
Le juge Nawaf Salam. Photo d’archives
Il ne vit pas au Liban et n’a jamais officiellement dit qu’il était candidat au poste de Premier ministre. À chaque consultation parlementaire, depuis 2019, son nom revient pourtant sur le devant de la scène politique libanaise. Nawaf Salam a parfois des airs de mirage. Comme un espoir lointain, auquel ont pu se raccrocher à la fois le 14 Mars et le 17 Octobre, sans qu’il ne devienne jamais palpable.
Celui qui a préféré ne pas se présenter aux dernières législatives, après avoir longtemps hésité, a obtenu hier 24 voix contre 54 pour le Premier ministre sortant Nagib Mikati. « Il est l’homme du moment par excellence », dit de lui un vieux baron de la politique libanaise. L’« homme du moment » ? Pas pour tout le monde en tout cas. L’ancien diplomate ne fait pas l’unanimité dans les rangs de tous ceux qui se réclament de l’opposition, comme les Forces libanaises, les députés indépendants et ceux de la contestation (dont 10 des 13 membres ont tout de même voté pour lui).
Accusé par certains députés contestataires d’appartenir au camp de Fouad Siniora – une figure controversée aux yeux de nombreux réformistes avec laquelle Nawaf Salam a pourtant refusé de s’allier durant les législatives de 2022 – puis boudé par les Forces libanaises qui disent ne pas connaître son programme politique, Nawaf Salam aura finalement été sanctionné par « des rumeurs », mais aussi pour avoir manqué d’honorer les pratiques de « relations publiques » auxquelles tout aspirant à la politique au Liban doit se plier. « Samir Geagea n’a jamais digéré le fait qu’il ne lui a pas rendu visite pour le remercier de l’avoir nommé une première fois (en 2019), alors qu’il se rend facilement chez Fouad Siniora ou chez Walid Joumblatt », commente un homme politique sous couvert d’anonymat.
« Quant à son programme, il suffit de lire les dizaines de milliers de pages rédigées sur le Liban et les réformes qu’il préconise pour sonder le fond de sa pensée et son programme », affirme un ami de M. Salam. Le juge à la Cour internationale de justice est en effet loin d’être un parfait inconnu. Fort d’une grande expérience à l’échelle internationale, ce n’est pourtant pas le carriérisme qui a guidé son parcours aussi bien académique que professionnel. Il est mû « par son amour pour le pays et pour sa ville Beyrouth » dont il est originaire ainsi que par un désir constant de voir le phénix qu’est destiné à être le Liban renaître de ses cendres. « C’est un féru de lecture, ce n’est pas quelqu’un qui suit le cours de la Bourse », observe le chef du PSP, Walid Joumblatt, un ami de longue date. « Il n’a rien de commun avec les dinosaures politiques et l’affairisme dans lequel trempent ces derniers », dit-il.
Contacté par L’Orient-Le Jour, M. Salam n’était pas joignable hier.
Propalestinien
Bien qu’issu d’une famille de notables – son grand-père, Sélim Salam, a été député en 1912 au Parlement ottoman, son oncle, Saëb Salam, considéré comme l’un des pères de l’indépendance du pays, a été Premier ministre quatre fois entre 1952 et 1973 et son cousin, Tammam Salam, Premier ministre de 2014 à 2016– , c’est dans les milieux de la gauche qu’il va baigner pendant ses années universitaires. Des années passées à l’étranger où il décroche une série de doctorats en sciences politiques, en histoire et en sciences sociales à Paris, avant de poursuivre des études de droit aux États-Unis où il est admis à Harvard. À l’instar des étudiants de sa génération, il est activement impliqué dans la lutte propalestinienne. Une cause qu’il continuera à défendre, aux côtés de la souveraineté du Liban, au sein de l’ONU.
S’il reste aujourd’hui un grand défenseur des droits des Palestiniens et garde de son affiliation à la gauche une prédisposition à la justice sociale et un esprit critique, il gagne, au fil de ses expériences internationales, en pragmatisme. « Sa vision ne s’apparente plus aux révolutions et aux luttes à l’ancienne. Il connaît bien les limites des ambitions de la gauche », commente Ziad Majed, universitaire et chercheur, qui le connaît très bien.
Ayant soutenu depuis une vision réformiste qu’il a déclinée dans plusieurs ouvrages et essais sur la reconstruction de l’État libanais, la réforme du code électoral et l’indépendance de la justice, il a fini par développer une approche centriste. Son apport intellectuel mais aussi son engagement dans de multiples actions citoyennes sont principalement motivés par sa volonté de « faire face à un système corrompu dominé par les considérations confessionnelles et l’hégémonie syrienne dans les années 90 », ajoute M. Majed.
Bien qu’imprégné d’une culture de résistance contre Israël, entendu dans son acception nationale, Nawaf Salam n’en pas moins défendu la nécessité de reconstruire la souveraineté de l’État libanais sur tout le territoire. La problématique des armes du Hezbollah ne peut, selon lui, qu’être réglée dans le cadre d’une stratégie de défense, précise M. Majed.
« La bonne réaction politique »
Outre ses fonctions de représentant permanent du Liban auprès des Nations unies à New York (2007 à 2017), Nawaf Salam a présidé le Conseil de sécurité en mai 2010 et septembre 2011 lorsque le Liban a été élu membre non permanent de cette instance pour une durée de deux ans. En novembre 2017, il est élu à une majorité de voix à l’ONU comme juge auprès de la Cour internationale de justice de La Haye pour un mandat de dix ans, un poste extrêmement prestigieux qu’il est le seul Libanais avec Fouad Ammoun, un autre juriste renommé, à avoir occupé.
Ses dix années passées à l’ONU lui ont valu un respect inconditionnel dans les milieux diplomatiques « même parmi les ambassadeurs qui n’étaient pas d’accord avec lui », rappelle la journaliste Gisèle Khoury qui l’a connu en tant que meilleur ami de son mari, Samir Kassir, écrivain et journaliste, tué en juin 2005 dans un attentat à la voiture piégée. C’est Nawaf Salam qui fut l’architecte de la politique de « dissociation » par rapport à la Syrie en 2012, soucieux d’assurer la protection du Liban de la guerre qui déchirait le pays voisin. Son mandat au sein de l’organisation internationale s’est distingué par de multiples interventions en faveur de la résolution 1701. Un texte qui a permis, depuis, de stabiliser la région et d’empêcher la reprise des hostilités. « Il a toujours eu la bonne réaction politique dans les grands moments qui ont jalonné l’histoire du Liban », soutient encore Mme Khoury. C’est avec autant de ferveur qu’il va œuvrer pour mettre fin à l’impunité par l’établissement du Tribunal spécial pour le Liban dans l’affaire de l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, ce qui lui vaudra probablement d’être désigné comme un ennemi par le Hezbollah qui redoutait ses relations avec l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, l’artisan du TSL. C’est à ce dernier que M. Salam doit d’ailleurs sa nomination en 2007 comme ambassadeur à l’ONU. Sa relation de longue date avec l’ancien chef de gouvernement « avec qui il entretient des relations comme avec d’autres figures politiques libanaises », défend Ziad Majed, va lui porter tort en amont des consultations parlementaires.
Ni zaïm ni révolutionnaire exalté, celui qui est aujourd’hui « trop 14 Mars » pour les uns, « trop propalestinien » pour les autres, semblait enfin prêt à endosser le rôle. Mais sans se plier aux pratiques du compromis à la libanaise. Ce qui d’emblée l’a mis hors jeu pour un mandat appelé à perpétuer la pratique du partage d’influence au sein de l’exécutif.
" Nawaf Salam a présidé le Conseil de sécurité en mai 2010 et septembre 2011 [..], un poste extrêmement prestigieux qu’il est le seul Libanais avec Fouad Ammoun, un autre juriste renommé, à avoir occupé. " A CORRIGER: Ils ne sont pas les seuls Libanais qui ont présidé le Conseil de sécurité. Charles Malik a aussi tenu ce poste trois fois (Fév.1953, Janv.1954, Déc.1954) et il ne s’est jamais vanté de tous les postes qu’il a tenu à l’ONU ou ailleurs… Un homme cultivé, simple et humble. AUTRE SUJET : il est temps à nos chers journalistes d’aider la société libanaise "à devenir adulte dans sa pensée" en arrêtant ce jeu maladif (et qui est reflète tellement les nombreux complexes d'infériorité de nos sociétés) qui cherche le "prestige" à tout prix: Des slogans tels que "poste extrêmement prestigieux" ??, "seul Libanais" ??, etc. ... Alors que le pays sombre dans une crise sans précèdent et sans fin visible?!... C’est écœurant! Le poste est tout simplement un poste administratif qui a la tache d’organiser les réunions, les agendas et representer le C.de sécurité envers d’autres instances. Tout cela, pour une durée d'un mois (!) ... et quasi tous les membres du Conseil de sécurité passent par cette présidence "par rotation". A titre d'exemple: Un homme politique Chinois a tenu cette présidence 16 fois et un autre, de l'ex-URSS, 10 fois ... et cela ne fait ni d'eux, ni de leur pays respectifs, des hommes "prestigieux" ou des pays "modèles" à imiter !
12 h 10, le 25 juin 2022