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Économie - Mais comment font les Libanais ?

Soufia, femme de ménage, regrette le Liban d’avant la crise

Depuis le début de la crise, la livre libanaise a perdu plus de 95 % de sa valeur. L’inflation, elle, est exponentielle : il y a quelques jours, la Banque mondiale indiquait que le Liban a connu la plus forte hausse des prix alimentaires à fin juillet en glissement annuel, réelle et nominale. Les prix de l’essence, eux aussi, ont explosé... La chute est violente et loin d’être finie. Dans ce contexte, une question revient souvent : mais comment font les Libanais ? Cette question, nous l’avons posée à certains d’entre eux. Ils ont accepté de nous dévoiler leurs comptes. Aujourd’hui, Soufia, une femme de ménage dont les efforts pour parvenir à vivre décemment malgré la pénibilité de son emploi ont été pratiquement réduits à néant par la crise.

Soufia, femme de ménage, regrette le Liban d’avant la crise

Photomontage réalisé par Mark Mansour.

Elle n’est pas Libanaise, mais elle « pratique » le Liban depuis plus de douze ans. Née au Bangladesh il y a quarante ans, Soufia* a débarqué au Liban début 2010 après avoir travaillé quelques années dans le Golfe. Plus jeune membre d’une famille comptant sept frères et sœurs, c’est la seule de la famille à avoir émigré, laissant derrière elle sa fille aujourd’hui âgée de 15 ans qu’elle a eue avec son mari dont elle s’est séparée. Établie dans un quartier résidentiel du Metn, Soufia est à la fois femme de ménage pour plusieurs particuliers et concierge d’un immeuble dans un quartier ni chic ni défavorisé. Elle habite un studio de 20 m² au rez-de-chaussée que le propriétaire de l’immeuble la laisse occuper gratuitement.

Un espace réduit sans pour autant être exigu et qu’elle a habilement équipé avec des meubles et des bibelots récupérés ici et là, un vieux petit frigo relativement silencieux pour son âge ainsi qu’un écran de bureau élevé au rang de télévision. « J’ai eu de la chance de pouvoir m’équiper correctement avant la crise », concède-t-elle dans un arabe dont elle demande d’excuser les imperfections.

Un niveau de vie laminé

Pour Soufia, l’effondrement de l’économie libanaise depuis 2019 a laminé son niveau de vie certes modeste, mais qui restait néanmoins acceptable et lui permettait surtout de soutenir financièrement sa famille. « Lorsque le dollar était encore à 1 500 livres, je gagnais environ 600 à 700 dollars par mois en faisant le ménage de façon régulière pour 6 ou 7 clients. Aujourd’hui, il ne m’en reste plus que 5 que je facture encore 60 000 livres l’heure », explique-t-elle.

Son revenu moyen mensuel atteint aujourd’hui 4,8 millions de livres, ou 150 dollars au taux de 32 000 livres pour un dollar, ce qui représente près de 25 heures de travail par semaine chez ses clients, qui font appel à elle pour faire le ménage dans leurs appartements. Le tout sans compter son obligation de rester disponible à certaines heures pour les besoins de l’immeuble où elle officie comme concierge et où le propriétaire peut la solliciter à tout instant. « Je pense majorer bientôt mes tarifs ou demander d’être payée en partie en dollars (frais) », reconnaît-elle. Une pratique de plus en plus répandue au Liban, même dans ce corps de métier.

Avant la crise, Soufia gagnait suffisamment bien sa vie pour financer un retour au pays une fois de temps en temps sans grincer des dents (le billet coûte 600 à 700 dollars) tout en continuant de faire quelques petites économies, lesquelles ont fondu avec la crise. Mais avec l‘équivalent de 150 dollars par mois aujourd’hui et la nécessité d’envoyer au Bangladesh tout ce qu’elle peut mettre de côté pour financer les études de sa fille, Soufia pense désormais quitter le pays. « Tout coûte plus cher et la hausse des prix des télécommunications cet été m’a encore pénalisée davantage. Ma facture internet est passée de 60 000 à 200 000 livres. Pour un peu plus de 100 000 livres, je conserve ma ligne avec un minimum de crédits et pas de 3G. J’ai remplacé mon ventilateur d’appartement, qui consommait trop de courant, par un petit modèle portatif », énumère-t-elle, stoïque.

Déclassement brutal

Au niveau alimentaire, le déclassement est brutal. « Avant, j’achetais de la viande de mouton, du poisson, du poulet, des pâtes, du Nescafé... Mais tout cela coûte trop cher, donc je me rabats sur les lentilles, les pommes de terre ou encore les courgettes, bref tout ce que je peux acheter à bon prix au supermarché », décrit Soufia. Au niveau des produits d’entretien, c’est le strict minimum. « Parfois certains clients me payent plus ou me donnent certains produits (de grande consommation) qui sont devenus assez chers en livres dans les marchés », rapporte-t-elle, désignant un sachet de mouchoirs en papier récemment reçu.

Pour les médicaments, Soufia affirme vivre sur les réserves qu’elle a constituées lors de son dernier passage au Bangladesh, l’année dernière. Pour elle, il est virtuellement interdit de tomber malade et recommandé de serrer les dents en cas de douleur chronique. « Je devrais voir un médecin pour la douleur que je ressens au pied, mais je ne peux pas », dit-elle. Enfin, niveau loisirs, c’est le néant. « Je me promène quand je peux, je prie, je m’occupe », résume-t-elle avec un certain flegme.

Le tableau que dresse Soufia ne grossit aucun trait. Jusqu’à un décret en mai dernier, qui a majoré les petits salaires à un niveau toutefois insuffisant pour rattraper la chute de la livre, le salaire minimum était encore bloqué à 650 000 livres, soit 20 dollars au taux du marché. Ironie du sort : début 2021, ce même salaire minimum avait été déprécié (72 dollars selon l’institut de recherches libanais Information international qui a pris en compte un taux de 9 375 livres pour un dollar) au point de valoir moins que celui du Bangladesh (95 dollars).

*Le prénom a été modifié.

Elle n’est pas Libanaise, mais elle « pratique » le Liban depuis plus de douze ans. Née au Bangladesh il y a quarante ans, Soufia* a débarqué au Liban début 2010 après avoir travaillé quelques années dans le Golfe. Plus jeune membre d’une famille comptant sept frères et sœurs, c’est la seule de la famille à avoir émigré, laissant derrière elle sa fille aujourd’hui...

commentaires (1)

Vous savez quoi? Nous aussi nous regrettons les femmes de ménage d’avant le Liban Fort…

Gros Gnon

07 h 56, le 02 septembre 2022

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Commentaires (1)

  • Vous savez quoi? Nous aussi nous regrettons les femmes de ménage d’avant le Liban Fort…

    Gros Gnon

    07 h 56, le 02 septembre 2022

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