Une femme présidente de la République ? C’est le défi que se lance Tracy Chamoun, ex-ambassadrice du Liban en Jordanie et petite-fille de l’ancien président de la République Camille Chamoun. L’ancienne diplomate, qui a démissionné après la double explosion du 4 août 2020, a annoncé hier sa candidature à la présidentielle, emboîtant le pas à l’économiste Ziad Hayek. À deux mois de la fin du sexennat du chef de l’État Michel Aoun, elle devient ainsi la première femme à se lancer dans la course à Baabda. Dotée d’un programme axé sur la réforme, la souveraineté et la lutte contre la corruption, elle est perçue par certains observateurs comme étant une candidate potentielle pour le camp de l’opposition. « J’ai une nouvelle vision pour la République, qui offre des solutions aux problèmes économiques et sociopolitiques » qui gangrènent le pays, a-t-elle affirmé hier lors d’une conférence de presse.
Mme Chamoun, née en octobre 1960, est la fille de Dany Chamoun, chef du Parti national libéral, assassiné en 1990 lors d’une offensive de l’armée syrienne dans les régions chrétiennes. Ce meurtre avait été imputé au rival du leader chrétien, le chef des Forces libanaises Samir Geagea, considéré comme un candidat officieux à la présidence, tout comme le chef des Marada, Sleiman Frangié, et celui du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. Tracy Chamoun répond aux questions de L’Orient-Le Jour sur sa candidature, son programme et sa vision pour le Liban.
Qu’est-ce qui vous a poussée à présenter votre candidature ? Du soutien de quelles parties bénéficiez-vous ? Quid de Bkerké ?
Ce qui m’a poussée à faire ce pas, c’est le sens du devoir, alors que le Liban part à la dérive totale et que les gens souffrent. Face à l’absence de remède en vue, il faut dorénavant proposer des solutions constructives et durables.
Concernant le soutien à ma candidature, je viens de me lancer dans la course, donc il est encore trop tôt pour juger. Je continuerai à mener ma campagne, auprès de la population libanaise, mais aussi des députés (qui élisent le président de la République, NDLR). J’avais déjà mis le patriarche maronite Béchara Raï au courant de ma candidature avant l’annonce officielle.
Rares sont les femmes qui ont tenté de briguer la présidence au Liban (en 2014, l’avocate et militante Nadine Moussa était devenue la première Libanaise à avoir déposé sa candidature pour le scrutin présidentiel, NDLR). Le pays est-il prêt pour une femme présidente ?
La question ne devrait pas se poser si on est convaincu de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce qui compte le plus, c’est la compétence et l’intégrité du caractère d’une personne.
Si vous devenez la première présidente de la République, quelle mesure concrète mettriez-vous en place pour soutenir la femme libanaise ?
Je vais promouvoir la création de mécanismes pour favoriser la présence des femmes dans la prise de décision, à commencer par le pouvoir exécutif, afin qu’elles soient ministrables ou directrices de première catégorie dans la fonction publique.
Comment sont vos liens actuels avec les autres formations ?
Il est nécessaire de parler aujourd’hui à tout le monde car le sauvetage du Liban requiert l’ouverture au dialogue. Le rôle du président est de préserver le vivre-ensemble entre les différentes composantes dans le pays. L’entente ne veut toutefois pas dire abandonner ses prérogatives et ses droits, mais plutôt trouver des terrains de rencontre. En tant que candidate, et si je deviens présidente, je me dois d’être ouverte à toutes les composantes du pays. D’ailleurs, si je ne suis pas une candidate de « compromis », je ne suis pas non plus une candidate de « provocation » pour qui que ce soit. Je souhaite être la candidate ou la présidente « rassembleuse ».
Vous prônez une ouverture même à l’égard des Forces libanaises, que vous avez accusées d’avoir assassiné votre père ?
Tout ce que j’ai à dire, c’est que le salut national prime sur les considérations personnelles. Nous devons mettre de côté ces sentiments pour raccommoder en priorité ce pauvre pays.
Vous êtes l’une des rares à avoir présenté un programme. Vous évoquez notamment une stratégie de défense nationale. Cela passe-t-il par un dialogue avec le Hezbollah ?
Le Hezbollah représente une composante au sein du Parlement libanais. Par conséquent, le dialogue avec lui est nécessaire dans le cadre de la Constitution, et surtout pour établir une stratégie de défense nationale qui contribuera à préserver la souveraineté du Liban et donner à l’armée le monopole des armes. La décision de guerre et de paix ne peut être dans les mains d’une partie.
Vos évoquez la question de la « situation humanitaire » des réfugiés palestiniens. Que comptez-vous faire pour eux ?
La situation humanitaire déplorable des réfugiés palestiniens les affecte à eux, bien entendu, mais impacte aussi négativement le Liban et les Libanais. C’est d’autant plus le cas quand on sait que l’armée n’a pas le droit d’accéder aux camps de réfugiés palestiniens. Cela est un sujet qui a été trop longtemps négligé. Des solutions humanitaires sont envisageables et nécessaires, mais doivent être élaborées par le prochain gouvernement sur base d’un consensus national élargi, tout en maintenant le droit au retour.
Vous évoquez également le retour des réfugiés syriens. Soutenez-vous donc un dialogue avec Damas ?
Je compte maintenir le dialogue avec la communauté internationale, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et bien entendu avec la Syrie pour assurer un retour volontaire et en toute sécurité des déplacés syriens. Leur présence représente en effet un fardeau intenable pour le Liban en crise.
Êtes-vous favorable à l’évolution du système politique libanais ?
Avant de s’attaquer au système politique, il faut trouver une solution à la crise économique et humanitaire que traverse le pays, d’autant plus que 25 % des Libanais n’arrivent pas à assurer leurs besoins alimentaires.
Qu’en est-il de votre programme économique ?
L’économie mondiale est en train de changer, surtout depuis la crise financière mondiale de 2008. Nous devons nous adapter au changement et même l’anticiper. Un modèle basé sur les compétences et la compétitivité est nécessaire pour passer à une économie créatrice d’emplois et de valeurs. Il est nécessaire de renflouer les fonds de la Sécurité sociale, afin de pouvoir venir en aide aux retraités ayant récemment perdu toutes leurs économies en raison de l’effondrement bancaire et financier. Il faut également restructurer le secteur public grâce à l’élaboration d’un nouveau budget, permettant de rémunérer les employés du secteur face à l’effondrement de la monnaie. Il faut aussi mettre sur pied une stratégie énergétique globale basée sur l’autosuffisance en matière de pétrole et de gaz, la production d’énergie via les déchets et le passage progressif vers l’énergie alternative. Il faut aussi rétablir nos relations avec les pays arabes et les monarchies du Golfe, afin que l’économie libanaise reste basée sur l’ouverture et l’échange.
commentaires (21)
Madame Chamoun, À propos des réfugiés de toutes nationalités, le Liban leurs a déjà offerts: séjours, habitat et tous ce qui va avec pour beaucoup trop de temps. La conscience libanaise est donc sans reproche. Stratégie: leur trouvée de nouveaux hôtes dans l'immédiat pour leurs garantirent une attente en toutes dignité jusqu'à leurs retours volontaires et humanitaires chez eux, ailleurs que chez nous. Leurs départ du Liban ne réduit en aucun sense leurs droits de retours. L'état libanais devrai développer les terrains utilisées par les réfugiées pour crée des opportunités de travails économiques et écologiques, voilà comment compenser les citoyens pour leurs pertes causées par les crises économique et financière qui les a visées. Bien entendu, de même pour les terrains qui en subi à une main mise au sud de beirut et ces alentours touts des terrains de hautes valeurs confisqués à leurs propriétaires privés et à l'état par des groupes mafiatiques et des partis politiques qui y ont créés des ghetto invivables et illégales.
Sarkis Dina
09 h 13, le 31 août 2022