
Le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil à Baabda, le 12 janvier 2022. Photo d’archives Dalati et Nohra
À deux mois de la fin, le 31 octobre, du mandat de Michel Aoun, son gendre joue à quitte ou double. Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, mène combat sur tous les fronts dans la perspective d’une phase qui demeure entourée de flou : d’un côté, un chef de l’État qui assure vouloir quitter Baabda à la fin de son mandat et, d’un autre, son camp qui garde sur la table l’option de son maintien au palais en dépit de l’opposition de plusieurs protagonistes, dont son (seul) allié, le Hezbollah. Face à ce double discours, se trouve un Premier ministre désigné de plus en plus conscient de l’urgence de mettre sur pied un gouvernement de pleins pouvoirs dans les plus brefs délais.
Dans la continuité de la guerre verbale qui l’avait opposé il y a une dizaine de jours à Nagib Mikati, le chef du courant aouniste est une fois de plus monté au créneau pour adresser des menaces politiques au chef du gouvernement sortant qu’il accuse de ne pas vouloir accomplir sa tâche. « Nagib Mikati a consciemment agi de sorte à ne pas former de gouvernement », a lancé le chef du CPL dans une interview publiée hier dans les colonnes du quotidien pro-Hezbollah al-Akhbar. Et de menacer, sans détour : « Nous n’accepterons sous aucune forme qu’un cabinet sortant, qui ne dispose pas à la base de prérogatives pour se réunir et prendre des décisions, et qui n’est pas de pleins pouvoirs, prenne la place d’un président de la République ayant tous les pouvoirs. » « Le gouvernement sortant de Mikati ne gouvernera pas. Nous n’accepterons pas cela et provoquerons un grand problème dans le pays », a-t-il martelé.
Un partage de rôles ?
Prié de préciser les moyens dont le camp de la présidence pourrait faire usage pour parvenir à son objectif, le député de Batroun a énuméré trois options. À commencer par un éventuel maintien du chef de l’État au palais présidentiel après la fin du sexennat, soulignant qu’il s’agissait du « premier choix, qui n’est cependant pas dans notre intérêt et auquel nous ne souhaitons pas arriver ». « La deuxième option consisterait à retirer à Nagib Mikati son statut de Premier ministre désigné et la troisième à former un gouvernement de pleins pouvoirs », a indiqué le chef du courant aouniste. Depuis quelques jours, les milieux du parti orange évoquent le scénario d’une remise en cause de la désignation du Premier ministre par les députés. Sauf que, au-delà du problème anticonstitutionnel de cette démarche, le courant aouniste avait déjà essayé de faire la même manœuvre avec Saad Hariri – à travers la lettre envoyée par Michel Aoun au Parlement – sans succès.
La remise sur le tapis par Gebran Bassil d’un possible refus de Michel Aoun de quitter le palais présidentiel, malgré les assurances répétées de ce dernier de sa volonté de partir au dernier jour de son mandat, donne le sentiment qu’il existe un partage de rôles entre Baabda et le CPL. « Les propos de M. Bassil servent à faire pression sur M. Mikati que nous attendons pour former une équipe ministérielle en coordination avec son partenaire, le président Aoun », explique une source proche de Baabda. « Il n’est pas possible de retirer la désignation du Premier ministre », ajoute-t-elle, balayant ainsi d’un revers de la main les propos du chef du courant aouniste, ainsi que toutes les spéculations autour de jurisprudences constitutionnelles auxquelles ce camp pourrait avoir recours pour accélérer la formation du futur cabinet.
En tout cas, que ce scénario soit sérieusement envisagé par son camp ou pas, Michel Aoun risque de se retrouver seul dans cette bataille, privé de l’appui de son allié de longue date, le Hezbollah. Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, le parti chiite aurait clairement fait savoir au chef de l’État qu’il ne le soutiendrait pas dans une telle démarche, dans la mesure où cela laisserait des retombées négatives sur le pays et pourrait mener au chaos. Une information que les cercles proches du parti jaune préfèrent ne pas confirmer. « Le Hezbollah est contre le maintien de Michel Aoun à Baabda après l’expiration de son mandat », se contente d’affirmer Fayçal Abdel Sater, un analyste réputé proche de la formation pro-iranienne. Il ajoute dans ce cadre que le Hezbollah craint sérieusement la vacance totale au niveau du pouvoir exécutif si une nouvelle équipe ne voit pas le jour avant le départ de Michel Aoun. Car « le Hezbollah est désormais convaincu que Nagib Mikati ne veut pas mettre en place un nouveau gouvernement et que ses réunions avec le chef de l’État ne sont qu’un exercice de pure forme », pour reprendre les termes de M. Abdel Sater. Et pourtant, c’est le Hezbollah et son allié Nabih Berry qui ont facilité le retour de Nagib Mikati au Sérail après les législatives de mai. Ce que Gebran Bassil a tenu à rappeler, sur un ton réprobateur, dans son interview hier, réitérant son opposition, jusqu’à ce jour, à cette démarche.
En face, Nagib Mikati se dit toujours déterminé à accomplir sa mission, en dépit du bras de fer l’opposant à la présidence et ses satellites. Sans commenter les propos du chef du CPL, il a répondu aux allégations de ses détracteurs dans des propos au site web al-Intichar. « Si je ne voulais pas former de gouvernement, je n’aurai pas présenté une combinaison ministérielle au lendemain des consultations parlementaires contraignantes », a-t-il déclaré en allusion au projet de cabinet qu’il avait remis à Michel Aoun le 29 juin dernier et qui s’était heurté au veto de ce dernier.
Les messages présidentiels
Gebran Bassil a profité de son interview pour s’exprimer au sujet de l’échéance présidentielle, dont le délai constitutionnel s’est ouvert aujourd’hui. Il a adressé des messages clairs à ses adversaires comme à ses alliés, notamment le Hezbollah. Même si celui-ci n’a pas encore dit son dernier mot. « Les discussions au sujet de la présidentielle ont été entamées avec le Hezbollah, sans que des noms de présidentiables ne soient jusque-là évoqués », a révélé le chef du CPL. « L’une des qualités les plus importantes est que le chef de l’État soit représentatif », a-t-il insisté, notant que trois options se présentent. La première, « idéale », serait un « président doté d’une représentativité que personne ne peut lui ôter ». La deuxième, « qui n’est pas très bien accueillie, mais que nous accepterons vu que la situation est critique et pour éviter la vacance », consiste à « transférer notre représentativité (parlementaire) pour soutenir un candidat », notant que cet acte « serait provisoire et pourrait être révoqué ». « Nous refusons un candidat qui n’est pas représentatif et qui n’est pas soutenu par une personne représentative », a-t-il souligné. Comprendre : le CPL, doté d’un large bloc chrétien à la Chambre, tient à être l’un des faiseurs de président. C’est également sous ce prisme qu’il a commenté l’option d’un probable soutien à son principal rival présidentiel, le chef des Marada Sleiman Frangié, lui aussi allié traditionnel du Hezbollah. Il a affirmé « ne pas trouver de motifs pour convaincre les Libanais de le soutenir », assurant toutefois ne pas avoir de problème avec lui sur le plan personnel. Cette prise de position n’est pas sans compliquer la tâche au chef zghortiote, même si le Hezbollah lui accorde son soutien. Une décision que ce dernier n’a toujours pas prise, préférant laisser la porte ouverte à un compromis.
Gebran Bassil croit se moquer de tout le monde dans ses déclarations contradictoires qui donnent le tournis, alors que c'est l'inverse : tout le monde se moque de lui. S'il n'a rien a dire d'autre, il ferait mieux de s'abstenir de s'exprimer.
19 h 27, le 31 août 2022