Rechercher
Rechercher

Société - Explosion de Tleil

Un an après, la peine de mort requise pour deux hommes accusés d’avoir incendié les lieux

Les proches des accusés ainsi que des dignitaires religieux du Akkar tentent de mener une « réconciliation » et de pousser les plaignants à se rétracter, moyennant rétribution financière.

Un an après, la peine de mort requise pour deux hommes accusés d’avoir incendié les lieux

Un camion calciné et de la ferraille abandonnée sur les lieux du drame de Tleil un an après le drame. Photo Michel Hallak

Dans la nuit du 14 au 15 août 2021, en pleine pénurie de carburant au Liban, la bourgade de Tleil (Akkar) est réveillée par une explosion meurtrière. L’armée avait découvert, quelques heures plus tôt, deux citernes de carburant illégalement stocké sur un terrain du village. L’officier sur place perquisitionne la première et décide de laisser les habitants se servir gratuitement dans la seconde, sans se douter du drame qui se prépare. Peu avant 1h30, une énorme explosion retentit, faisant sur son passage 31 victimes, dont une dizaine de militaires, ainsi que 75 blessés, dont certains grièvement. Le drame secoue le pays, toute une région est sur le qui-vive. Un an plus tard, que sait-on sur ce drame, relégué au second plan par une actualité débordante ? Les premiers éléments de l’enquête avaient montré que le carburant était stocké par Ali Faraj, un trafiquant connu dans la région qui était emprisonné au moment des faits, sur un terrain appartenant à un de ses partenaires, Georges Ibrahim. Fin juillet 2022, la justice a émis un acte d’accusation à l’encontre des deux hommes, ainsi qu’à l’encontre du fils de Georges Ibrahim, Richard, et d’un autre membre de la famille, Gergi, accusés d’avoir volontairement incendié les lieux.

Lire aussi

Au Akkar, portrait d’une jeunesse désœuvrée

« Richard a donné un briquet à Gergi et lui a demandé de “brûler les gens” qui se trouvaient devant la citerne. Il l’a dit devant plusieurs témoins », assure à L’Orient-Le Jour Mohammad Mrad, avocat qui représente une vingtaine de familles de victimes. Selon lui, plusieurs centaines de personnes s’étaient précipitées sur les lieux pour obtenir du carburant. Une altercation avait ensuite opposé les habitants à Richard Ibrahim, qui a alors décidé d’incendier le terrain sous le coup de la colère.

« Le juge Ali Araji a requis la peine de mort pour Richard et Gergi Ibrahim, car ils ont prémédité l’incendie dans le but de causer du tort aux habitants. La peine demandée pour Georges Ibrahim et Ali Faraj est moins sévère. Ils pourraient encourir jusqu’à 15 ans de prison pour avoir caché du carburant », explique Me Mrad.

Tentatives de soudoyer les familles

Un an après le drame, Taha Koja, qui a perdu son frère Walid, un soldat de 39 ans, appelle les autorités à rendre justice aux proches des victimes et aux blessés. Son frère était père de trois garçons de 9, 7 et deux ans, et sa femme était enceinte au moment de la catastrophe. Cette dernière a accouché d’une fille il y a quelques mois.

« Ma belle-sœur n’a pas encore pu toucher un centime d’indemnités. Nous avons reçu des chèques de la part de l’armée d’un montant total de 60 millions de livres (environ 1 900 dollars au taux actuel du marché parallèle), mais nous n’avons rien pu retirer à cause des restrictions bancaires. Les banques ne nous donnent que 2 millions de livres par mois (63 dollars). C’est absurde. Ce n’est pas suffisant pour élever des enfants », dénonce Taha.

Il révèle par ailleurs que des proches des accusés essaient de soudoyer les familles des victimes pour que ces dernières retirent leur plainte. « Ils paient 120 millions de livres (environ 3 800 dollars sur le marché libre) à ceux qui ont perdu un proche et 8 millions (à peu près 250 dollars) à ceux qui ont été blessés. Ils m’ont proposé de l’argent, mais j’ai refusé. Je ne pourrais plus jamais regarder mes neveux dans les yeux si j’acceptais de toucher des pots-de-vin », soupire Taha.

Lire aussi

Drame de Tleil : Le tribunal militaire condamne des accusés aux travaux forcés

L’information a été confirmée par Assaad Dergham, député de la région, qui assure que plusieurs dignitaires religieux du Akkar tentent de mener une « réconciliation » entre les familles concernées. « Plusieurs religieux de la région se sont rendus chez le Premier ministre Nagib Mikati ou encore chez le commandant en chef de l’armée Joseph Aoun pour trouver une solution à l’amiable et pousser les familles à retirer leur plainte moyennant une indemnité financière », assure-t-il à notre journal. Interrogé sur le bien-fondé d’une initiative qui court-circuite la justice dans un des drames les plus marquants de ces dernières années, Assaad Dergham prétend ne « pas (se) mêler de la réconciliation menée par les dignitaires religieux » et appelle « chacun à assumer ses responsabilités ».

Des blessés qui continuent de souffrir

Livrée à son sort depuis le 15 août 2021, la famille de Taha Koja vit « une situation psychique difficile ». « Nous avons dû attendre quatre jours avant de pouvoir identifier la dépouille de Walid tellement elle était méconnaissable. Mon deuxième frère a été blessé à la main et a eu plusieurs côtes cassées après avoir été propulsé en l’air par l’explosion », raconte-t-il.

« En laissant les gens se servir directement dans la citerne, l’armée a favorisé le déclenchement d’une bombe à retardement. L’officier en charge ce jour-là doit être tenu pour responsable. Les autorités ont très mal géré ce dossier », accuse Taha Koja. Il révèle en outre que le commandant de l’armée a accepté d’enrôler des proches des victimes de l’explosion en guise de dédommagement pour leur perte.

Lire aussi

Cette nuit où leur vie a basculé : victimes et proches racontent l’explosion meurtrière du Akkar

« Aucune responsabilité pénale n’a été retenue contre les soldats qui étaient présents dans le cadre de l’exercice de leur fonction cette nuit-là », explique pour sa part Me Mrad. « Ces derniers étaient peu nombreux sur le terrain et ont été pris de court par un afflux massif d’habitants venus récupérer de l’essence. La situation a ensuite rapidement dégénéré », poursuit-il.

Taha Koja appelle pour sa part les autorités « à prendre en charge les blessés de Tleil, dont huit continuent de souffrir de séquelles graves ». « L’un d’eux a été amputé d’une jambe, un autre a perdu l’usage d’un de ses bras, un troisième doit porter une combinaison spéciale et ne peut survivre sans air conditionné alors que le rationnement d’électricité est de plus en plus sévère », soupire Taha. Une loi, signée par le président de la République Michel Aoun le 12 avril 2022, autorise les familles des victimes à obtenir des indemnités et des salaires mensuels, et permet aux blessés et handicapés de Tleil de bénéficier d’une prise en charge médicale gratuite. En attendant l’entrée en vigueur de cette loi ainsi que l’avancée du procès, les proches des victimes ainsi que les blessés continuent, eux, de souffrir en silence, financièrement et physiquement.

Dans la nuit du 14 au 15 août 2021, en pleine pénurie de carburant au Liban, la bourgade de Tleil (Akkar) est réveillée par une explosion meurtrière. L’armée avait découvert, quelques heures plus tôt, deux citernes de carburant illégalement stocké sur un terrain du village. L’officier sur place perquisitionne la première et décide de laisser les habitants se servir gratuitement...

commentaires (4)

Il y a tout le Liban dans cette histoire. L’officier négligeant et irresponsable à qui on ne demande pas de comptes. La peine de mort d’un âge révolu par une justice partisane, car la préméditation ne semble pas avérée, et le clientélisme de l’armée en guise de compensation pour les victimes . La messe est dite.

PPZZ58

00 h 50, le 17 août 2022

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Il y a tout le Liban dans cette histoire. L’officier négligeant et irresponsable à qui on ne demande pas de comptes. La peine de mort d’un âge révolu par une justice partisane, car la préméditation ne semble pas avérée, et le clientélisme de l’armée en guise de compensation pour les victimes . La messe est dite.

    PPZZ58

    00 h 50, le 17 août 2022

  • La justice boiteuse du Liban! Tant que cela ne touche pas aux dirigeants, à leurs amis et financiers, elle fonctionne. Autrement, c'est l'injustice à la perfection ! Personne n'est au-dessus des lois ! Sauf au Liban. Pour être ministre ou député, il faut être assassin, voleur, sournois, orgueilleux, narcissique et surtout un excellent menteur. Nous avons une kyrielle de ce genre de mécréants au gouvernement. Je suis sûr qu'il y en a qui sont honnêtes et ont les mains liées. Pauvre pays, depuis 2005 au retour de MA, celui-ci a tenu une promesse, nous envoyer en enfer!

    Marwan Takchi

    16 h 00, le 15 août 2022

  • Et pour ceux qui ont été assassiner ou sont leur assassins bien connus pourtant !!

    Bery tus

    14 h 27, le 15 août 2022

  • Et les politiciens et banquiers qui ont causé la crise financière qui a poussé les gens au désespoir et à faire la queue pour obtenir quelques gouttes d'essence, ils reçoivent quelle peine?

    Gros Gnon

    03 h 02, le 15 août 2022

Retour en haut