Le ton est désormais au bellicisme. Après les menaces voilées à l’égard d’Israël et de ses « alliés américains » et l’envoi, il y a une dizaine de jours, de trois drones au-dessus du champ gazier frontalier de Karish, le Hezbollah est passé à l’étape supérieure. Mercredi soir, dans un discours des plus virulents, le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, a fait planer le risque d’une guerre que sa formation initierait pour faire valoir les droits du Liban en hydrocarbures dans la Méditerranée. Une guerre dont le monde entier pâtira, a-t-il prévenu. Cette escalade verbale survient, paradoxalement, alors que les pourparlers avec l’État hébreu sur le tracé de la frontière maritime ont progressé, de l’avis de plusieurs diplomates et responsables libanais. Quelle mouche a donc piqué le chef du parti de Dieu ? Comment expliquer cet étalage de muscles à ce timing précis, alors que le président américain Joe Biden entamait une tournée dans la région et haussait le ton contre l’Iran ?
Avant septembre...
Pour Hassan Nasrallah, l’équation qui doit régir le dossier de la frontière maritime est la suivante : le Liban, déjà empêtré dans une crise socio-économique sans précédent, et qui se dirige vers une situation encore plus désastreuse, n’a plus grand-chose à perdre mais tout à gagner en sortant de son apathie. Par contre, le prix à payer pour Israël et le monde occidental en général, en cas d’échec des pourparlers, est beaucoup plus élevé. « Ils ont besoin du gaz. L’Europe est pressée de trouver une alternative à la Russie, après l’invasion de l’Ukraine », a lancé Hassan Nasrallah, évoquant une période de deux mois pour que les Israéliens, et derrière eux les Américains, obtempèrent. Un délai qui expire en septembre, date avancée par les autorités israéliennes du début de l’extraction du gaz de Karish. « Si le Liban ne parvient pas entre-temps à faire valoir ses droits, ce sera trop tard après », a martelé le chef du parti chiite pour justifier le timing de son escalade. Mettant en avant ce qu’il estime être la vulnérabilité de l’Occident qui souhaite s’approvisionner en gaz et pétrole notamment auprès d’Israël, le chef du parti chiite a souligné la « position de force » dans laquelle se trouverait selon lui aujourd’hui le Liban pour améliorer les conditions des pourparlers en sa faveur. À défaut, ce serait l’affrontement. « Le Liban peut devenir la source de nombreux défis pour toute la région. Il a les moyens de faire obstruction », a mis en garde le numéro un du Hezbollah. Reconnaissant que les pourparlers avec les Israéliens sous la médiation américaine ont progressé – des développements confirmés par des diplomates occidentaux et des responsables libanais –, Hassan Nasrallah a toutefois décrété que cela « n’était pas suffisant ». Le secrétaire général – qui dit depuis des années se tenir derrière l’État libanais – ne précise toutefois pas ce qui, à ses yeux, serait acceptable. À aucun moment, depuis l’annonce de l’accord-cadre et le début en octobre 2020 des pourparlers sur le tracé de la frontière maritime au siège de la Finul à Naqoura, le leader chiite ne s’est prononcé sur la pertinence ou non de la ligne 23 que le Liban officiel a reconnue comme étant la démarcation à partir de laquelle il faut négocier, avant de réclamer la totalité du champ de Cana contre celui de Karish.
Nouvelle équation
Dans son discours, Hassan Nasrallah a toutefois clairement fait comprendre qu’aux yeux de son parti, la question va au-delà de cette revendication. « Si vous ne permettez pas aux compagnies d’extraire le gaz, nous allons renverser la table et le monde entier en pâtira », a-t-il menacé en s’adressant aux Israéliens, dans une allusion aux sociétés actuellement chargées de l’exploration dans les champs non contestés, mais aussi celles auxquelles le Liban pourrait faire appel à l’avenir. Des sociétés qui seraient selon lui soumises à des menaces et des pressions de la part d’Israël et des États-Unis. « La nouvelle équation est la suivante : nous frapperons Karish et bien au-delà », a-t-il tonné, ajoutant que les drones envoyés dans la zone de ce champ au large d’Israël – où une plateforme gazière était arrivée début juin – n’étaient qu’un « début modeste ». Pour lui, « menacer de guerre et lancer une guerre est une option plus honorable que nous soumettre aux menaces d’affamer les Libanais ». Pour Hassan Nasrallah, dire que son parti se tient « derrière l’État » signifie qu’il ne mène pas lui-même les pourparlers. « Nous n’avons jamais dit par contre que nous n’allons pas faire pression » dans un sens qui serve les intérêts du Liban, a-t-il ajouté. Sauf que cette fois-ci, il ne s’agit plus de simples pressions ou d’une guerre psychologique, a souligné le chef du parti chiite, mais d’une intention sérieuse de passer à l’acte si le Liban n’obtient pas gain de cause.
« Ce n’est pas une simple menace qui vient contrer une autre provenant de la partie adverse. C’est une mise en garde des plus sérieuses », commente un analyste qui gravite dans l’orbite du parti chiite, Fayçal Abdel Sater. Selon lui, il s’agit là de l’un des plus importants discours de Hassan Nasrallah. Officiellement, le Hezbollah justifie l’escalade et le ton belliqueux par le besoin du Liban d’extraire du pétrole et du gaz, n’ayant plus aucune autre ressource sur laquelle il puisse compter pour s’extirper de la pire crise économique de son histoire. Par conséquent, la toute-puissance de la résistance est, selon lui, le seul atout que le Liban possède pour faire valoir ses droits. « La seule façon de sauver les Libanais est d’extraire du pétrole et du gaz, et il y a une occasion en or ces deux prochains mois », a dit Hassan Nasrallah. Le chef du parti chiite a d’ailleurs invité les responsables libanais à exploiter la carte de la « résistance » pour faire valoir les droits du Liban.
Double objectif
« La guerre que promet de mener le Hezbollah sera limitée à l’espace maritime et à tous les champs d’hydrocarbures israéliens, mais ne visera pas le territoire de l’État hébreu », estime Talal Atrissi, expert en relations internationales et proche du Hezbollah. Et de poursuivre : « Face à l’apathie de la classe politique qui n’a réussi jusque-là à définir aucune vision économique susceptible de nous extraire du marasme dans lequel nous nous débattons, les options sont désormais limitées. » Le parti chiite sait parfaitement que toute agression dans l’hinterland israélien aura des conséquences désastreuses sur le Liban. Depuis des années, Israël promet que la riposte contre le Liban ne sera aucunement confinée aux régions où le parti chiite est prééminent comme en 2006, mais qu’elle sera cette fois-ci globale. « Il y a malheureusement toujours dans ce genre de situation une mauvaise appréciation des risques et les dérapages sont possibles à n’importe quel moment », prévient de son côté Mohanad Hajj Ali, chercheur au centre Carnegie Middle East. Une situation qu’appréhende l’Occident qui craint sérieusement un affrontement global dans la région, une éventualité d’autant plus coûteuse que la situation économique mondiale ne pourra pas supporter une hausse des prix des hydrocarbures qui vont systématiquement s’enflammer en cas de guerre, décrypte le chercheur.
Presque simultanément au discours de Hassan Nasrallah, Joe Biden donnait une interview à une chaîne israélienne et affirmait qu’« utiliser la force pour s’assurer que l’Iran n’obtient pas l’arme atomique est envisageable en dernier recours ». Jeudi, le président américain a signé avec le Premier ministre israélien Yaïr Lapid la « déclaration de Jérusalem sur le partenariat stratégique entre les États-Unis et Israël », consacré en partie au dossier du nucléaire iranien. Selon ce texte, les États-Unis « s’engagent à ne jamais permettre à l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire et à utiliser tous les éléments de leur puissance nationale pour s’en assurer ». Au sein du parti chiite, on ne dément pas le fait que le timing choisi par Nasrallah pour envoyer des messages corsés en direction de Tel-Aviv et Washington a été sciemment choisi, au moment où le président américain effectuait sa tournée en Israël et en Arabie saoudite. Un avis qu’avalisent certains analystes qui ont placé la surenchère du Hezbollah dans un contexte régional qui dépasse le tracé de la frontière maritime. Elle est à leurs yeux intimement liée au bras de fer qui a lieu entre l’Iran et l’Occident autour du dossier nucléaire et la volonté du parti chiite de faire pression et de servir de levier à l’intransigeance iranienne dans les pourparlers de Vienne, bloqués depuis des mois. Ce serait, selon Mohanad Hajj Ali, une escalade à double objectif : « améliorer » la position du Liban dans les pourparlers sur le tracé des frontières et brandir en même temps une épée de Damoclès au-dessus d’Israël qui a récemment intensifié ses opérations militaires, que ce soit contre la Syrie ou l’Iran.
commentaires (18)
Les trois analyses de la "BBC", du "Monde" de ce matin, et la vôtre sont alarmistes, mais qu’on se rassure, rien ne se produit pendant la visite de Joe Biden ! Pas pour l’instant. Pour répondre à la question, pourquoi les tambours de la guerre, c’est pour nous rendre un plus sourd par tant de gonflettes, par de bruits de bottes, car c’est une guerre de l’ombre qui se produit, à basse intensité, quoi qu’en pense l’un et l’autre. Je l’ai déjà écrit que si le Hezb se place toujours derrière L’Etat, ce n’est tant pour le soutenir, mais pour se protéger lui-même. Se livrer à une confrontation pendant que notre économie est au plus mal, et quand les négociations indirectes font du progrès, cela relève du suicide, et les guerres, quand elles se préparent, se déclenchent souvent quand on les attend le moins. A titre de comparaison sur le lancement de drones, entre celui qui coûté la vie à un militaire iranien à la fin du mandant de Trump, et celui d’il y a quelques jours sur les champs pétrolier, il y en a qui ont admiré la précision du tir. Comment la guerre secrète entre Israël et l'Iran devient de plus en plus visible https://www.bbc.com/afrique/articles/c3g3yyd7p11o Suzanne Kianpour BBC News, Dubaï 12 juillet 2022 https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/14/la-guerre-secrete-entre-l-iran-et-israel-peut-deboucher-sur-un-conflit-ouvert-entrainant-leurs-blocs-respectifs_6134709_3232.html
Nabil
17 h 34, le 15 juillet 2022