
Le député Nadim Gemayel reçu hier par le patriarche maronite à Dimane, en vue d’exprimer sa solidarité dans l’affaire de Mgr Hage. Photo ANI
C’est par un communiqué virulent que le patriarcat maronite a rappelé et commenté, hier, le grave incident au centre duquel s’est trouvé le vicaire patriarcal maronite de Haïfa et de Terre sainte Moussa el-Hage, lundi, au poste-frontière de la Sûreté générale, à Ras Naqoura.
S’exprimant au nom du patriarcat, le Conseil restreint permanent de l’Église maronite, une instance qui se réunit dans des circonstances « urgentes et graves », a sommé l’État libanais de mettre fin « à la farce sécuritaire, judiciaire et politique » dont l’évêque a été l’objet et a réclamé que des têtes tombent, à commencer par celle du commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire Fadi Akiki. Au passage, le Conseil restreint s’est indigné de ce que les officiels ont gardé le silence devant une si grave violation des us et coutumes en vigueur au Liban qui l’ont, selon l’Église maronite, ramené un moment à des temps d’empires révolus.On relève toutefois que certains des hauts responsables de l’État, à commencer par le président Michel Aoun et le Premier ministre Nagib Mikati, ont pris contact avec le patriarche pour critiquer l’incident, mais sans faire de déclaration publique à ce sujet. Le cheikh Akl druze et le mufti de la République ont également condamné l’incident, ainsi qu’un certain nombre de personnalités politiques.
Le communiqué
Voici de très larges extraits du texte du communiqué publié en fin de journée par le Conseil retreint : « Sur convocation du patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, le Conseil restreint a tenu une réunion extraordinaire au siège de Dimane, en présence de l’archevêque maronite de Jérusalem, de Terre sainte et de Haïfa, pour débattre de l’agression regrettable et condamnable à laquelle il a été exposé au poste frontalier méridional de la Sûreté générale.
Le patriarcat maronite d’Antioche et de tout l’Orient n’aurait jamais imaginé qu’un temps viendra où, dans la République du Grand Liban, il sera porté injustement atteinte à un évêque, contrairement à tous les us et coutumes, sans considération pour sa personne, sa fonction, son rôle et sa mission, sans référence à son instance ecclésiale supérieure, une instance qui a joué et continue de jouer un rôle pionnier dans la fondation de la république, une république que cette instance a voulue démocratique, où les libertés sont respectées, les particularités estimées, une république gouvernée par des dirigeants respectueux de la Constitution et protégeant le droit et la justice, une république qui se situe au-dessus des intrigues partisanes et des intérêts familiaux, et traitant tout le peuple sur un pied d’égalité.
Lundi (18 juillet), des agents de la SG au poste frontalier (de Ras Naqoura), sur ordre du commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire Fadi Akiki, ont arrêté l’évêque Moussa el-Hage qui revenait comme à son habitude de son évêché en Terre sainte. Ils l’ont retenu plus de 12 heures durant, sans aucune considération pour sa fonction religieuse, l’ont interrogé sans motif, lui ont retiré son passeport libanais et son portable, ainsi que ses papiers et les aides médicales et en espèces qu’il transportait pour le compte de certains nécessiteux et malades au Liban de toutes les communautés ; des aides envoyées par des bienfaiteurs libanais et palestiniens parce que l’État a mal gouverné ces dernières années leur pays pour leur assurer leurs besoins essentiels. Partant, il est indispensable de faire face à cette atteinte et de la corriger en sanctionnant tous les responsables de ce qui s’est passé, y compris en les limogeant.Ce que notre frère évêque Moussa el-Hage a souffert nous ramène à l’époque de l’occupation et aux empires des siècles passés, quand les envahisseurs et les occupants tentaient de porter atteinte au rôle de l’Église maronite au Liban et en Orient. Une Église qui a implanté dans cette partie du monde l’esprit de liberté et de résistance, ainsi que le concept de défense des droits de l’homme, de la liberté de croyance et de la fraternité entre les religions. Ceux qui ont inspiré du fin fond de leurs charges l’idée d’offenser l’évêque Hage, et ont planifié, commandité et exécuté leur forfait ont oublié que ce qu’ils ont commis et commettent n’aura aucun effet sur le siège patriarcal maronite, qui a tenu bon face aux empires et aux sultans, qui ont disparu, tandis qu’il demeurait fort au service de l’homme, du Liban, de l’Orient et de la fraternité des croyances religieuses. »
Les orientations de Bkerké et du Vatican
Et le texte de poursuivre :
« L’évêque Moussa el-Hage, comme tous ceux qui l’ont précédé à la tête de son évêché, est soumis aux orientations du patriarcat maronite et à la mission du Vatican. Il s’efforce toujours d’accomplir son rôle avec courage, sagesse et humanité, au service du droit, des nécessiteux et des malades, en particulier dans les temps de malheurs comme ceux que nous vivons aujourd’hui.
Le cœur de notre frère Moussa el-Hage est de chair et non de pierre comme ceux des responsables indifférents aux souffrances du peuple. C’est en s’abstenant d’accomplir ces actions qu’il aurait encouru des reproches, et non en les accomplissant. À cet égard, il n’est aucunement dans l’intention du Conseil de justifier de quelque manière que ce soit les actions accomplies. Bien au contraire, le Conseil appuie la légitimité de ce qui a été accompli et apporte sa caution à la mission pastorale de l’évêque Moussa el-Hage.
Nous rejetons, condamnons et dénonçons dans les termes les plus vifs ce qui a été prémédité et accompli, dans un timing bien suspect, à des fins arbitraires bien connues, à l’égard de notre frère évêque, et demandons que soit mis fin à cette farce sécuritaire, judiciaire et politique. Nous demandons la restitution de toutes les aides qui lui ont été confisquées, qui sont attendues par leurs destinataires, et la clôture immédiate de cette affaire. Nous nous étonnons du silence de l’État à l’égard de ce qui s’est passé et demandons au ministre de la Justice de prendre les mesures disciplinaires nécessaires à l’encontre de tous les responsables avérés dans cette atteinte préméditée contre notre frère évêque. »
Pour la révocation de Fadi Akiki
« Nous rappelons, à ce sujet, que ce n’est pas la première fois que le commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire commet des actes qui enfreignent les us et coutumes en vigueur. C’est pourquoi nous demandons au procureur général près la Cour de cassation de déférer le juge Akiki devant l’Inspection judiciaire et de le révoquer. Nous renouvelons notre demande d’une justice indépendante du pouvoir politique.
Nous renouvelons finalement l’expression des constantes nationales du patriarcat maronite, dont aucune pression ne nous détournera, et demandons à l’État libanais, tous responsables compris, de respecter les droits et la dignité de tous les Libanais, de les dégager de toute oppression, qu’ils soient résidents au Liban ou à l’étranger, ou qu’ils en soient éloignés de force », conclut le communiqué, en référence aux milliers de Libanais ayant fui en Israël après le retrait de l’armée de l’État hébreu du Liban-Sud en 2000.
Vague de réactions indignées
La convocation et la détention, lundi, de l’archevêque maronite de Haïfa et Jérusalem Moussa el-Hage par le tribunal militaire, à son retour d’un déplacement en Israël, continuait hier de susciter l’indignation parmi la classe politique chrétienne.
Samir Geagea, chef des Forces libanaises, a condamné l’arrestation du prêtre. « Il est totalement incompréhensible que la Sûreté générale arrête (...) l’archevêque Moussa el-Hage », a déclaré M. Geagea dans un communiqué. Le député Kataëb Nadim Gemayel, qui s’est rendu au siège estival du patriarcat à Dimane en signe de solidarité, a, lui, estimé que cette arrestation « porte atteinte à l’Église maronite ». Le Courant patriotique libre (CPL) a de son côté « condamné » l’arrestation et la convocation de l’archevêque et demandé une « rectification immédiate de cette grave erreur » commise à l’encontre de Mgr Hage. La Ligue maronite a publié un communiqué dans lequel elle « dénonce avec force » l’arrestation de l’évêque, « une mesure inacceptable quelles qu’en soient les justifications ». Dans un tweet, le député Neemat Frem a qualifié l’arrestation de l’évêque de « mascarade ». Beaucoup d’autres internautes, connus ou moins connus, ont pris la défense de l’ecclésiastique.
Toutefois, tout le monde n’est pas de cet avis, et cette affaire a fortement polarisé hier les internautes. De nombreuses voix, de toute évidence proches du Hezbollah, ont fustigé l’archevêque maronite et l’Église qui l’a soutenu, estimant que transférer des fonds à partir d’Israël, pour quelque raison que ce soit, est preuve de félonie, prétendant même que celui-ci « stocke des médicaments israéliens dans le siège de son diocèse » et qu’il est poursuivi dans d’autres affaires.
commentaires (13)
Le juge Akiki est, si je ne me trompe, de confession maronite. Dans la logique ultra confessionnelle de l'etat Libanais actuel, il occupe donc un poste devolu a la communaute maronite. Il suffirait que le Patriarche Rai le mette a la porte de la communaute pour agression caracterisee contre la haute prelature, pour que Akiki perde toute legitimite a son poste et aille rejoindre son "parent" Nabih Berri qui le fera peut etre nommer a un autre poste devolu, celui-la, a la communaute Chiite.
Michel Trad
15 h 47, le 21 juillet 2022