C’est la Liturgie des Martyrs que le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, a choisi pour la messe de commémoration de l’explosion du port de Beyrouth (4 août 2020) qu’il a célébrée jeudi en la cathédrale Saint-Georges de Beyrouth, en présence d’un grand nombre de parents et proches des victimes de l’explosion. Ceux-ci se distinguaient par le noir de deuil qu’ils portaient et, pour beaucoup d’entre eux, par les portraits photographiques de leurs proches qu’ils tenaient serrés contre eux, ainsi que par le chagrin et la lassitude qui se lisaient sur leurs visages.
Un accent de sincérité émouvant a marqué toute la liturgie, en particulier au moment de la lecture des intentions de prière non seulement pour les proches des victimes, mais pour ceux qui ont perdu dans cette catastrophe un logement ou un métier, ou ceux qui, parmi eux, ont été atteints d’une invalidité permanente.
De l’avis des proches, sondés à ce sujet, ce n’est pas « une homélie de plus » que le chef de l’Église maronite a prononcée après la lecture de l’Évangile, mais un texte d’une grande fermeté, dans laquelle il a réclamé justice pour les victimes de l’explosion et qualifié celle-ci de « crime du siècle ».
« Deux crimes »
« Nous sommes aujourd’hui en présence de deux crimes, celui de l’explosion du port et celui de la paralysie de l’enquête. Cette paralysie n’est pas moins scandaleuse que l’explosion elle-même », a-t-il affirmé.
« Sans accuser quiconque, mais sans innocenter quiconque » et en laissant ce soin à la justice libanaise de se prononcer, le patriarche a demandé la reprise de l’enquête et condamné par principe « tous ceux qui ont provoqué le drame, ainsi que ceux qui ont péché par négligence ou indécision, ceux qui se sont tus, ceux qui ont couvert les faits, ceux qui ont fait preuve de lâcheté et enfin ceux qui ont entravé le processus judiciaire ». Il a dénoncé les ressorts utilisés par les dirigeants pour tirer leur épingle du jeu, « que ce soit au niveau constitutionnel, politique, sécuritaire ou judiciaire ».
Nous avons réclamé au départ, et en connaissance de cause, qu’une enquête internationale soit ouverte, a affirmé en substance le patriarche, sachant que cette catastrophe pourrait être définie comme un « crime contre l’humanité » si l’enquête montre qu’elle a été « préméditée ». « Les obstacles dressés devant l’enquête, s’ils sont maintenus, pourraient justifier le renouvellement de cette demande », a-t-il ajouté.
« L'Etat n'a pas le droit, d'un côté, de refuser une enquête internationale, et de l'autre, de bloquer l'enquête nationale", a enfin affirmé le patriarche.
Contre le filet paralysant des recours
Il a terminé son homélie par une plaidoirie contre la multiplication des recours en révocation des juges et en responsabilité pour « faute grave » contre l’État, ainsi que contre le blocage des nominations à la Cour de cassation de Beyrouth, des procédés qui retardent le prononcé de certains contre-recours qui permettraient au juge d'instruction Tarek Bitar de reprendre son enquête, paralysée depuis des mois. Il a également demandé aux forces de sécurité « de ne pas s’en prendre aux proches des victimes, de ne pas les brutaliser ou de les harceler par des convocations policières et judiciaires ».
Enfin, citant de nombreux précédents, le patriarche Raï a plaidé en faveur du maintien des silos comme lieu de mémoire et à ne pas les démolir, reprochant au passage aux responsables de n’avoir rien fait, en vingt jours, pour éteindre l’incendie qui en a déstabilisé la structure et entraîné l’effondrement partiel des silos.
Le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Mgr Elias Audi, a, lui, dénoncé lors d'une autre messe le fait que « les auteurs du crime jouissent toujours de leur liberté pendant que les Beyrouthins souffrent ». Lors d'une messe dédiée à la mémoire des victimes de l'explosion à l'hôpital Saint-Georges de Beyrouth, jeudi matin, le prélat a rappelé que « deux ans ont passé et la justice n'est pas parvenue à dévoiler la vérité, non pas parce qu'elle est laxiste, mais en raison d'une mainmise politique qui entrave son action et empêche toute justice ». « Il ne faut qu'une chose : connaître la vérité sur ce qui s'est passé au port et punir tous ceux qui l'ont planifié, délibérément ou non, malgré leur connaissance des matières présentes » sur les lieux, a ajouté le métropolite.
Quant au mufti de la République, Abdellatif Deriane, il a affirmé que « quiconque a provoqué ce crime atroce est un meurtrier qui mérite la plus sévère punition, car il a causé une catastrophe nationale et humanitaire dont les effets restent toujours présents ». Plus haute instance sunnite du Liban, le mufti a demandé que la justice « reste loin des tentations politiques et accélère son travail pour faire éclater la vérité et appliquer la justice contre ceux dont la condamnation sera confirmée ».
commentaires (5)
Je suis en faveur du maintien des silos, à condition de les vider de toute substance inflammable et de renforcer leur structure. Ils ne pourront être démolis et remplacés par un monument commémoratif que lorsque la lumière sera complètement faite et justice et réparations complètement réalisés.
GKaram49
11 h 51, le 05 août 2022