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Nos Lecteurs ont la Parole

Cette nuit n’aura-t-elle pas une fin ?

Que nous soyons devenus claustrophobes, quoi de plus normal dans un réduit où nous dilapidons notre énergie, où nous nous adonnons au simulacre de la joie de vivre, où nous percevons à la lisière de notre conscience fissurée que le présent est comme un linceul jeté sur une tribu en voie d’extinction ? Un réduit étouffant où nous sentons avec une douloureuse lucidité que nos rêves sont fracassés, brisés par une corruption innommable, celle qui balaye les certitudes et les espoirs, errant l’avenir et le muant en une nuit sans fin.

Le regard vide, nous nous tournons vers le ciel d’un bleu d’encre, parsemé de mille diamants, attendant un signe, un message qui nous rendrait à nous-mêmes, à nos rêveries d’antan, un appel qui nous réconcilierait avec l’espérance, celle qui donne au futur relief et consistance.

De la voûte étoilée, éclairée par une lune blafarde, n’émane que la voix du silence, un silence majestueux et sépulcral, un silence minéral qui tombe sur nous comme une pluie de pierres.

Ce pays est-il encore le nôtre ? Interrogation lancinante, mille fois répétée dans nos nuits d’angoisse, illustrant notre incertitude et notre désarroi : « Mon pays que le choix ronge comme une attente... Mon pays que l’on perd un jour sur le chemin... Mon pays qui se casse comme un morceau de vague... Mon pays où l’été est un hiver certain... Mon pays qui voyage entre rêve et matin » (Nadia Tuéni, Vingt poèmes pour un amour).

Nous avons le sentiment pénible d’être devenus apatrides. Une patrie s’effrite dès que nous tentons de la saisir pour nous y accrocher, monceau de cendres qui s’éparpille au vent. Nous avons cru bâtir une nation, nous n’avons construit qu’une illusion !

Un pays traversé par les chutes libres d’un incurable pouvoir, régi d’obscurantisme et de perplexité, devenu méconnaissable, décharné par l’agonie qui le ronge... Où est donc le Liban d’antan ? Nous vivons de souvenirs et nous leur donnons la couleur du printemps. La peur a remplacé la sérénité. Notre anxiété est plus diffuse et plus inquiétante, c’est une peur collective qui saisit tout un peuple menacé dans son existence et dont le sort reste incertain. Qu’allons-nous devenir ? Telle est la question que se pose chacun d’entre nous. Comment ne pas appréhender l’avenir quand notre présent se déroule dans le bruit et la fureur, étrange danse macabre d’une collectivité déboussolée qui cherche le repos dans l’anéantissement ?

Où est donc ce pays de la tolérance et de la raison ? S’est-il évanoui dans la brume cendrée du ressentiment ? La tolérance n’était-elle qu’un masque cachant une hargne souterraine, une ambition de domination, une haine inconsciente de soi et des autres ?

Nous Libanais aurions tort de compter sur autrui pour sortir du cauchemar où nous nous trouvons. Nous ne devons compter que sur nous-mêmes et apprendre à triompher de nos démons intérieurs, de nos dissensions, de nos rancunes pour faire de nouveau l’apprentissage de la vie en commun pour retrouver la douceur d’une fraternité intelligemment organisée.

On est effarouchés, déconcertés par une situation où prédomine l’élément irrationnel, les normes sont renversées, les principes logiques bousculés. Dans ce Liban où la liberté s’habille de fiction, où la démocratie ne se reconnaît plus, où l’intelligence est méprisée, devant ce paysage qui nous rabote, vous intellectuels du Liban, affirmez-vous, interprétez une réalité hideuse qui vous dérange, armez-vous de la parole, du mot, du verbe, pour nous faire parvenir un message d’amour et de fraternité, exprimez nos aspirations, nos peurs et nos révoltes, éloignez-nous des signes de folie, une folie d’autant plus inquiétante que rien ne semble l’arrêter.

La raison est un garde-fou : elle protège contre l’irruption de l’anarchie, elle organise la cité de manière que les hommes puissent y vivre en harmonie. Quand la raison prend la clé des champs, quand disparaît la logique régulatrice, toute la cité est menacée de disparition !

On ne saurait bâtir un nouveau Liban sur l’oppression, l’agression, l’imposture et la violence. Le Liban de demain sera le pays de la liberté retrouvée ou il ne se sera pas... Au lieu d’être, nous Libanais, qu’une colonne d’ombres, attendant on ne sait quelle éclaircie qui viendrait du large, soyons les marins de tous les ports, levons nos voiles et voyageons vers beaucoup plus de raison et d’espoir...

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Que nous soyons devenus claustrophobes, quoi de plus normal dans un réduit où nous dilapidons notre énergie, où nous nous adonnons au simulacre de la joie de vivre, où nous percevons à la lisière de notre conscience fissurée que le présent est comme un linceul jeté sur une tribu en voie d’extinction ? Un réduit étouffant où nous sentons avec une douloureuse lucidité que nos rêves...

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