"Je quitterai Baabda si la situation est normale et que personne ne cherche à nuire" : cette phrase du président de la République, Michel Aoun, suffit à de nouveau instiller le doute sur son prochain départ de Baabda, à un peu plus d'un mois de la fin de son mandat, dans un Liban en lambeaux.
Dans une interview accordée au journaliste Nicolas Nassif, du quotidien al-Akhbar, publiée mardi, le chef de l'État affirme redouter "un complot" dont "les manœuvres ont déjà débuté" contre lui, alors que le pays a entamé le 1er septembre la période électorale afin que les députés lui élisent un successeur. Sauf que le président de la Chambre n'a toujours pas convoqué les élus, faisant redouter une vacance à la présidence, alors que le gouvernement sortant de Nagib Mikati gère depuis le 22 mai les affaires courantes.
Le président est aussi revenu sur la tension qui l'oppose au Premier ministre désigné autour de la formation d'un nouveau cabinet. Michel Aoun a affirmé qu'un gouvernement démissionnaire "ne peut assumer les prérogatives du président de la République" et a accusé M. Mikati de "manque de transparence" lors de leurs différents entretiens sur cette question.
"Je ne resterai pas les bras croisés"
Depuis quelques temps, le président souffle le chaud et le froid sur son intention de quitter son siège à Baabda à la fin de son mandat, le 31 octobre. Répétant sans cesse qu'il quittera le palais présidentiel en temps et en heure, il tempère souvent ses propos en y ajoutant certaines conditions. Et c'est ce qu'il a de nouveau confié à al-Akhbar : "J'espère qu'au 31 octobre tout sera normal, pour que je rentre chez moi rassuré. - Avez-vous des doutes ? - Bien sûr que j'en ai", a-t-il affirmé en réponse à une question du journaliste.
"Je quitterai Baabda si la situation est normale et que personne ne cherche à nuire. Si je ressens qu'un complot advient, je ne resterai pas les bras croisés", a également affirmé le chef de l'État, qui assure déployer "tous ses efforts" pour qu'un nouveau président soit élu dans les délais constitutionnels. "J'espère la céder (la présidence) à mon successeur, qu'ils sont actuellement en train de choisir", a-t-il affirmé en parlant des députés, alors que les discussions entre les différents groupes parlementaires battent leur plein pour tenter de se mettre d'accord sur des candidats présidentiables.
Complot déjà débuté
"S'il y a une vacance, ça ne sera évidemment pas moi le responsable. C'est le Parlement qui l'est. La responsabilité effective revient à celui qui est derrière l'obstruction de la séance" parlementaire lors de laquelle les députés doivent élire le prochain président, a également lancé Michel Aoun dans une pique claire à Nabih Berry, chef du Législatif qui doit convoquer ladite séance.
"Ma décision est connue : celle de quitter la présidence à la fin de mon mandat. Mais attention. Les manœuvres du complot ont déjà débuté, et seront encore plus graves après la fin du délai constitutionnel et de la vacance" présidentielle, a affirmé le chef de l'État. Si aucun successeur n'est trouvé, le Liban pourrait se retrouver pour la première fois de son histoire dans une vacance totale au niveau de l'Exécutif, sans président et avec un gouvernement démissionnaire. Dimanche soir, le chef de l'Église maronite Béchara Raï a appelé Michel Aoun à quitter Baabda à la fin de son mandat.
Mikati ? "Ça ne me dérange pas de ne plus le voir"
Le chef de l'État est également revenu sur l'autre sujet politique épineux du moment : la formation d'un nouveau gouvernement. "Je préfère que six ministres d'Etat politiques soient ajoutés" au cabinet sortant, a affirmé Michel Aoun. "On ne sait pas jusqu'à quand peut durer le vide politique, et sans accord sur un nouveau gouvernement, nous n'arriverons à rien. Mais la base d'un accord, c'est l'équilibre, et nous n'y sommes pas pour l'instant", a-t-il affirmé.
Alors que l'ambiance est à couteaux tirés avec Nagib Mikati, Baabda et le Sérail s'accusant mutuellement d'empêcher la formation d'un gouvernement, Michel Aoun a réitéré ses critiques envers le PM désigné : "Malheureusement, nos réunions manquent de transparence [...] Je suis toujours prêt à un accord avec lui - s'il le veut - selon des critères partagés entre lui et moi pour la formation d'un gouvernement", a déclaré le chef de l'État. "Ce n'est pas à lui seul de le former, il sait bien ce que la Constitution dit de ses prérogatives et des miennes. Comme je ne peux pas lui imposer mes conditions", a-t-il également tempéré, avant de lancer cette phrase : "Tant qu'il n'y a pas d'accord avec le Premier ministre désigné, ça ne me dérange pas de ne plus le voir".
Michel Aoun l'a également répété : un gouvernement démissionnaire "ne peut assumer les prérogatives du président de la République. C'est non seulement une violation de la Constitution, mais cela nous expose aussi à une vraie crise nationale qui peut s'embraser", a-t-il estimé. "Si le gouvernement reste dans son état actuel, ce que beaucoup souhaitent, cela signifie que nous faisons face à un complot. J'ai bien peur que celui-ci soit préparé pour le dernier jour de mon mandat, le 31 octobre, un complot comparable à un renversement de l'État, de la présidence et de la Constitution", a-t-il poursuivi, employant de nouveau le terme de "complot" dans cette perspective. Des déclarations qui ne manqueront pas de faire réagir les détracteurs du président, qui l'accusent régulièrement de vouloir s'accrocher à son siège.
En 1988, sous le mandat du président Amine Gemayel, Michel Aoun, à l'époque commandant en chef de l'armée, avait été nommé à la tête d’un gouvernement militaire de transition chargé d’élire le prochain chef de l’État. Il s'était toutefois abstenu d’organiser le scrutin, et avait dû quitter le palais de Baabda par la force après l’offensive menée par l’armée syrienne le 13 octobre 1990.
Mikati réagit
La réponse du Premier ministre désigné à l'interview du président Aoun ne s'est pas fait attendre. "Nous poursuivons tous nos efforts pour former un nouveau gouvernement, et en face il faut que ces efforts soient suivis par tous les responsables", a affirmé Nagib Mikati dans la matinée de mardi. Lors d'une réunion au Sérail consacrée à la jeunesse libanaise, le chef du cabinet sortant a appelé à "cesser de poser des conditions et des obstacles, dans une claire tentative de retirer des bénéfices politiques inacceptables", une attaque à peine voilée à Michel Aoun et son camp politique. "Nous devons tous nous entraider pour régler le dossier du gouvernement et contribuer à renforcer la stabilité politique, en évitant les polémiques stériles et sans intérêt", a-t-il poursuivi.
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Vivement le 1er Novembre
paznavour
22 h 59, le 13 septembre 2022