Un très grave incident impliquant l’archevêque maronite de Haïfa et Jérusalem (Terre sainte), Moussa el-Hage, et la Sûreté générale s’est produit lundi. Tant le timing que le caractère inédit de l’affaire donnent le sentiment d’une volonté du Hezbollah d’envoyer par ce biais un message au patriarche maronite Béchara Raï.
Dans les faits, l’archevêque maronite, venant de son siège épiscopal de Haïfa par voie routière, a été arrêté par la Sûreté générale au point frontalier de Ras Naqoura, réservé aux religieux et au corps diplomatique. Selon des informations obtenues par L’Orient-Le Jour, il a été longuement interrogé sur ses rapports avec la communauté libanaise pluricommunautaire réfugiée en Israël après le retrait de l’armée israélienne de la bande frontalière qu’elle contrôlait, en mai 2000.
Arrivé vers 11h30 au point frontalier, l’évêque a été soumis à un interrogatoire, huit longues heures durant, avant d’être relâché, selon une source proche de Bkerké. Son passeport lui a été confisqué, mais il a pu continuer son chemin grâce à l’intervention du patriarche maronite et du président du Conseil supérieur de la magistrature, Souheil Abboud. Il doit toutefois se présenter aujourd’hui devant le tribunal militaire. En outre, toujours selon la même source, la Sûreté générale a confisqué, après fouille en règle de ses effets, l’argent remis en gage à l’évêque par les Libanais ayant fui en Israël (plus de 500 000 dollars), ainsi qu’un important lot de médicaments qu’il transportait aussi à destination des familles restées au Liban. On sait que dans le cas où ces fugitifs décideraient de rentrer au Liban, ils s’exposent à des peines de prison variées, selon qu’ils aient du sang sur les mains ou non, étant tous présumés avoir collaboré avec l’armée israélienne. L’OLJ a tenté, en vain, de joindre la Sûreté générale.
Mandat d’arrêt de Fadi Akiki
L’interception du véhicule s’est faite sur base d’un mandat d’arrêt du juge d’instruction militaire, Fadi Akiki. Celui qui a épousé la nièce du chef du mouvement Amal, Nabih Berry avait déjà interrogé il y a un certain temps l’évêque maronite de Haïfa sur la nature des liens entretenus par l’Église avec la communauté libanaise réfugiée en Galilée, confirme une source ecclésiastique. L’évêque avait alors vivement dénoncé les soupçons nourris à son encontre par la justice militaire, et établi que sa mission est purement humanitaire et devait permettre aux familles séparées par la guerre de rester en contact les unes avec les autres, dans l’espoir notamment de pouvoir rentrer un jour au pays, et d’y enregistrer les naissances de leurs enfants, un droit dont ils sont privés, mais qui est crucial pour les successions.
L’Orient-Le Jour a appris que le cheikh Akl druze Sami Aboul Mouna a pris contact hier avec le patriarche Raï pour dénoncer l’incident. En effet, l’argent remis en gage à l’évêque n’était pas exclusivement destiné à des maronites, mais devait aussi aller à des familles druzes et chiites. Devant la gravité des faits, le patriarcat maronite a décidé hier de surseoir à la réponse, en attendant la réunion aujourd’hui du synode maronite restreint, qui répondra comme il se doit à cet incident qui déroge gravement aux règles éthiques qui gouvernent depuis toujours les rapports entre l’État libanais et l’Église maronite.
Un droit reconnu
L’archevêque maronite de Haïfa, qui est en poste depuis septembre 2012, se déplace par voie routière entre la Terre sainte et le Liban en vertu d’un droit général reconnu à toutes les personnalités ecclésiastiques chrétiennes qui desservent des paroisses et des diocèses en Terre sainte. Il ne s’agit donc pas d’une exception, confirme le vicaire patriarcal maronite, Mgr Boulos Sayah, qui a été évêque de Haïfa seize années durant, et assure n’avoir jamais eu de problèmes au cours de ses déplacements.
L’incident semble être une affaire éminemment politique, dans un contexte où le patriarche maronite multiplie les critiques à l’encontre du Hezbollah. Le « message » du parti chiite toucherait aussi bien la cause de la « neutralité du Liban » pour laquelle fait campagne le patriarche, et que le Hezb considère comme directement dirigée contre lui, que ses positions relatives au profil du prochain chef de l’État. Ce dernier, assure le chef de l’Église maronite, doit être « au-dessus des partis », une condition qui exclut aussi bien le chef des Marada, Sleiman Frangié, que le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, de la course présidentielle, les deux « poulains » actuels du parti pro-iranien. Deux hommes dont le rapprochement récent s’est fait à l’instigation du parti de Hassan Nasrallah.
Il n’est pas impossible que cet incident relève aussi du règlement de comptes entre le Hezbollah et le patriarche maronite, qui s’était rendu en 2014 à Jérusalem, à la rencontre du pape François, avant d’effectuer une tournée pastorale en Galilée, pour en visiter les diocèses, couvent et paroisses maronites, au grand dam du parti pro-iranien qui y a vu une forme de « normalisation » entre le Liban et l’État hébreu.
Au nombre des réactions à l’incident, relevons celle du chef du parti Forces libanaises, Samir Geagea, qui a demandé au président du CSM et au procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, d’annuler la convocation de l’évêque maronite de Haïfa par le tribunal militaire. M. Geagea fait aussi valoir que le véritable objectif de l’action intentée à l’évêque maronite, c’est « le patriarche et ses positions patriotiques ». C’est aussi le sens d’une réaction de solidarité avec le siège patriarcal maronite de l’ancien député Farès Souhaid.
S'il est sorti avec 500 mille sans les déclarer aux israéliens, cela veut dire qu'il risque d'être arrêté là-bas la prochaine fois !!!
22 h 53, le 20 juillet 2022