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Nos Lecteurs ont la Parole

Les ravages de la corruption au Liban

Les ravages de la corruption au Liban

Illustration Joëlle Achkar

L’immunité juridique des politiciens, le secret bancaire, la non-indépendance de la justice sont les trois sources de la corruption au Liban. Nous allons le démontrer.

Les ravages de la corruption au Liban peuvent se résumer en ces quelques points : disparition de la politique publique ; blocage des projets ; disparition de l’ipséité des fonctionnaires ; vente de souveraineté.

Le courtage qui consiste à demander ou à prendre des commissions sur tout service rendu ou sur tout projet est tout à fait normal dans certains métiers basés sur cette méthode, dans l’immobilier ou sur les marchés financiers, car le courtier a pour rôle de marier l’offre et la demande. Mais quand le courtage touche à la politique, ça change du tout au tout. Il y a quelques années encore la demande de commissions par des responsables politiques était encore de mise dans beaucoup de pays. La moralité ou la non-moralité de cette pratique fluctuait beaucoup selon les pays et les cultures. Cette situation a perduré jusqu’il y a une vingtaine d’années, à un moment où les États-Unis ont condamné la commission acceptée ou demandée par les politiciens ou les fonctionnaires (1). L’Europe, aussi, a pris la même position en condamnant le courtage en politique (2). C’est ainsi que l’Occident a pris une ferme décision en la matière. Le Liban, quant à lui, est resté tout à fait dans l’ignorance du problème, la commission étant une tradition culturelle chez tous les fonctionnaires libanais ainsi que tous les hauts responsables politiques. Ainsi, beaucoup de projets ne se sont plus faits au Liban car les entreprises étrangères souvent occidentales offrant des projets clés en main au Liban ont été dans l’impossibilité de les exécuter car leur déontologie les empêchait de payer des commissions. Alors le projet, même s’il a tous les caractères nécessaires d’intérêt général, ne se fait finalement plus.

Cette règle de la commission est entrée dans les habitudes des responsables politiques libanais et des fonctionnaires depuis les années 60, ce qui contribuait déjà à affaiblir la structure libanaise. Puis, la commission est revenue en force après la mort du président Bachir Gemayel et suite aux accords de Taëf, elle est devenue quasi institutionnelle dans tous les services de l’État et les ministères. Ainsi, le principe de politique publique a complètement disparu, l’État libanais étant devenu une simple « plateforme de commissions », allant des présidents et ministres jusqu’aux fonctionnaires de toutes catégories, chacun encaissant selon son rang.

Le principe de commission étant passé dans les règles du jeu, celui-ci passa rapidement au concept de surfacturation : le fournisseur du projet intègre dans sa facture la commission voulue dans le prix. Ainsi, les surfacturations massives sont venues pomper l’argent de l’État et le mener vers la faillite. La surfacturation est un système de surcommission se basant sur le fait d’augmenter une facture avec un pourcentage ou en la multipliant par deux ou trois, voire par 10. Le principe de la surfacturation consiste donc à faire accepter la facture augmentée par le responsable qui en contrepartie reçoit la différence par le fournisseur de services dans le compte bancaire du même responsable en Suisse ou ailleurs. Les banquiers suisses se gardent bien d’ailleurs de dénoncer ce genre de malversations tant que l’argent est chez eux et qu’ils peuvent accumuler des centaines de milliards de dollars dans leurs banques. En attendant, la facture signée par le responsable passe au ministère des Finances et est payée au fournisseur qui reverse la différence à la personne concernée. Vous vous demandez encore pourquoi le Liban est en faillite ? Pas de contrôle financier, pas d’audit, tout est bloqué par les plus hauts politiciens, les zaïms, ainsi que par les fonctionnaires de l’État afin de « se partager le gâteau » comme ils le disent si bien.

C’est ainsi que l’État est devenu juste une plateforme de pompage d’argent qui est censé lui revenir.

Le fonctionnaire au Liban n’est pas un sujet indépendant, mais est le suiveur d’un zaïm politique. S’il a un travail au sein d’un ministère, il le doit à son « patron » politique. Il reçoit des commissions quotidiennement et en vit « bien ». Celles-ci sont partagées selon les échelons de la pyramide de responsabilités. Il n’a donc aucun intérêt à dire « non » à son patron, sinon il perdrait sur-le-champ son travail et n’aurait aucune place ailleurs. Ainsi tous les fonctionnaires sont des yes-men obéissant aveuglement aux patrons.

Les commissions parlementaires sur les différents thèmes n’ont donc aucune importance et aucune utilité vu le manque total d’ipséité des fonctionnaires et du système. Ces commissions parlementaires sont là pour diluer la responsabilité du haut responsable politique.

Par le blocage des lois et de la justice, l’immunité des zaïms et des politiciens leur permet d’utiliser ces différentes formes de corruption sans avoir à craindre une attaque en justice ou des investigations ou un audit. C’est ainsi qu’une mafia politique s’est assurée une protection juridique lui permettant de surfacturer à tous vents.

De plus le secret bancaire bloque les audits et le contrôle nécessaire pour arrêter cette destruction de l’État. Nous l’avons vu dans l’affaire de l’audit juricomptable de la banque centrale comment les responsables ont fait pour retarder autant que possible et disqualifier cet audit.

Conclusion : l’immunité des politiciens et des hauts fonctionnaires ainsi que le secret bancaire leur permettent de voler l’État de différentes manières, soit par les commissions, soit par la surfacturation des projets.

Quelles solutions ? Les politiciens comme tous les hauts fonctionnaires ne sont pas au-dessus de la loi. Ils doivent s’y soumettre comme tous les citoyens. La fin de l’immunité des politiciens et des hauts fonctionnaires ainsi que la fin du secret bancaire sont urgemment nécessaires. La séparation juridique et institutionnelle de la politique et de l’argent est fondamentalement nécessaire avec des procédures de contrôle adéquates et indépendantes. Le principe de séparation est fondamental et doit être appliqué à tout projet. Enfin l’indépendance de la justice et des juges par rapport à l’État, aux zaïms ou à tout politicien ou tout banquier, est absolument nécessaire. Pour cela les juges doivent eux-mêmes établir leur salaire, comme en Angleterre, et être très bien payés. Aucun politicien ou zaïm ne peut avoir le droit de virer un juge ou de lui enlever une affaire ou de le transférer vers un tribunal. Enfin toute embauche au sein de l’État via l’influence d’un zaïm doit être strictement interdite. L’embauche doit se faire via une gestion de ressources humaines qui filtre les compétences et les développe par des formations dans différents domaines.

Le fonctionnaire doit retrouver son ipséité et cesser d’être un yes-man obéissant aux politiciens.

Il est temps de parler de la restructuration de l’État et de l’élimination des fonctionnaires en excès et souvent absents. Et cette restructuration commence par la fin de l’immunité juridique des politiciens, la fin du secret bancaire et la mise en place réelle d’une indépendance de la justice séparée de toute influence politicienne ou financière. Le reste suivra. Mais les nouveaux députés sont-ils capables de voter ces lois et de les appliquer ?

La vraie révolution est là, dans la prise de conscience de l’existence de la conscience et de l’éthique. C’est la seule façon d’arriver à la restauration de la souveraineté et la cessation de sa vente perpétuelle par les « grands » politiciens.

1- www.universalclass.com/articles/business/united-states-laws-of-anti-corruption-and-bribery.htm ; https://bribery.uslegal.com/federal-laws-on-bribery

2- https://eur-lex.europa.eu

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L’immunité juridique des politiciens, le secret bancaire, la non-indépendance de la justice sont les trois sources de la corruption au Liban. Nous allons le démontrer.Les ravages de la corruption au Liban peuvent se résumer en ces quelques points : disparition de la politique publique ; blocage des projets ; disparition de l’ipséité des fonctionnaires ; vente de souveraineté.Le...
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