À chaque visite à Beyrouth du négociateur américain Amos Hochstein chargé du dossier de la délimitation de la frontière maritime libano-israélienne, les informations sont diffusées au compte-gouttes. Il s’agit souvent plus d’impressions positives ou négatives que de données claires sur le contenu de négociations tenues largement secrètes. La toute dernière visite du conseiller américain à la Sécurité énergétique mondiale, arrivé dimanche après-midi à Beyrouth et reparti hier après-midi, n’échappe pas à la règle. M. Hochstein a quitté le Liban en se disant « très optimiste » quant à un accord « dans les prochaines semaines ». Un optimisme également relayé par le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim, qui s’est fendu d’un « tout va bien ! » et par un vice-président du Parlement Élias Bou Saab, chargé par le chef de l’État du suivi du dossier, à peine plus loquace. « L’écart se rétrécit » entre les positions, a-t-il dit à la presse. « L’atmosphère était positive et tout le monde est sorti rassuré de la réunion » qui s’est tenue au palais de Baabda entre le médiateur américain et les trois pôles du pouvoir, a-t-il ajouté, promettant que le délai serait bref d’ici à la conclusion de l’accord. Le ton est donc donné.
Le bloc 8, une manne pour Israël ?
Selon les informations obtenues par L’Orient-Le Jour auprès de sources impliquées dans le suivi de ce dossier, Israël serait prêt à céder au Liban la totalité du champ présumé d’hydrocarbures de Cana (à cheval sur le bloc 8 libanais et le bloc 72 israélien). En contrepartie, l’État hébreu réclame une compensation territoriale maritime, autrement dit, une partie du bloc 8 situé dans la zone économique exclusive (ZEE) revendiquée par le pays du Cèdre. Il serait donc prêt à accorder au Liban une superficie maritime de 860 km2. La réponse israélienne a été transmise hier, au palais présidentiel de Baabda, aux trois pôles du pouvoir par le médiateur Hochstein. Elle s’apparente de près à la réponse déjà donnée au Liban fin juin. Israël réclamait alors une compensation financière, en plus d’une compensation territoriale pour la perte d’une partie de Cana. Le voisin israélien reste en fait attaché au principe de la ligne sinueuse qui part de la ligne 23 à l’est et rejoint la ligne Hof à l’ouest. En revanche, il semble avoir lâché du lest concernant toute revendication financière. « Les Israéliens auraient effectivement accepté de céder Cana au Liban. Mais ils insistent pour obtenir une superficie additionnelle au niveau du bloc 8 », confirme à L’Orient-Le Jour l’expert en énergie et professeur universitaire Charbel Skaff. Si l’insistance de l’État hébreu est si ferme pour l’obtention de cette superficie maritime, « c’est très probablement parce qu’il dispose d’études sismiques concernant les couches sédimentaires de ce bloc et de blocs limitrophes, et qu’il estime que ce bloc contient des ressources en gaz et en pétrole », analyse l’expert. Quant à la contrepartie financière réclamée en juin dernier, « M. Hochstein ne l’a pas mentionnée », souligne-t-il. Mais de sources concordantes, on apprend que la question a bel et bien été évoquée, bien que pas aussi longuement que la compensation territoriale, et que le Liban aurait également refusé de céder sur ce point.
La précédente visite au Liban du diplomate américain remonte au mois de juin. Il s’était vu remettre une nouvelle proposition des autorités libanaises liée à leurs revendications frontalières maritimes. Un dossier litigieux entre le Liban et Israël préalable à l’exploitation des hydrocarbures offshore en Méditerranée orientale. Depuis l’arrivée d’une plateforme gazière dans le champ de Karish, au large de l’État hébreu, les tensions entre les deux voisins ennemis se sont ravivées. Début juillet, le Hezbollah avait envoyé en direction de Karish trois drones qui ont été interceptés par l’armée israélienne. Et pas plus tard que dimanche, le parti chiite a diffusé une vidéo, menaçant les plateformes et navires situés dans le champ de Karish lesquels sont « dans son collimateur ». Le tout ponctué d’avertissements du chef du parti pro-iranien Hassan Nasrallah, selon lesquels Israël n’aura pas le droit d’exploiter les hydrocarbures de ce champ gazier tant que le Liban ne pourra pas exploiter son gaz offshore, autrement dit, le champ de Cana. Un champ dont on ne sait pas encore ce qu’il contient ou même s’il est riche en hydrocarbures.
Réunion élargie avec les trois présidents
Tout laisse croire que le dossier avance : l’optimisme affiché des deux parties et la promesse de l’émissaire américain de revenir rapidement au Liban. Mais le point d’orgue de ce round de rencontres marquant la visite d’Amos Hochstein au Liban est bien cette réunion élargie qui s’est tenue au palais présidentiel de Baabda, la première de ce genre depuis le début des négociations. Réunion qui a permis au médiateur américain de discuter pour la première fois avec les trois pôles du pouvoir réunis, le chef de l’État Michel Aoun, le Premier ministre désigné Nagib Mikati et le président du Parlement Nabih Berry. « Je suis redevable au chef de l’État Michel Aoun pour cette réunion en présence des trois présidents et suis très optimiste sur la conclusion d’un accord sur le tracé de la frontière maritime dans les prochaines semaines, au moment de mon retour à Beyrouth pour poursuivre les négociations », a déclaré le médiateur à l’issue de sa réunion avec les plus hauts dirigeants du pays. « Il était important d’afficher l’unité du point de vue officiel libanais », commente une source proche de Baabda, en référence aux tiraillements internes qui ont longtemps accompagné le dossier. Dans les milieux proches de la présidence, on accorde bien plus d’importance à la position libanaise qu’à la réponse apportée par M. Hochstein. « Il n’a pas apporté de réponse en bonne et due forme, observe la source. Il a surtout écouté les revendications libanaises et discuté avec ses interlocuteurs, tout en promettant de revenir dans les deux semaines pour poursuivre les négociations, car le fossé entre les deux points de vue (libanais et israéliens) semble désormais en voie d’être comblé. » Quant à la position libanaise, elle demeure inchangée. « Le Liban reste fermement attaché à la ligne 23 telle que déjà proposée par le chef de l’État, autrement dit, une ligne droite qui englobe le champ de Cana », soutient la personnalité proche de Baabda.
Le niet libanais
Les autorités insistent donc pour avoir l’exclusivité du champ d’hydrocarbures de Cana. Elles refusent aussi de céder ne serait-ce qu’un mile de leurs blocs 8, 9 et 10, dont une partie est située en zone disputée avec Israël. Ce n’est qu’à ce prix qu’elles seraient prêtes à accorder à l’État hébreu les garanties sécuritaires nécessaires à l’exploitation sûre de ses champs gaziers. « Il est hors de question de diviser le champ de Cana et d’en partager les ressources ou les revenus avec l’État hébreu. Il est aussi hors de question de nous départir des autres blocs qui nous reviennent de droit », confirme la source proche de Baabda dans un rejet de la demande israélienne. Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, le Liban officiel considère qu’il a déjà fait assez de concessions en abandonnant sa revendication première concernant la ligne 29. La réponse israélienne se fait de nouveau attendre. Mais l’optimisme semble pour l’instant de mise. « Il ne reste plus que les manœuvres de dernière minute pour consolider les positions et obtenir de part et d’autre un maximum de demandes », estime Charbel Skaff.
a l'ecouter faire sa declaration apres la reunion a baabda, A Hochstein n'a pas mentonne le fait qu'il reviendrait dans les DEUX semaines, mais seulement dans les semaines prochaines.? ! ? !
09 h 51, le 03 août 2022