
Le palais présidentiel de Baabda avec les drapeaux en berne suite à la doube explosion du 4 août 2020. Photo d’illustration ANI
À quelques semaines de la fin du mandat de Michel Aoun, nous ne savons toujours pas si l’échéance de l'élection présidentielle sera respectée. Pis, dans un pays ravagé par les conséquences de la crise et l’absence de la moindre mesure pour y faire face, l’enjeu semble lointain des préoccupations vitales de la plupart de nos concitoyens et réduit au sempiternel théâtre des ambitions personnelles, voire à l’affaire d’une seule communauté. Que l’on ne s’y trompe pas : quelle que soit son issue, cette élection constitue un point de bascule : comment garder un dernier espoir de redresser le pays en cas de poursuite du vide ? Comment concevoir un Sleiman Frangié ou un Gebran Bassil à la tête du pays, trois ans après le soulèvement du 17 octobre dirigé avant tout contre ce qu’ils incarnent ?
L’importance de l’échéance nous impose trois objectifs : reprendre la main sur le processus électoral en le « libanisant », réaffirmer les prérogatives du président à partir de la Constitution et redéfinir les qualités requises pour ce poste afin de trouver un candidat à la hauteur de la fonction. C’est à ces conditions que l’échéance électorale qui nous attend pourrait constituer un nouveau départ, et donner un cap et un visage à une nation dont beaucoup de Libanais commencent à douter.
Depuis la fin de la guerre civile, la fonction présidentielle n’a cessé d’être rabaissée : « deals » décidés de l’étranger, prorogations de mandat et périodes de vacance présidentielle ont contribué à délégitimer la fonction. Au prétexte d’une remise en cause – certes réelle – des prérogatives présidentielles par l’accord de Taëf (1989), les présidents successifs se sont résignés à servir de « couverture légale » aux diverses influences étrangères ou se sont associés au pillage de l’État, au même titre que les autres composantes du paysage politique d’après-guerre.
Paradoxalement, le coup de grâce aura été porté en 2016, avec la « présidence forte » de Michel Aoun. Plutôt que de servir à rétablir un équilibre institutionnel permettant un meilleur fonctionnement de l’État, la logique tribale, confessionnelle et prédatrice qui dicte le comportement des acteurs politiques libanais a continué de saper tous les étages de l’édifice. Pire encore, l’instrumentalisation des fameuses « prérogatives présidentielles » dans des marchandages politiques de bas étage et l’indifférence manifeste du locataire de Baabda aux souffrances de son peuple – y compris lors de la double explosion du 4 août ! – ont achevé de désacraliser la fonction. Rarement un président aura été autant décrié dans les rues de Beyrouth.Peut-on donc réhabiliter la magistrature suprême après trois décennies de décadence ? La question est d’autant plus légitime que les circonstances sont d’une gravité rare. Mais un précédent, dans un contexte tout aussi exceptionnel, peut nous inspirer. Le 31 juillet 1958, Fouad Chéhab accède à la magistrature suprême avec une mission claire : stabiliser le pays, en pleine guerre civile, avec un gouvernement de sauvetage resserré, un mandat raccourci… Une formule capable de réunir un consensus auprès des leaders ayant à cœur l’intérêt supérieur du pays, à commencer par son opposant de toujours – et « Amid» du Bloc national – Raymond Eddé. Après avoir résorbé le conflit de 1958, la présidence Chéhab posera les bases d’un État moderne et participera à rétablir une figure présidentielle pour tous les Libanais au-dessus des appartenances confessionnelles et partisanes. Soucieux de préserver l’esprit de la Constitution et le caractère exceptionnel de son élection en tant que chef de l’armée, il tentera même, sans succès, de démissionner en 1960.
Plus d’un demi-siècle plus tard, alors que le Liban plonge vers l’abîme, ces qualités et ce consensus national sont plus que jamais requis pour sortir de l’ornière. Mais contrairement à 1958 et compte tenu des aspirations nées du soulèvement d’octobre 2019, il nous appartient cette fois d’exiger que le choix du président soit le nôtre, nous citoyens libanais, et non celui de puissances étrangères. De la célèbre déclaration de Hafez el-Assad en 1988 – « Emma Daher aou el-fawda » (« Mikhaël Daher ou le chaos ») –, qui imposait son candidat face à l’envoyé américain venu le consulter, à l’accord de Doha en 2008, l’échéance présidentielle n’a en effet cessé d’être soumise aux desiderata extérieurs. Cela étant, les évolutions géopolitiques en cours et l’ampleur des défis qui se posent à la planète tendent à reléguer le Liban à une place secondaire dans l’agenda des chancelleries. À nous d’en faire une opportunité, d’imposer notre décision et d’opposer au fatalisme ambiant le volontarisme de la souveraineté populaire.
C’est la raison pour laquelle l’initiative du 3 septembre courant lancée par les 13 députés réformistes doit être soutenue car elle permet d’établir des critères clairs pour le prochain président. Dans sa mission, le nouveau président devra avant tout réconcilier les Libanais avec l’État. Un président qui rassemble, tout en affirmant clairement les fondamentaux de la souveraineté. Un président qui reprenne en main les fonctions régaliennes pour redonner à tous les Libanais un sentiment de sécurité. Qui mène une diplomatie guidée par une neutralité active permettant de retrouver nos relations avec notre entourage et servant les intérêts des Libanais ici et ailleurs. Un président qui veille aux intérêts de l’armée et la préserve d’une implication dans les affaires internes. Un président qui fasse de l’indépendance et du bon fonctionnement de la justice une priorité absolue. Un président qui soutienne activement le programme de sauvetage préconisé par le FMI, car le retour en grâce du Liban au sein de la communauté internationale passera aussi par une crédibilité retrouvée sur le plan financier. Un président, enfin, qui se place au-dessus des intérêts partisans, sectaires et claniques, et qui trouve sa force dans son attachement à la Constitution, dans son intégrité et dans le soutien des Libanais à son action. La feuille de route peut sembler ambitieuse, mais a toute sa place dans un régime « semi-présidentiel ».
La responsabilité des députés issus de la contestation dans la réussite de cette initiative est grande. Et si la réalité politique issue du dernier scrutin législatif ne permet pas d’exiger une obligation de résultats, ils ont cependant une obligation de moyens : avant tout, mettre de côté leurs ambitions personnelles et dépasser leurs différends pour entamer des discussions avec les autres blocs parlementaires, mais aussi – pour contrebalancer les effets excluants de ce suffrage indirect – l’ensemble des grandes formations issues de la société civile. Afin que cette échéance soit vraiment l’affaire de tous.
Cela implique aussi une certaine audace de la part de nos concitoyens : oser imaginer un autre président pour le Liban, c’est aussi croire qu’il existe des candidats intègres et courageux qui ne cèdent ni aux avances des uns ni aux intimidations des autres. Un président pour qui la présidence ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen – un moyen de rétablir l’État et sauver le pays du chaos.
Reprendre la main sur l’échéance, c’est faire ce que nous avons à faire afin de commencer à recouvrer notre souveraineté. Et en redonnant sa dignité à la fonction présidentielle, c’est au peuple libanais que l’on rendra sa dignité.
Par Naji ABOU KHALIL
Membre du comité exécutif et directeur politique du Bloc national (BN).
Par Michel HÉLOU
Membre du comité exécutif du BN, ancien candidat aux élections législatives 2022 à Baabda et ancien directeur exécutif de « L’Orient-Le Jour ».
Excellente analyse. J’ajouterais que les 13 et leurs alliés comme le Bloc devraient oser nommer un candidat représentant le changement, sans attendre, et en faire leur porte parole pour ce nouveau Liban non sectaire et non inféodé à l’étranger, Composer avec d’autres partis confessionnels ne fonctionnera jamais et diluera le message (rappelons nous le fiasco de la nomination avortée de Nawaf Salam) alors qu’un vrai candidat laïc et réformateur serait un premier pas dans l’édification d’un État de droit. Il ne gagnera peut être pas mais il fera avancer le Taghyeer de façon significative .
02 h 47, le 12 septembre 2022