Rien ne presse pour la classe dirigeante alors que le Liban coule un peu plus chaque jour qui passe. L'on en a eu une nouvelle preuve mercredi matin : l'ouverture, à 11h, de la séance parlementaire prévue, avec un retard déjà considérable, pour l'examen du projet de budget prévisionnel pour 2022, soit celui de l’année en cours, a en effet été reportée à jeudi 10h, faute de quorum.
Les députés devaient se retrouver tous les jours jusqu’à vendredi pour passer en revue les 121 articles de la dernière mouture qui leur a été soumise, et les comptes qui sont associés, fruit d’une série de « 22 réunions » de la commission des Finances et du Budget. Dans son rapport définitif, celle-ci a indiqué avoir reçu le 2 mars dernier le projet que venait alors d’adopter le gouvernement de Nagib Mikati, démissionnaire depuis les législatives de mai.
L’ensemble du processus a largement dépassé les délais normaux selon lesquels le cabinet aurait dû transmettre son projet de budget avant la session parlementaire d’automne de l’année dernière, soit avant le 15 octobre 2021, afin que le Parlement puisse l’examiner et le voter avant le début de cette année. En somme, l’exécutif devrait être actuellement en train de peaufiner son projet de budget pour… 2023.
Si les enjeux sont importants – l’adoption, même en dehors des clous, d’un budget pour 2022 étant un des prérequis de l’accord préliminaire conclu le 7 avril dernier entre le Liban et le Fonds monétaire international –, les responsables ne semblent pourtant manifester aucun sens de l’urgence, tandis que le pays continue de sombrer dans la crise qui a démarré en 2019. De surcroît, le projet transmis à l’Assemblée s’apparente davantage à un simple exercice de forme occultant son rôle de schéma directeur de la politique budgétaire du pays, comme cela devrait être le cas.
Absence d’équité fiscale
« Les dirigeants n’ont toujours pas changé d’approche et se contentent de couvrir les dépenses prévues avec de nouveaux prélèvements obligatoires, principalement des impôts indirects », souligne Karim Daher, avocat fiscaliste qui préside la commission dédiée à la protection des déposants au barreau de Beyrouth. Un schéma récurrent depuis plusieurs années alors que la situation dans laquelle le pays est aujourd’hui plongé impose un changement de méthode. L’avocat relève également l’absence d’équité sur le plan fiscal, dans la mesure où les nouvelles impositions mises en place s’appliquent de manière uniforme aux contribuables de toutes les catégories sociales, peu importent leurs revenus respectifs. Ce qui fait qu’une même taxe sera beaucoup plus pénalisante pour certains Libanais que d’autres et aggravera les inégalités entre contribuables.
La façon dont la question du taux de change dollar/livre à prendre en compte est en train d’être réglée illustre parfaitement ce travers. La monnaie libanaise a perdu 95 % de sa valeur depuis le début de la crise par rapport au taux de change officiel de 1 507,5 livres pour un dollar. Les Libanais sont ainsi obligés de jongler avec plusieurs taux de change, dont principalement celui du marché relayé par des sites informels (plus de 36 000 livres pour un dollar hier) et celui de la plateforme Sayrafa opéré par la Banque du Liban (28 600 hier), sans compter d’autres taux fixes réservés à certaines opérations bancaires.
Pas d’unification des taux
Or cette multiplicité des taux complique tout exercice visant à déterminer de manière crédible le montant des dépenses et des recettes de l’État, qui plus est sur une période d’un an. Au lieu de tenter d’unifier les taux (comme le FMI le demande aussi dans l’accord préliminaire), les responsables ont finalement décidé de faire cohabiter plusieurs taux dans le même budget : un taux effectif (sans le définir), le taux Sayrafa (qui change chaque jour ouvré) et un taux intermédiaire entre le taux officiel et celui du marché qui n’a toujours pas été déterminé mais qui aura vocation à être utilisé pour calculer notamment les droits de douane (le fameux « dollar douanier »).
Pour compliquer encore plus la donne, la commission des Finances et le ministère du même nom ont proposé trois scénarios différents en fonction du taux choisi pour le dollar douanier : 12 000, 14 000 et 20 000 livres pour un dollar. Selon ce dernier scénario, le seul inclus dans la version que L’Orient-Le Jour a pu consulter, les dépenses budgétaires s’élèvent à 37 834 milliards de livres, alors que les recettes budgétaires s’élèvent à 28 909 milliards de livres. En tenant compte des dépenses et des revenus du Trésor, les dépenses totales seront portées à 40 459 milliards de livres, alors que les recettes totales atteindraient 28 909 milliards de livres.
Pour rappel, le gouvernement envisageait initialement de fixer le taux du dollar douanier à 20 000 livres, un choix que les députés de la commission ont refusé d’endosser et qui s’est aussi heurté aux critiques de plusieurs organisations issues du secteur privé. La commission parlementaire n’a finalement pas tranché, laissant cette tâche à l’ensemble des députés. Courant août, les organismes économiques – une organisation patronale dirigée par l’ancien ministre et homme d’affaires Mohammad Choucair – préconisaient de fixer ce taux à 8 000 livres pour un dollar avant de le lever progressivement.
Dans la colonne des améliorations, Karim Daher relève que l’article qui donnait au gouvernement ou au seul ministre des Finances la prérogative de déterminer le taux de change applicable ou de le modifier, tout comme les tranches d’imposition, sans obtenir l’aval du Parlement (comme le prévoit la Constitution), a été supprimé. Il en est de même pour la disposition qui prévoyait le remboursement échelonné sur trois ans des impôts non acquittés au cours des années précédentes.
Le Midel tire à boulets rouges sur le projet de loi de finances
Le Mouvement international des chefs d’entreprise libanais (Midel), présidé par Fouad Zmokhol, a rejeté dans un communiqué hier le contenu du projet de budget pour 2022 que le Parlement doit commencer à examiner, le qualifiant « d’illusoire » et le considérant « impossible à mettre en œuvre », surtout à la lumière du retard accumulé dans le processus d’adoption. Le communiqué a été publié dans le sillage d’une réunion du comité exécutif de l’organisation qui rassemble des entrepreneurs locaux et issus de la diaspora.
Le Midel considère que la classe dirigeante, qui ne cesse d’entretenir ses divisions, essaye encore de « gagner du temps » dans un contexte de crise qui perdure depuis 2019, et qui a été considérée comme l’une des pires du monde depuis la moitié du XIXe siècle par la Banque mondiale.
Le Midel souligne notamment l’absence de clarté du projet au niveau du calcul des dépenses et des recettes, le fait qu’il maintienne la coexistence de plusieurs taux de change au lieu de les unifier, qu’il fasse l’impasse sur la nécessité de lutter contre l’évasion fiscale et qu’il mise sur des hausses de prélèvement obligatoires comme principal levier budgétaire. Une approche qui aura notamment pour effet secondaire de favoriser « la contrebande et le marché noir », ajoute l’organisation.
« Ce projet n’est qu’une liste de mesures sans vision claire (…) dont l’objectif vise à faire mine d’appliquer les exigences du Fonds monétaire international », a encore insisté le Midel. L’organisation estime enfin que les auteurs du budget – c’est-à-dire le gouvernement, le ministère des Finances et la commission – tablent sur un déficit réel équivalent à 850 millions de dollars « frais » sans détailler la méthode de calcul. Elle déplore enfin que la question de la dette publique ne soit pas abordée, alors que l’État a fait défaut sur le remboursement des eurobonds en mars 2020 et n’a toujours pas entamé de négociations sérieuses avec ses créanciers.
C'est facile de pondre un budget pour 2022 juste à la fin de 2022 voyons! on travaille au clair puisqu'on sait ce qu'on a dépensé, gagné ou perdu durant l'an déjà passé et on évite donc les erreurs coûteuses... C'est la leçon en économie que le ministre libanais de quelque chose voulait donner au monde et à ces donateurs même qui couvraient ses erreurs ... d'autres ministres magnanimes lancent des pierres contre l'ennemi qui lui nous survole quand il lui plaît sans oublier le ministre prêtre de la loi de la jungle qui invente des avatars de juges pour supplanter un juge dont la seule faute est de ne point plaire aux accusés. Le monde à l'envers vous dites. Pardon mais c'est plutôt le monde dans les latrines!
00 h 50, le 14 septembre 2022