Souffler le chaud et le froid. Telle semble être la stratégie du président de la République Michel Aoun pour l’après-31 octobre. Alors qu’il ne cesse d’afficher sa volonté de quitter Baabda à la fin de son mandat, il continue, fidèle à sa tradition, d’entretenir le flou autour de sa prochaine étape. Sauf qu’hier, le président a franchi un nouveau cap : « Je quitterai Baabda si la situation est normale et que personne ne cherche à nuire », a-t-il tonné dans une interview publiée par le quotidien pro-Hezbollah al-Akhbar. Beaucoup d’inconnues dans une simple phrase qui ouvre la voie à plusieurs scénarios possibles que le président justifie par sa crainte d’un « complot dont les manœuvres ont déjà débuté » contre « le système (politique en vigueur), l’État, la présidence et la Constitution ». « Si je sens qu’un complot advient, je ne resterai pas les bras croisés », a-t-il menacé. Comme à son accoutumée, Michel Aoun s’est abstenu de dévoiler ses plans. « Le président quittera le palais à la fin de son mandat. Mais il se réserve le droit de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de l’État et la pérennité de l’action gouvernementale », se contente de commenter pour L’Orient-Le Jour un proche de Baabda. « Tout comme (le président de la Chambre) Nabih Berry, M. Aoun pourrait tirer des lapins de son chapeau au bon moment », affirme de son côté un responsable au sein du Courant patriotique libre. S’étalant sur le « complot » qu’il affirme redouter, Michel Aoun l’a lié à l’échec du Premier ministre désigné, Nagib Mikati, à former un nouveau gouvernement. « Si le cabinet reste dans son état actuel, cela signifie que nous faisons face à un complot. J’ai peur que celui-ci soit préparé pour le dernier jour de mon mandat, le 31 octobre. Un complot comparable à un putsch contre l’État, la présidence et la Constitution », a-t-il dit. En cas d’échec à élire un président et former un nouveau gouvernement avant le 31 octobre, le pays fera alors face à un vide total au niveau de l’exécutif pour la première fois de son histoire. Dans son interview, le chef de l’État a cherché à se laver les mains d’une telle dérive. « S’il y a une vacance (au niveau de la présidence), ça ne sera évidemment pas moi le responsable, mais le Parlement. La responsabilité incombe à celui qui est derrière l’obstruction de la séance » consacrée à l’élection. Une pique en direction du chef du législatif Nabih Berry qui, deux semaines après le début du délai constitutionnel pour élire un nouveau président (le 1er septembre), n’a toujours pas fixé de date à la première séance électorale. Avant de passer à l’acte, M. Berry préfère, selon ses milieux, attendre qu’une entente autour du futur chef de l’État soit conclue.
La contestation chez ses adversaires
Cette entente semble être l’objectif derrière la dynamique engagée depuis lundi par les députés de la contestation. Ces derniers ont poursuivi hier leur tournée auprès des protagonistes afin d’exposer leur initiative prônant un président de sauvetage. Leur délégation s’est d’abord rendue à Sin el-Fil pour un entretien avec le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, l’homme politique le plus conspué de la rue dont ces parlementaires sont issus. À cet égard, Michel Doueihy, député de Zghorta, a déclaré : « Il faut se réunir avec tout le monde, en dépit des mésententes politiques. » « Nous saluons l’initiative des treize députés. Les prochains jours montreront que nous pouvons collaborer avec les bonnes gens », a pour sa part souligné Georges Atallah, député CPL du Koura. Si les discussions n’ont pas porté sur des noms de présidentiables, M. Bassil a pris le soin d’affirmer devant ses hôtes qu’il n’est pas candidat à la succession de son beau-père, apprend-on de source informée. Comme pour rassurer ses détracteurs qui l’accusent de tout faire pour accéder à Baabda.
Deuxième étape : Aïn el-Tiné. Les parlementaires de la contestation se sont réunis avec une délégation du bloc parlementaire de Nabih Berry, lui aussi largement décrié par la rue depuis la révolte de 2019. Cette fois-ci, c’est Paula Yacoubian qui a expliqué la démarche : « Nous avons été élus pour collaborer avec tout le monde pour le bien du pays. » De son côté, le député d’Amal Ali Hassan Khalil a rappelé que M. Berry a défini les critères du présidentiable idéal, à savoir quelqu’un qui bénéficie d’une « acceptabilité musulmane et nationale » en plus de son appartenance chrétienne. Après un entretien avec d’autres députés de l’opposition, Michel Moawad et Achraf Rifi, la délégation a été reçue par le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, et deux de ses collègues. Selon Halimé Kaakour (Chouf), le dialogue a été « franc » et a abordé le concept de la souveraineté et la question des armes.
« Ça ne me dérange pas »
En attendant, Michel Aoun et Nagib Mikati continuent de s’écharper autour de la formation du gouvernement. Dans son interview, le président a réaffirmé qu’un gouvernement démissionnaire ne peut pas assumer les prérogatives du chef de l’État, estimant qu’il s’agirait d’une « violation de la Constitution », alors que celle-ci ne dit rien à ce sujet. Il s’est une fois de plus prononcé pour un élargissement du cabinet sortant en y incorporant six figures politiques, une option rejetée par M. Mikati. Justifiant son intransigeance, il a déclaré : « On ne sait pas jusqu’à quand peut durer le vide politique, et sans accord sur un nouveau gouvernement, nous n’arriverons à rien. Mais la base d’un accord, c’est l’équilibre, et nous n’y sommes pas pour l’instant. » Et d’insister sur le partenariat dans ce processus : Ce n’est pas à lui seul de former le cabinet, tout comme je ne peux moi-même lui imposer mes conditions, a-t-il dit en substance. « Tant qu’il n’y a pas d’accord avec le Premier ministre, ça ne me dérange pas de ne plus le voir », a-t-il toutefois lancé. Lors d’une cérémonie au Sérail, M. Mikati a répliqué en appelant à « cesser de poser des conditions dans une claire tentative de retirer des bénéfices politiques inacceptables », dans une allusion à Gebran Bassil, accusé de vouloir contrôler l’action d’un cabinet qui pourrait gérer le pays après le 31 octobre.
commentaires (18)
Je quitterai Baabda a t-il dit. A bon parce qu’il y était déjà? Si oui à faire quoi sans indiscrétion?
Sissi zayyat
18 h 53, le 15 septembre 2022