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Culture - Exposition

Ania Soliman, la nature à travers l’écran et l’écran à travers la nature

À la galerie Sfeir-Semler, l’artiste égyptienne, polonaise et américaine interroge au sein de « terraform »*, sa première exposition solo moyen-orientale, l’incidence de la nature sur la technologie (et vice versa) en livrant un ensemble dont les turbulences et l’intensité sont un reflet d’elle. Un ensemble profondément humain.

Ania Soliman, la nature à travers l’écran et l’écran à travers la nature

Ania Soliman devant l’une de ses toiles qui reflète ses turbulences intérieures. Avec l’aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler

À la veille du vernissage de « terraform », sa première exposition solo au Moyen-Orient, L’Orient-Le Jour a retrouvé Ania Soliman dans le local de la galerie Sfeir-Semler.

À peine le tour démarre-t-il que l’artiste à la triple nationalité égyptienne, polonaise et américaine s’avoue submergée par les émotions. « Parce que regarder ces œuvres me ramène au moment de leur fabrication, et je dois admettre que c’était dur », dit-elle. C’est sans doute aussi parce que ces œuvres-là sont, d’une certaine manière, effleurées, contaminées par le souffle de Beyrouth où la plupart ont été créées en un mois seulement. C’est sans doute aussi parce que ces œuvres-là – dont certaines sont bombées à l’aérosol et d’autres peintes en un kaléidoscope de lignes si obsessionnelles qu’on les confond avec le geste d’un robot – sont toutes traversées par les turbulences qui habitent Ania Soliman. Elles sont les expressions monochromes de toutes les questions, les questionnements qui l’interpellent et l’empêchent de dormir, notamment celle, centrale à l’exposition, de l’intersection entre la nature, la technologie et les humains. D’ailleurs, le titre de l’exposition, « terraform », fait écho à la reproduction artificielle des écologies terrestres, à l’humanisation de la nature.

L’œuvre d’Ania Soliman est avant tout et par-delà son intensité, une œuvre efficace dont on sort interpellé, curieux, mais jamais essoré. Avec l'aimable autorisation de la galerie Sfeir Semler

Une forêt tropicale

Ania Soliman a grandi à Bagdad, et elle dit avoir en même temps grandi avec l’image d’une forêt tropicale dans l’inconscient. Lors d’une visite dans un musée d’anthropologie à Bâle, elle retrouve ce qu’elle pense être cette image. C’est le genre d’image générique qui occupait nos fonds d’écran au début des années 2000, celle d’un tigre noyé dans les arbres et autres branchages d’une forêt tropicale. Aussitôt l’image retrouvée, Soliman s’essaye à une pratique à l’époque encore informelle. Dans un premier temps, elle projette l’image sur une toile de quatre panneaux, qu’elle cartographie à l’aide d’un système d’annotation qui divise ce champ en espaces « positifs » (dessins de premier plan) et « négatifs » (le fond). Puis, dans un second temps, elle reconstitue sur cette sorte de grille l’image en question, dont le résultat est une sorte de vortex naturel qui attrape le regard, avec ce même vert hypnotique qui est celui des écrans. Si bien qu’on ne sait plus ce à quoi l’on fait face, est-ce un vert naturel ou digital, l’image de fond est-elle numérique ou produite par l’homme ? L’artiste exprime-t-elle le désir d’un nouveau rapport à la machine ? Humanise-t-elle ici le monde digital ou, au contraire, tente-t-elle d’enfermer la nature dans un écran inventé ? Est-elle, après tout, cet appareil humain qui mime la machine binaire à travers cette image qui est son expression la plus commune ? Ces questions que l’on se pose instinctivement à l’entrée de l’exposition – qui donne son nom à cette première œuvre – sont exactement celles qu’Ania Soliman nous pousse à nous poser. En ce sens, pour les bambous en jaune de cadmium qui occupent le troisième compartiment de l’espace, l’artiste a eu recours au même système d’annotation et de production que pour ses forêts tropicales. Sauf que, cette fois-ci, elle crée sa propre forêt de bambous artificiels, vendus en série sur internet, mais dont la couleur fluorescente place les œuvres résultantes quelque part entre la nature et le naturel. Cette reproduction quasi mécanique de ces petits arbres en série raconte notre besoin de nature, coûte que coûte, et quelle que soit sa forme.

Une installation de vieux barils reconvertis en sièges qu’Ania Soleiman a trouvés dans le quartier de la Quarantaine. Avec l’aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler

Déconstruire son propre processus

Les deux pans de « terraform » semblent séparés, ponctués par une installation de vieux barils reconvertis en sièges qu’Ania Soleiman a trouvés dans le quartier de la Quarantaine. « Ces sièges, confie-t-elle, évoquent quelque chose à propos de notre anxiété par rapport à la crise énergétique que le monde traverse. » Mais c’est l’écho d’une autre crise, celle dans laquelle le Liban est empêtré depuis octobre 2019, qui transparaît, notamment sur ses dessins d’insomnies réalisés lors de son séjour au Liban. Billets de livres libanaises, épaisse pile d’argent qui sous son trait semble disparaître, mondes en déconfiture entre le réel et le virtuel, Ania Soliman dit que ces dessins ont été dictés dans la nuit, par son inconscient. Juste à côté, on découvre ses premières œuvres sur toile. Réalisées sur le toit de la galerie Sfeir-Semler, l’artiste a, pour ce faire, vaporisé à l’aérosol un tas d’objets posés en vrac sur des toiles : plantes artificielles et naturelles et pièces d’un projecteur démonté. Ces toiles contiennent quelque chose d’à la fois condensé, nerveux, quelque chose qui ressemble à une tension monochromatique, bleue, verte et rouge ; et d’ample, d’impulsif, d’impérieux. Et, en même temps, elles contiennent tous les éléments, déconstruits, disparates, qui constituent le processus de création des forêts tropicales d’Ania Soliman : le projecteur est disloqué, les fleurs artificielles sont réduites à une traînée d’aérosol et quant au geste de l’artiste lui-même, son processus est inversé. Avec cette impression que la boucle est bouclée. Et c’est vraisemblablement pourquoi l’œuvre d’Ania Soliman est avant tout et par-delà son intensité une œuvre efficace dont on sort interpellé, curieux, mais jamais essoré.

*« terraform » d’Ania Soliman, à la galerie Sfeir-Semler, Beyrouth.

À la veille du vernissage de « terraform », sa première exposition solo au Moyen-Orient, L’Orient-Le Jour a retrouvé Ania Soliman dans le local de la galerie Sfeir-Semler. À peine le tour démarre-t-il que l’artiste à la triple nationalité égyptienne, polonaise et américaine s’avoue submergée par les émotions. « Parce que regarder ces œuvres me ramène au moment...

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