Les deux sont intimement liés. Mais l’un est-il possible sans l’autre ? Le Liban peut-il signer un accord sur la démarcation de sa frontière maritime avec Israël si les États-Unis et l’Iran échouent pour leur part à ressusciter l’accord nucléaire encadrant les activités de la République islamique dans ce domaine ? Compte tenu de l’optimisme ambiant au sujet de la finalisation du premier et du pessimisme qui prévaut concernant la conclusion du second, la question devrait probablement être posée de la sorte : est-il possible de trouver un terrain d’entente avec Israël avant que les choses ne se compliquent encore dans la région ?
Le temps presse, et le Liban a un peu à gagner et surtout beaucoup à perdre dans cette double affaire. Posons les enjeux. Un accord attribuant au Liban un peu plus de la totalité de la zone qu’il revendique officiellement (la ligne 23) afin d’inclure le champ de Cana semble être possible avec la partie israélienne. Mais cela implique des concessions de la part de Beyrouth. D’après nos informations, les Israéliens réclameraient en échange de pouvoir bénéficier d’une partie des éventuels gains de l’extraction du gaz du champ de Cana ou d’une partie du bloc 8. Le Liban est-il prêt à accepter pareil deal, compte tenu du fait qu’il aurait pu, au regard du droit international, revendiquer une zone plus large, délimitée par la ligne 29 qui traverse le champ de Karish? Comment le pays du Cèdre pourra-t-il justifier qu’il reverse une partie de ses gains à un État avec qui il est encore officiellement en guerre ? Surtout, et c’est là de loin le plus important : le Hezbollah est-il prêt à s’engager sur un accord qui, quel que soit ce qu’il dira à sa base, nécessite un minimum de coopération avec « l’ennemi » ?
Si le Liban parvient à conclure ce deal, il enverra un signal très positif à la communauté internationale, indépendamment des éventuelles ressources dont il pourrait profiter. Personne ne sait aujourd’hui ce que contient le champ de Cana. L’exploration et l’extraction sont un immense chantier qui nécessite plusieurs années, et le Liban, isolé en Méditerranée orientale du fait de ses orientations géopolitiques, ne dispose pas des infrastructures qui lui permettraient de proposer son éventuel gaz à un prix attractif. Autrement dit : un accord sur la frontière maritime ne va pas sauver le pays du Cèdre ni le dispenser de mettre en œuvre les réformes essentielles au retour de la croissance. Mais ce serait tout de même un très bon début, même si l’on peut d’ores et déjà craindre que la classe politique mette le grappin sur ces éventuelles ressources et s’en serve comme un instrument au service de sa propre survie.
Voilà pour le scénario « positif ». S’il n’y a pas d’accord et qu’Israël commence à extraire le gaz du champ de Karish au mois de septembre, le Hezbollah a prévenu qu’il passera à l’action. Or, Israël a été on ne peut plus clair sur le fait que toute opération militaire de la milice pro-iranienne contre ses infrastructures sera considérée comme une déclaration de guerre. Le Hezbollah est-il prêt à en arriver là ? Cela dépendra en partie de l’autre accord, celui qui concerne le nucléaire iranien.
Le sujet ne semble pas préoccuper outre mesure la presse internationale. L’enjeu est pourtant explosif. Jamais l’Iran n’a été aussi prêt d’acquérir la bombe nucléaire. Les dirigeants iraniens multiplient eux-mêmes les déclarations sur le fait qu’ils sont désormais en capacité de la construire. Un Iran nucléaire serait une très mauvaise nouvelle pour la région. Cela offrirait une assurance-vie à un régime qui réprime sa population et s’ingère dans plusieurs pays arabes via des milices acquises à sa cause. Cela l’encouragerait par ailleurs à être encore plus maximaliste, lui donnant un moyen de pression sans équivalent. Cela pousserait probablement les autres puissances régionales à vouloir acquérir, à leur tour, la bombe.
Ce scénario est tout simplement impensable pour Israël et, dans une moindre mesure, pour les États-Unis. En cas de non-accord sur le nucléaire, toute la région entrera dans une zone grise extrêmement dangereuse. L’Iran aura beau jeu de dire qu’il ne cherche pas à fabriquer la bombe, tandis que le couple
israélo-américain disposera d’un temps limité pour intervenir avant que la République islamique n’obtienne son Graal. C’est le scénario du pire, celui qui peut embraser toute la région, en premier lieu le Liban. Il peut encore être évité. Le président français Emmanuel Macron s’active en ce sens. Les pétromonarchies du Golfe craignent de leur côté d’être les premières cibles de cette guerre et tentent de restaurer le dialogue avec Téhéran. Les dirigeants iraniens insistent beaucoup ces derniers jours sur le fait qu’ils n’ont pas l’intention de construire la bombe. C’est plutôt un bon signal qui peut indiquer que Téhéran est encore intéressé par un accord. La fenêtre est étroite pour les deux deals. Et si l’un peut aboutir sans l’autre, la conclusion ou non de chacun d’entre eux aura un impact majeur sur le Liban.
Analyse pointue et interessante
09 h 40, le 03 août 2022