Avec huit mois et demi de retard sur le début de la période à laquelle il aurait dû commencer à être exécuté, le budget de l’État pour 2022, le premier depuis 2020, aura mis beaucoup de temps à voir le jour.
Dans un contexte de crise qui n’en finit plus depuis 2019 et sur fond de manifestations aux abords du Parlement, le texte a finalement été voté hier soir à l’issue d’une séance entrecoupée d’un entracte de près de deux heures, au cours de laquelle les députés ont scanné au pas de course les 121 articles restants du projet envoyé par le gouvernement l’hiver dernier.
Mais à peine sortie du fourneau, la loi de finances a été aussitôt critiquée par une partie des députés présents, qui reprochent au gouvernement d’avoir singulièrement manqué de rigueur dans son calcul des dépenses et des recettes en amont et d’avoir improvisé des ajustements encore moins viables pendant la séance. « Le gouvernement est parvenu à réduire comme par magie le déficit public d’environ 6 000 milliards de livres pendant l’interruption de la séance. À ce rythme, je pense qu’il aurait pu atteindre l’équilibre, voire même afficher un excédent si les députés s’étaient absentés quelques heures de plus », a ironisé Ibrahim Kanaan, député du Courant patriotique libre (CPL) et président de la commission parlementaire des Finances et du Budget, lorsque L’Orient-Le Jour l’a contacté.
Taux de change à 15 000 livres
Le budget table sur des dépenses publiques estimées à 40 873 milliards de livres libanaises pour des recettes de seulement 29 986 milliards, selon les chiffres officiels communiqués. Le déficit est donc de 10 887 milliards de livres. « Le déficit était initialement d’un peu plus de 16 000 milliards. Mais le Premier ministre a officiellement annoncé que le montant des revenus pouvait être majoré d’environ 6 000 milliards en invoquant des revenus issus de taxes aéroportuaires (payées en dollars par les compagnies aériennes depuis le 11 août, NDLR) et de la majoration des tarifs des télécoms (en vigueur depuis le 1er juillet, NDLR) », a encore ajouté Ibrahim Kanaan. Des ajustements qui seront en principe incorporés dans la version définitive de la loi. Le flou règne sur la façon dont ce déficit sera comblé, étant donné que le pays est en défaut de paiement sur sa dette en devises depuis mars 2020 et qu’il ne pourra compter que sur les bons du Trésor en livres pour s’endetter.
Mieux que « rien »
Ibrahim Kanaan précise que le taux de change utilisé pour calculer le budget a été fixé à 15 000 livres libanaises pour un dollar. Mais la façon dont ce taux sera répercuté sur le budget restait floue hier, d’autant plus que le projet initial de l’exécutif tablait sur une combinaison de plusieurs taux. Pour le député du CPL, les projections de l’exécutif ne sont toujours pas cohérentes, malgré les nombreux rappels à l’ordre de la commission qui a consacré plusieurs réunions des derniers mois à l’examen du projet.
Du côté des Forces libanaises, le constat est identique. C’est du moins ce qu’a laissé entendre le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, Georges Adwan, qui a assuré dans une déclaration à la presse que son parti « contestait les chiffres », laissant entendre qu’il prévoyait de les examiner de près.
Le mouvement Amal, dirigé par le président de la Chambre Nabih Berry, semble, lui, se satisfaire de la situation. Le député et ancien ministre des Finances Ali Hassan Khalil a ainsi considéré qu’il valait mieux « avoir un budget que rien du tout », jugeant, à travers un raisonnement pour le moins tronqué, que les voix qui s’élevaient contre ce budget contestaient indirectement les droits dus aux militaires à la retraite. Les rémunérations des fonctionnaires sont toujours calculées sur la base du taux officiel de 1 507,5 LL, devenu obsolète avec une livre ayant perdu plus de 95 % de sa valeur depuis le début de la crise.
Ce que veut le FMI
Le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, semble pour sa part avoir milité avec insistance pour que le budget soit adopté, alors que son gouvernement avait relancé il y a près d’un an les discussions entre le Liban et le Fonds monétaire international (FMI) en vue de débloquer un programme d’assistance financière.
Mais si le Fonds a bien érigé le vote du budget 2022 parmi les conditions préalables à toute aide dans l’accord préliminaire conclu entre les deux parties le 7 avril dernier, la délégation qu’il a dépêchée au Liban la semaine dernière a rappelé à l’issue de sa visite que l’important consistait désormais à voter un budget 2023 crédible, conforme aux attentes et, cette fois, dans les délais. Le FMI a également insisté pour que les autorités adoptent un régime de taux de change unifié diffusé par la plateforme Sayrafa de la Banque du Liban (29 800 livres pour un dollar hier, contre environ 37 000 livres sur le marché parallèle), un taux qui servirait ainsi de base au calcul du budget.
Il s’agissait de la troisième séance de la Chambre consacrée au budget de l’année en cours, avec deux premières qui se sont tenues les 15 et 16 septembre derniers. Et ce alors que l’adoption du texte aurait dû être finalisée fin 2021 selon la Constitution ou, au maximum, fin janvier 2022, selon une procédure spécifique dont les conditions n’étaient de toute façon pas remplies en amont (le gouvernement devait avoir envoyé le projet de budget au Parlement avant le 15 octobre de l’année dernière).
Entrée en vigueur incertaine
Selon l’Agence nationale d’information (ANI, officielle), le vote s’est déroulé en présence de 106 députés sur 128. Soixante-trois députés ont voté en faveur du texte, 37 s’y sont opposés tandis que six autres se sont abstenus. Pour entrer en vigueur, la loi de finances doit désormais être entérinée par un décret itinérant, le gouvernement ayant démissionné dans le sillage des élections de mai et n’étant plus de pleins pouvoirs.
Cela signifie que ce décret devra être signé par le Premier ministre désigné, le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, et le président de la République Michel Aoun. Si les paraphes des deux premiers semblent acquis, il n’est pas encore certain que le chef de l’État, fondateur du CPL, suive le mouvement.
Malgré ce retard, le budget de 2022 n’en restera pas moins applicable, s’il entre en vigueur, comme le rappelle l’avocat Paul Morcos, directeur du cabinet juridique Justicia. « Une fois entré en vigueur, le budget sera considéré comme applicable sur la période qui s’étend d’ici à fin 2022, mais ne pourra pas être rétroactif conformément aux principes généraux qui régissent les finances publiques. C’est particulièrement vrai pour les amendements portant sur les prélèvements obligatoires », explique Me Morcos. « Ce budget aura de plus un impact très limité sur les finances publiques (les trois quarts de l’année s’étant déjà écoulés, NDLR), d’autant plus qu’il est adopté en contrevenant à tous les principes et délais normaux. »
Encore un torchon sans consistance aucune, qui sera, bien sur, approuve par ces hypocrites du FMI.
16 h 07, le 27 septembre 2022