Près de trois ans après le déclenchement de la crise économique et sociale sans précédent qui l’a mis à genoux, le Liban reste dans l’impasse. Aucune des grandes réformes structurelles promises à la population et aux partenaires internationaux n’a véritablement été mise en œuvre, tandis que les élections législatives tant attendues du printemps dernier ont, certes, rebattu partiellement les cartes du jeu politique – avec notamment la percée d’une quinzaine de députés se réclamant de la contestation –, mais pas de manière à changer la donne ni laisser entrevoir une solution politique globale aux multiples maux auxquels est confronté le pays.
Tel devrait précisément être l’enjeu de la prochaine échéance électorale qui l’attend, si les échéances constitutionnelles sont respectées, d’ici à la fin du mandat du président Aoun, le 31 octobre prochain. Or au fur et à mesure que l’on se rapproche de cette échéance, la multiplication des actes de candidature et les déclarations qui les accompagnent peinent à masquer le vide des propositions en termes de projet. Le patriarche maronite Béchara Raï ne s’y est d’ailleurs pas trompé dans son homélie du 14 août : « Il n’est pas permis en cette étape d’entendre des noms de candidats par-ci et d’autres par-là, sans que personne ne propose une vision pour sauver le Liban de la crise », avait-il notamment déclaré.
Car même dans l’hypothèse, peu probable, où les réformes administratives et financières exigées seraient finalement adoptées, elles ne suffiront pas à rétablir la confiance, reconstituer l’entité libanaise, restaurer les institutions étatiques et redonner sa cohérence perdue à un système politico-confessionnel devenu complètement dysfonctionnel.
Neutralité active
La notion de « manzouma » (clique au pouvoir) en constitue une parfaite illustration en ce qu’elle désigne tout le monde sans cibler personne, y compris ceux qui détiennent le pouvoir, et masque la complexité d’un système politico-communautaire qui, depuis 1926, repose notamment sur une forte confusion entre différents modèles institutionnels – un système parlementaire démocratique égalitaire et unitaire, un système quasi présidentiel ou patriarcal (illustré aussi bien par la formule « père de tous » que par les aspirations de son héritier présomptif…) sur lesquels vient se greffer une fédération de communautés voire, à entendre les craintes de plus en plus audibles de certains Libanais, le risque d’une dérive théocratique imposée par la force par « le parti de Dieu ». Comment jongler avec toutes ces contradictions ? Ce système hybride et inachevé s’est maintenu durant presque 100 ans, vaille que vaille, à travers des compromis provisoires et ponctuels, à la suite d’événements sanglants (pacte national, accords de Lausanne, Taëf, Doha…) visant uniquement à maintenir le statu quo et n’apportant pas de vraie solution à long terme. Seul le président Fouad Chehab, arrivé au pouvoir après les événements de 1958, s’était aventuré à introduire des réformes uniquement administratives, espérant faire émerger un État indépendant des communautés, mais sans parvenir à remettre en question les fondements du système communautaire sur lequel s’appuyaient ses adversaires (les fameux « fromagistes »), par respect pour la Constitution.
Aujourd’hui, alors que le Liban est en « crise de vie, à cause de sa trop grande diversité », pour reprendre les mots du pape François, le patriarche maronite semble être le seul à proposer une solution politique forte et cohérente, articulée autour du concept de « neutralité active ».
Dans un mémorandum publié en août 2020, le patriarche affirme qu’à travers cette notion, le Liban peut posséder « trois dimensions interdépendantes, complémentaires et indivisibles ». Une première consistant « à empêcher de manière radicale le Liban d’être entraîné dans des alliances politiques, des axes, des conflits et des guerres régionaux et internationaux ». Une deuxième permettant le respect de « l’engagement du Liban envers les droits de l’homme et la liberté des peuples, notamment arabes, sujets sur lesquels leurs pays et les Nations unies se retrouvent ». Et enfin une dimension de renforcement de l’État libanais « pour qu’il devienne un État fort militairement de par sa propre armée, ses institutions, ses lois, sa justice, son unité interne et ses réalisations créatrices ».
Il est d’ailleurs étonnant qu’aucun des leaders politiques prétendant s’opposer à « l’axe de la résistance » n’a pris la peine de reprendre sérieusement et clairement cette proposition, y compris parmi les nombreux candidats à la présidence qui se pressent pourtant à tour de rôle pour recueillir son soutien à leurs projets personnels, dépourvus de toute proposition concrète. Seul le Vatican soutient informellement la proposition politique du patriarche maronite et reconnaît la difficulté de gérer un pays pluricommunautaire, tout en relevant, 25 ans après la visite de Jean-Paul II en 1997, que le pays-message ne s’est pas incarné pleinement, de manière politique. D’où le retard parfaitement justifié du Saint-Père à répondre à l’invitation insistante des dirigeants libanais plus que jamais divisés.
Résultat, en termes de neutralité, le maximum que ses partisans pourraient espérer obtenir, c’est de revenir aux 17 points de la « Déclaration de Baabda », adoptée il y a dix ans, avec l’agrément de toutes les parties dont le Hezbollah – qui s’en est depuis allégrement dégagé, bloquant les élections deux ans après, jusqu’à l’élection de son propre candidat qui cherche maintenant son successeur.
Projets inaboutis
Mais au-delà de la neutralité active prônée par le patriarche, aucun des autres projets de réforme politique d’envergure qui émergent, plus ou moins clairement, des différentes composantes de la « société civile » ne semble davantage trouver de candidat à la magistrature suprême capable de l’exposer à la population et ou de le décliner sous forme de mesures concrètes.
Certes, nombre des idées de ce type qui trouvent un écho auprès de franges plus ou moins importantes de la population peuvent paraître pour le moment inadaptées ou en tout cas impropres à résoudre pleinement l’imbroglio libanais.
Par exemple, alors que la notion de laïcité semble avoir le vent en poupe depuis le soulèvement du 17 octobre, on ne peut que constater que ce principe semble aujourd’hui en crise dans le pays qui l’a inventé, la France, face à la montée du communautarisme ou du « séparatisme » dénoncé par le président Macron. Un phénomène auquel sont d’ailleurs confrontées toutes les sociétés contemporaines multiculturelles, à l’heure de la mondialisation et de l’explosion des flux migratoires. Que serait-ce alors au Liban, qui s’est construit autour des communautés et qui n’a jamais véritablement été un État-nation ?
Certains prônent la révision des accords de Taëf de 1989 au profit d’un tripartisme communautaire ou une récupération des prérogatives présidentielles perdues du président maronite, ce qui ne ferait que renforcer le clivage et un plus grand retour aux rapports de force entre les communautés, soit par les moyens militaires, soit par la démographie ou la menace d’implantations massives et de naturalisations aveugles.
D’autres préconisent le fédéralisme ou au mieux la décentralisation administrative avancée (qui pourrait correspondre à une forme de fédéralisme déguisé). Encore une fois, il y a, hélas, une difficulté à définir des espaces cohérents, compte tenu de l’interpénétration et l’interdépendance de la géographie libanaise.
Et finalement, il y a ceux qui préfèrent une forme de tutelle – d’Orient ou d’Occident – qui sert leurs intérêts, ce qui condamne le Liban à n’être qu’un pays tampon et prouvera encore une fois la défaillance structurelle du modèle libanais et l’incapacité des Libanais à se gouverner eux-mêmes.
En somme, toutes les solutions politiques avancées jusqu’à présent pour gérer le pluralisme communautaire semblent pour le moment inadéquates, en ce qu’elles s’apparentent surtout à une tentative de sauver une expérience inédite, utopique et encore inaboutie après un siècle d’existence. Comment exporter une expérience non conceptualisée ?
Un tel constat ne saurait cependant justifier l’absence de projets et de véritables débats dans cette échéance cruciale pour l’avenir du pays. Peut-on encore espérer un vrai président responsable et conséquent, avec une vraie vision politique, qui remettra de l’ordre et un cadre de cohérence dans cette nation devenue si misérable ? À ce stade, il est permis d’en douter…
Par Bahjat RIZK
Avocat et écrivain. Dernier ouvrage : « Les paramètres d’Hérodote » (éditions L’Orient-Le Jour, 2009).
Tant que les libanais regardent ailleurs et prétendent vouloir sauver le monde alors que leur pays est à l’agonie, on ne sortira jamais de cet enfer politique déguisé en appartenance religieuse où chaque communauté se sent rattachée à un pays qui la représente. Si ces libanais se sentent tellement investis par leur religion et se réclament iraniens, palestiniens, arabes et autres et entendent la défendre aux dépens de l’intérêt de leur pays en voulant le transformer pour qu’il leur ressemble, ils ne méritent pas de rester sur notre sol libanais qui s’est toujours constitué et réclamé comme étant le pays multiculturel et ouvert au monde aspirant à évoluer au lieu de régresser et de détruire notre culture durement acquise pour ressembler à leur pays idole. Tout libanais devrait se réclamer avant tout libanais et défendre les us et coutumes de son pays ou alors le quitter et aller vivre dans le pays qui lui correspond le mieux. On n’a jamais exigé de visa de sortie pour les non satisfaits de leur nation, la porte est grand ouverte. Qu’ils partent et qu’ils laissent ce pays revivre et prospérer loin de leurs idéologies archaïques et fanatiques qui l’étouffent depuis presque un siècle.
11 h 59, le 28 août 2022