de Mohammad Ali Pacha, un souverain ottoman rebelle et dirigeant de facto de l’Égypte. Son fils Ibrahim Pacha lui a succédé. Ce dernier a confié à Mahmoud Nami Bey, l’ingénieur en chef de la ville d’Alexandrie, la tâche de moderniser Beyrouth. L’une des principales contributions de Nami Bey fut la mise en place d’un centre de quarantaine dans les années 1830 à la périphérie du centre historique de Beyrouth, dans le quartier portuaire qui porte toujours aujourd’hui le nom de Karantina (Quarantaine). Un autre centre de quarantaine a été établi à l’intérieur de Horch Beyrouth (Bois des pins), dans la partie sud de la ville.

Les voyageurs susceptibles d’être porteurs du choléra ou d’autres maladies devaient s’isoler à Karantina s’ils arrivaient à Beyrouth par voie maritime, ou à Horch Beyrouth s’ils arrivaient par voie terrestre. À l’époque, les autorités sanitaires avaient imposé une période d’isolement de deux semaines dans les sites de quarantaine. Cependant, les récits de voyage de ce temps-là indiquent que les règles étaient souvent contournées.

Éclairage

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Un séjour typique en quarantaine impliquait le paiement d’une chambre et des frais supplémentaires pour la fumigation et les soins d’un médecin. Même si les séjours en quarantaine étaient obligatoires, un restaurant ouvert dans le site de Karantina procurait un sentiment de normalité, si l’on se réfère à un récit de voyage de l’époque écrit par Arthur Holroyd, un homme politique britannique qui a sillonné le Moyen-Orient dans les années 1800.

Au début, cette intervention a été considérée comme un succès, explique à L’Orient Today Diala Lteif, chercheuse postdoctorale à l’université de Cambridge, qui a fait des études sur le secteur de Karantina. Selon elle, les épidémies de choléra des années 1800 étaient « très perturbantes pour les entreprises et le commerce, et les responsables devaient donc trouver des moyens de protéger les intérêts de chacun ».

Selon Mme Lteif, cette protection supplémentaire a rendu le port plus productif et plus durable à long terme. Mais elle relève que le site de quarantaine n’avait pas été conçu pour accueillir un grand nombre de voyageurs, ce qui a fini par en réduire l’efficacité. Dans les années 1840 et 1850, en raison de la croissance de la ville, le site de quarantaine surpeuplé a davantage contribué à la propagation des maladies qu’à leur prévention.

Selon l’historien Jens Hanssen, dans son livre Fin de Siècle Beirut: The making of an Ottoman Provincial Capital (Oxford Historical Monographs), la ville a enregistré sa pire épidémie de choléra en 1865, causant environ 3 000 morts, principalement des ouvriers qui ne pouvaient pas partir et s’assurer une sécurité relative. Pendant ce temps, les habitants les plus privilégiés de la ville ont pu s’échapper vers les zones rurales du Mont-Liban.

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Le missionnaire américain Henry Jessup, l’un des nombreux fondateurs du « Syrian Protestant College » (qui deviendra plus tard l’Université américaine de Beyrouth, AUB) dans les années 1860, livre un compte-rendu de première main de l’épidémie dans ses Mémoires : « Pas moins de vingt mille personnes ont quitté la ville en une semaine... jeunes et vieux, à cheval et à pied, les visages pâles d’effroi, et tout cela avant qu’il n’y ait un seul cas à Beyrouth ; mais après quelques jours, la maladie s’est déclarée. »

Comme nombre d’habitants avaient fui Beyrouth pour se réfugier dans les montagnes, de nombreux villages ont mis en place des centres de quarantaine de fortune à l’intention des nouveaux arrivants, qui devaient y rester en isolement pendant 15 jours. Cependant, ceux qui ont eu la chance de quitter Beyrouth pendant l’épidémie de choléra sont revenus plus tard en ville pour constater que leurs maisons avaient été pillées, raconte Henry Jessup dans ses Mémoires.

Une carte postale montrant le centre de quarantaine de Beyrouth depuis la mer en 1907. Photo de la collection Sami Toubia

Plaque tournante pour les voyageurs – et les maladies

De nombreuses épidémies de l’époque ont pu être attribuées au nouveau statut de Beyrouth en tant que centre commercial régional, provoquant un afflux grandissant des marchands et des pèlerins.

Après l’épidémie mortelle des années 1860, le choléra réapparaît, à plus petite échelle, en 1875 et 1882. Dans les années 1890, un consultant médical français nommé Benoît Boyer est engagé par les autorités ottomanes pour rédiger un rapport évaluant les conditions médicales et l’hygiène publique dans la ville. Dans son rapport, celui-ci exprime son inquiétude quant à la capacité de Beyrouth de lutter contre le choléra, alors que le centre de Karantina, vieux de plusieurs décennies, se trouvait dans un état avancé de décrépitude.

Benoît Boyer et d’autres craignaient que la ville ne soit une porte d’entrée du choléra vers le reste du monde, en raison de l’activité incessante du port de Beyrouth et de son emplacement stratégique. Ils s’inquiétaient également de la construction récente d’une ligne de chemin de fer transportant des personnes des villes voisines à l’intérieur de Beyrouth, craignant que cela ne contribue à augmenter le nombre de cas, d’autant plus que la gare se trouvait à quelques mètres du centre de quarantaine.

L’une des suggestions de Benoît Boyer était de vider la ville, qu’il considérait comme exiguë et propice à la propagation des maladies, et d’en reconstruire de grandes parties. Selon le livre de Jens Hanssen, l’idée du Français s’est transformée en une vision directrice incluse dans le discours de planification urbaine de la ville, mise en œuvre pour la première fois pendant la Première Guerre mondiale.

Selon l’historien français Luc Chantre, le centre de quarantaine de Beyrouth situé en bord de mer a été agrandi pendant la période du mandat français après la Première Guerre mondiale pour inclure de nouveaux logements ainsi que des installations de dépistage afin de prévenir les épidémies de choléra parmi les pèlerins du hadj transitant par Beyrouth pour se rendre à La Mecque. Les fonctionnaires français en charge du centre ont même construit une mosquée sur place pour dissuader les voyageurs de rompre leur période d’isolement.

Les pèlerins du hadj devaient d’abord être placés en quarantaine à Beyrouth afin d’y subir des tests médicaux et être vaccinés. Avant de voyager par la mer vers Djeddah via le canal de Suez, les passagers recevaient un passeport de vaccination. Selon M. Chantre, quelque 150 000 vaccins contre le choléra ont été administrés pour la seule année 1931. Une vaccination massive qui a permis d’endiguer la propagation de la maladie, tant à La Mecque, à 1 500 kilomètres de là, que dans les pays d’origine des pèlerins.

Maladie en temps de guerre

L’arrivée d’antibiotiques largement disponibles dans la première moitié du XXe siècle n’a toutefois pas permis d’éradiquer définitivement le choléra du Liban. Cela est dû, en grande partie, à la guerre civile qui a duré 15 ans, de 1975 à 1990, durant laquelle la maladie est réapparue dans certaines régions en raison de la détérioration des conditions de santé publique. Une épidémie de choléra dans un quartier assiégé de Tripoli, en septembre 1976, a par exemple fait cinq morts, comme l’avait indiqué le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) aux médias de l’époque.

Plus tard, en 1985, les Palestiniens du camp de réfugiés de Chatila à Beyrouth, soumis à un blocus, ont été victimes d’une épidémie encore plus meurtrière, 12 enfants ayant succombé au choléra, selon l’Associated Press. La propagation de la maladie a été aggravée par le blocus lui-même, lorsque la « guerre des camps » de l’époque entre Amal, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le Hezbollah, le Parti communiste et le Parti socialiste progressiste (PSP) de Walid Joumblatt a coupé l’accès à l’eau potable et aux médicaments.

Quinze autres personnes sont mortes du choléra à Tripoli en 1990 en raison des pénuries de médicaments, d’électricité et d’eau, rapportait Reuters. Selon le ministère de la Santé, la dernière épidémie de choléra dans le pays remonte à 1993.

Dans quelle mesure les Libanais doivent-ils s’inquiéter du retour du choléra sur le territoire aujourd’hui, alors que la crise économique du pays affecte le secteur médical ? « Le choléra ne tue plus comme aux XIXe et XXe siècles », explique à L’Orient Today Anis Germany, médecin et chercheur en santé publique. Ce qui est inquiétant, en revanche, c’est que l’épidémie actuelle reflète « l’état du système de santé libanais » dans le contexte de la crise économique du pays, ajoute l’expert. « L’apparition de telles maladies infectieuses, qui ne sont pas endémiques dans notre pays et qui peuvent être évitées grâce à de bonnes mesures d’hygiène et de santé publique, signifie que l’ensemble du système s’effondre. » Ces mesures, ajoute-t-il, « se sont effondrées dès lors que les soins de santé sont devenus inaccessibles à la majorité de la population ».

La semaine dernière, le choléra a fait son grand retour au Liban, dans le Akkar et dans le nord de la Békaa, après qu’une épidémie se fut déclarée en Syrie voisine. Les premiers cas font craindre une propagation de la maladie sur le territoire, alors que la crise économique qui sévit dans le pays depuis trois ans complique l’accès aux soins médicaux.Ce n’est évidemment pas la...

commentaires (3)

Et le pire est à venir…..

Robert Moumdjian

05 h 19, le 19 octobre 2022

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Commentaires (3)

  • Et le pire est à venir…..

    Robert Moumdjian

    05 h 19, le 19 octobre 2022

  • LE CHOLERA PEUT ETRE GERE. LE CANCER -MERCERENIAL- ET LA GANGRENE -PARAVENTALE- ... EXCUSEZ POUR L,EMPLOI DE MOTS INEXISTANTS, LE LECTEUR Y COMPRENDRA... SONT DES MALADIES INCURABLES, IL FAUT AMPUTER DU CORPS LES MEMBRES ATTEINTS POUR SAUVER CE QUI PEUT L,ETRE ENCORE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 47, le 17 octobre 2022

  • Il ne manquait que ce fléau au liban …. Décidément

    LE FRANCOPHONE

    09 h 50, le 17 octobre 2022

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