Toujours en défaut, pas prêt de rembourser. C’est ainsi que pourrait se résumer le contenu des récents rapports de Fitch Ratings et Standard & Poor’s évaluant la notation souveraine du Liban. Leurs principaux éléments ont été relayés hier dans le Lebanon this Week de Byblos Bank.
Publiés trois ans après le début de la crise économique et financière libanaise, couvant depuis plusieurs années et reconnue par la Banque mondiale comme l’une des pires depuis 1850, les évaluations des deux agences américaines ont également confirmé les notes qu’elles avaient précédemment infligées au Liban. Moody’s, avec qui Fitch et S&P forment les « Big Three » du marché mondial de la notation financière, avait mis à jour son évaluation en juin dernier, dans un rapport au ton tout aussi laconique que celui de ses concurrentes.
Notes et prix des eurobonds
S&P a ainsi maintenu son « SD/SD » (défaut sélectif) attribué aux obligations en devises (les eurobonds) à long et court terme, l’équivalent du « RD » (défaut restreint ou partiel) de Fitch, soit un petit cran avant le défaut total dans les deux cas. Ces notes n’ont plus changé depuis le défaut de paiement sur les eurobonds annoncé en mars 2020.
Les deux agences ont également maintenu à « CC/C » (selon la nomenclature de S&P) et « CC » (pour Fitch), les notes de la dette libellée en livres libanaises et émise via des bons du Trésor sur lesquels l’État libanais continue de payer des intérêts. Elles ont de plus assuré qu’elles dégraderaient ces notes en cas de restructuration de la dette libellée en livres.
En juin, Moody’s avait déjà confirmé son « C », la plus basse note de sa grille d’évaluation articulée de façon sensiblement différente que celle des deux autres agences, sans se prononcer sur la perspective du pays.
Annoncé par le gouvernement de Hassane Diab, le défaut sur les eurobonds de mars 2020 était le premier de l’histoire du Liban. La décision a achevé les cours de ces obligations souveraines, qui sont depuis quelques temps les moins chères du monde, malgré un léger rebond ces derniers jours. Leurs prix, qui gravitaient autour de 6 cents pour un dollar début août, sont remontés pour osciller dans une fourchette allant de 6,88 à 7,50 cents sur le marché secondaire, selon le département de recherche de Bank Audi que L’Orient-Le Jour a contacté.
Ces fluctuations seraient directement liées aux manœuvres de spéculateurs, selon les informations que nous avons croisées. Les différents scénarios de restructuration avancés par les banques d’investissement et autres organismes spécialisés tablent sur un prix de vente des eurobonds renégociés entre 10 et 15 cents pour un dollar, ce qui explique que certains acheteurs soient encore intéressés par ces titres.
Depuis la confirmation du défaut en 2020, le Liban a entamé des discussions avec le Fonds monétaire international pour tenter de débloquer une assistance financière, mais sans arriver au bout du processus malgré un accord préliminaire signé le 7 avril dernier sous le gouvernement de Nagib Mikati formé en septembre dernier. Les négociations avec les créanciers n’ont toujours pas été réellement lancées, à l’exception d’une réunion organisée en mai dernier et d’éventuels contacts restés sous le radar. Elles ne reprendront pas en principe tant que le Liban n’aura pas effectué de progrès décisifs dans le processus de conversion de l’accord préliminaire en programme d’assistance ferme, qui prévoit le déblocage de 3 milliards de dollars sur 4 ans.
Contraction du PIB attendue
Côté libanais, le débat sur les pertes nettes à éponger (73 milliards de dollars selon les dernières estimations, une somme à répartir entre l’État, la Banque du Liban, les banques et les déposants) et qui avait fait échouer un premier round de discussions avec le Fonds, a bien été tranché entre fin 2021 et début 2022. Mais c’est désormais la mise en œuvre d’une première série de réformes – adoption d’une loi sur le contrôle des capitaux, la résolution bancaire, entre autres chantiers, que les dirigeants, ainsi qu’une partie des banques font traîner.
Autant de facteurs qui rendent S&P, Fitch et Moody’s peu optimistes malgré les quelques avancées enregistrées, d’autant plus que les élections législatives de mai ont accouché d’un Parlement très fragmenté et que l’élection présidentielle du 31 octobre prochain exacerbe les tensions entre les différents courants politiques du pays. S&P craint par exemple que certains chantiers, comme l’unification des taux de change et la restructuration du secteur bancaire, soient plus difficiles à mettre en œuvre. Pour sa part, Fitch s’est demandé si la loi aménageant le secret bancaire votée fin juillet – la seule prévue par l’accord du 7 avril qui ait effectivement été adoptée – est conforme à ce qu’attend le FMI. Enfin, Moody’s avait pointé du doigt en juin le risque important que les investisseurs privés subissent des « pertes significatives ».
Au niveau macroéconomique, les trois agences sont parfaitement alignées. S&P, qui avait pronostiqué l’hiver dernier un retour de la croissance au Liban en 2022 en misant sur les « progrès » affichés dans les discussions entre le FMI et le Liban entre fin janvier et début février, a revu sa copie et anticipe désormais une contraction de 3 % à la fin de l’année. Fitch n’a pas fourni de projections pour le PIB, mais il gage qu’il finira l’exercice dans le rouge, tandis que le taux d’inflation pourrait atteindre 178 %, soit le deuxième plus haut taux de l’année dans le monde selon Fitch Solutions (une des ramifications de l’agence). Enfin, Moody’s avait tablé en juin sur une baisse du PIB de l’ordre de 3,4 % en 2022.
Le PIB libanais a reculé de plus de moitié en trois ans de crise, tandis que la dette publique, qui a atteint 100,6 milliards de dollars à fin mars, vaut en réalité moins de 10 milliards de dollars sur le marché en tenant compte de la dépréciation de la livre (qui a perdu 95 % de sa valeur) et de celle des eurobonds.
Il n’y a pas que les big three, il y a moi aussi…
21 h 00, le 24 août 2022