
La Chambre réunie en juin pour ses élections internes. Photo tirée du compte Flickr du Parlement
« Vous reviendrez, n’est-ce pas ? » Nous sommes en avril 2014. Les députés du Courant patriotique libre et leurs alliés du Hezbollah quittent la séance d’élection du président de la République, après le premier tour. Le président de la Chambre, Nabih Berry, les incite à revenir, mais ils boycotteront toutes les séances, jusqu’en octobre 2016, brandissant la fameuse arme du défaut du quorum des deux tiers (86 députés sur 128). Résultat : ils réussissent à bloquer l’échéance jusqu’au jour où l’élection de leur candidat, Michel Aoun, à la magistrature suprême devient certaine. Six années plus tard, à quelques semaines du 1er septembre, date à laquelle doit débuter l’élection d’un successeur à M. Aoun, la question est sur toutes les lèvres : les formations hostiles au pouvoir en place vont-elles rendre la monnaie de sa pièce au Hezbollah, en prenant le quorum en otage pour pouvoir élire un président qui réponde à leurs critères ? Si cette arme politique est sans doute efficace – octroyant au tiers des députés (43 élus sur 128) la possibilité de bloquer le scrutin présidentiel –, elle reste pour le moins controversée et place les élus d’opposition face à un dilemme majeur. Car si les différents groupes qui forment l’opposition (les Forces libanaises, le Parti socialiste progressiste, la contestation, les Kataëb et certains indépendants) parviennent à un accord, ils pourront, certes, empêcher l’élection d’un candidat pro-Hezbollah, comme le leader des Marada, Sleiman Frangié, qui s’affiche comme un sérieux présidentiable. Toutefois, ils auront dans le même temps participé à l’obstruction d’une échéance constitutionnelle centrale de la vie politique libanaise, alors qu’ils ne ratent aucune occasion pour dénoncer les tactiques de blocage et de sabotage du camp adverse.
« Créativité constitutionnelle »
Interrogées sur un éventuel recours au blocage pour barrer la voie à un candidat du 8 Mars, les FL, qui disposent d’un bloc important de 19 députés, esquivent la question. « Il est encore trop tôt pour en parler, répond Charles Jabbour, porte-parole des FL. Mais le mois dernier, nous avons rassemblé 60 députés autour de la candidature de Ghassan Skaff pour la vice-présidence de la Chambre. Avec un peu d’efforts, nous sommes capables de rallier cinq parlementaires supplémentaires autour d’un candidat réformiste (il suffit de 65 votes pour être élu président au second tour, NDLR). Dans ce cas, ça sera plutôt le camp du Hezbollah qui voudra faire obstruction. » De leur côté, les députés de la contestation (13 élus) n’ont pas encore exprimé une position claire. Selon les informations de L’Orient-Le Jour, ces derniers se réuniront dans les prochains jours pour débattre du scrutin à venir.
Le député de Zghorta Michel Moawad, membre du bloc du Renouveau (4 députés), se veut plus tranchant. « Nous ne devons pas répéter les erreurs de ces derniers mois. Pour cela, il faut unir l’opposition autour d’un candidat qui porte son projet, et utiliser tous les moyens pour le faire élire », affirme l’élu. Et de poursuivre : « L’obstruction est loin d’être notre option préférée. Mais il s’agit d’un dernier recours légitime face à l’élection d’un président qui prolongera la descente aux enfers du Liban pour six années supplémentaires. » Depuis les législatives de mai, M. Moawad, perçu lui-même comme un présidentiable, joue le rôle de médiateur entre les partis d’opposition traditionnels et les élus issus de la contestation. Les Kataëb (4 députés) semblent aussi déterminés à empêcher le camp du Hezbollah d’élire son candidat. « Nous considérons que toutes les options constitutionnelles sont envisageables pour élire un chef de l’État transparent, capable de restaurer la confiance et de présider un véritable dialogue pour repenser le pacte national et social », déclare à L’Orient-Le Jour Sélim Sayegh, vice-président du parti. Pour lui, il faut à tout prix empêcher l’arrivée à Baabda d’un candidat pro-Hezbollah, quitte à utiliser « la créativité constitutionnelle ».
Quel quorum ?
Or, le blocage de l’élection du président par le tiers des députés n’est pas nécessairement constitutionnel. Selon l’ancien député et constitutionnaliste Salah Honein, « l’article 34 de la Constitution précise que le quorum pour la tenue d’une séance au Parlement est la majorité absolue, à savoir 65 députés. Si l’élection d’un président nécessitait un quorum différent, la Constitution l’aurait précisé clairement », explique-t-il. « Certes, l’article 49 précise qu’il faut la majorité des deux tiers des députés qui composent l’Assemblée pour élire le président dès le premier tour, mais il faut faire la distinction entre majorité requise pour être élu et quorum », affirme M. Honein. « La Constitution encourage un accord élargi autour de la figure du président, c’est pour cela qu’il faut une majorité des deux tiers des députés au premier tour. Mais le texte n’impose pas le consensus au détriment de la démocratie et ne permet sûrement pas à un petit groupe de députés de bloquer l’échéance », conclut-il. Pourtant, au cours de ces 50 dernières années, seule l’élection de Sleiman Frangié en 1970 a donné l’impression d’être le résultat d’une véritable compétition démocratique, ce dernier l’ayant remporté avec seulement une voix d’écart par rapport à son concurrent Élias Sarkis.
La lecture de M. Honein est cependant contestée par d’autres juristes, qui estiment que puisqu’il faut les deux tiers des députés pour remporter le premier tour, la présence d’au moins autant de députés est nécessaire à la bonne tenue du scrutin. C’est ainsi que Nabih Berry a permis au Hezbollah – son allié principal – de retarder l’élection du successeur de Michel Sleiman de 2014 à 2016 sous prétexte de l’absence du quorum des deux tiers. Contacté, un proche de M. Berry a refusé de répondre aux questions de L’OLJ sur la position de Aïn el-Tiné concernant le quorum, se contentant d’affirmer que « la Constitution est claire ».
commentaires (8)
Ce qui est remarquable avec les débats autour de la Constitution correspond à l'absence de constitutionnalistes. Votre article évoque des juristes mais qui sont-ils? Ont-ils une expertise sur la matière constitutionnelle? Avez-vous vérifié s'il existant des précédents? De la jurisprudence sur ce sujet? Pour ce qui est du débat politicien, c'est bien triste de voir Michel Aoun partir et nous savons tous que nous sommes perdants et ce quel que soit l'identité du successeur. On s'en fout s'il est pro Hezb ou anti puisque le président ne sert pas à grand chose et le Hezbollah est au-dessus des institutions qui font semblant d'être utiles
Georges Olivier
23 h 30, le 21 juillet 2022