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Politique - Frontière maritime

Le Liban officiel opte pour la diplomatie, le Hezbollah « prêt à passer à l’acte »

L’émissaire US invité à Beyrouth pour discuter du différend avec Israël après l’arrivée d’une plateforme gazière sur le champ de Karish.

Le Liban officiel opte pour la diplomatie, le Hezbollah « prêt à passer à l’acte »

La plateforme d’Energean Power traversant, sur cette photo datée du 3 juin 2022, le canal de Suez, en route vers le champ gazier de Karish. Photo AFP / HO / Autorité du Canal de Suez

Tous les regards étaient rivés hier sur le champ gazier de Karish en Méditerranée orientale, après l’arrivée au cours du week-end de l’unité flottante Energean Power de traitement et de stockage des hydrocarbures produits offshore (FPSO). Une unité tout droit venue de Singapour où elle a été spécialement construite pendant un an pour l’exploitation des champs gaziers de Karish et de Tanin situés au large d’Israël. Au Liban, tout le monde a retenu son souffle. Ce développement, qui pourrait constituer un acte d’agression selon Beyrouth, mènera-t-il à une escalade militaire ? Ou l’heure est-elle, toujours, aux négociations ?

L'édito d'Anthony Samrani

Frontière maritime : stop à la surenchère!

Pour le moment, le Liban officiel a opté pour la diplomatie. À travers le président de la République et le Premier ministre sortant, il a réclamé une médiation américaine. De son côté, le Hezbollah a, comme à son habitude, soufflé le chaud et le froid. Tout en se positionnant derrière l’État libanais, il s’est dit « prêt à passer à l’acte ». « Lorsque l’État libanais dira que les Israéliens agressent nos eaux et notre pétrole, nous serons prêts à faire notre part en termes de pression, de dissuasion et d’utilisation des moyens appropriés – y compris la force », a lancé le numéro deux du Hezbollah Naïm Kassem à l’agence Reuters. « Cette affaire nécessite une décision décisive de l’État libanais », a-t-il ajouté, précisant que le Hezbollah « a exhorté le gouvernement à se dépêcher, à se fixer un délai ». Il a également déclaré que son parti agirait « quelles que soient les réponses », même si cela devait conduire à un conflit plus large.

Hochstein invité à Beyrouth

Pour un Liban englué dans ses divisions, qui maintient le flou, se contredit constamment sur ses revendications frontalières maritimes avec son voisin hébreu et n’a pas réussi à officialiser ses ambitions maximalistes, la pilule est difficile à avaler. Car le pays du Cèdre est encore bien loin d’exploiter son gaz offshore, alors que l’État hébreu n’est plus qu’à quelques jours, quelques semaines au pire, d’extraire gaz et pétrole du champ de Karish. Pire encore, les tergiversations libanaises ont entraîné la suspension, il y a plusieurs mois, des négociations indirectes entre Beyrouth et Israël, menées dès 2020 sous la houlette des Nations unies et via une médiation américaine. Dans un communiqué publié hier après-midi, le bureau de presse de M. Mikati a indiqué que ce dernier et le chef de l’État « ont discuté des mesures à prendre pour faire face aux tentatives israéliennes de provoquer des tensions au niveau de la frontière maritime méridionale ». « Le président et le Premier ministre se sont mis d’accord pour inviter l’émissaire américain Amos Hochstein à Beyrouth pour évoquer la poursuite des négociations pour la délimitation de la frontière maritime méridionale et achever cela le plus vite possible afin d’éviter toute escalade qui dessert la stabilité dans la région », ajoute le communiqué. Il indique enfin qu’il « a été décidé d’entreprendre une série de contacts diplomatiques avec de grandes puissances et les Nations unies afin d’expliquer la position du Liban et insister sur son attachement à ses droits et ses ressources maritimes (...) ». Il rappelle également que « les travaux d’exploration et de forage entrepris par Israël dans les zones contestées constituent un acte d’agression qui menace la paix et la sécurité internationales ». Commentant ce dossier, le président du Parlement Nabih Berry, allié chiite du Hezbollah, a lui aussi estimé, dans des propos au quotidien al-Akhbar, que l’émissaire Hochstein « doit se rendre à Beyrouth et mettre un terme aux agissements d’Israël ». « Si Hochstein ne se montre pas coopératif ou n’obtient pas de résultats, le gouvernement libanais doit se réunir et décider à l’unanimité d’amender le décret 6433 et de l’envoyer à l’ONU ».

« Très loin de la réalité »

Mais pour Israël, le champ gazier de Karish se trouve dans « la zone économique exclusive (ZEE) reconnue par l’ONU », a indiqué hier à l’AFP un haut responsable israélien sous couvert d’anonymat. « Les mensonges du Liban qui prétend soudainement qu’il s’agit d’une région contestée peuvent être réfutés (...) par la propre position du Liban dans le passé », a poursuivi le responsable, rappelant que Beyrouth avait reconnu cette région comme étant dans les eaux israéliennes. La ministre israélienne de l’Énergie Karin Elharrar a elle aussi estimé que le récit libanais était « très loin de la réalité », selon des propos rapportés par l’agence Reuters. Interrogée sur la perspective d’une escalade, Mme Elharrar a déclaré : « Nous n’en sommes pas du tout là. Vraiment, le décalage (entre la rhétorique et la réalité) est tel que je ne crois pas qu’ils passeraient à l’action. » « Israël se prépare, (et) je recommande que personne n’essaie de surprendre Israël », a-t-elle ajouté. Même son de cloche du côté du ministre israélien de la Défense Benny Gantz, qui a affirmé que le différend maritime avec le Liban sera résolu via une médiation américaine. Entamés sur base des revendications libanaises officielles enregistrées en 2011 auprès des Nations unies en référence au décret 6433/2011 portant sur une zone de 860 km2 délimitée par la ligne 23, les pourparlers sur la délimitation de la frontière maritime ont été interrompues quand la délégation libanaise de négociateurs, dirigée par le général Bassam Yassine, a annoncé sa volonté de réclamer un droit supplémentaire sur 1 430 km2 limités par la ligne 29. Laquelle coupe en deux le champ de Karish. Une revendication qui, pour être officialisée, nécessitait l’amendement du décret 6433. Ce qui n’a jamais été fait par les autorités libanaises. En lieu et place, elles se sont contentées d’adresser une missive officielle à l’ONU rappelant que le champ gazier de Karish se trouve dans la zone contestée et que Beyrouth « tient au respect de ses droits sur ses ressources offshore ». « Le Liban demande au Conseil de sécurité de réclamer à Israël de ne pas forer dans les zones controversées, ce qui pourrait constituer une menace pour la sécurité des deux pays », ajoutait le message.

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Réagissant hier à ce regain de tensions, le porte-parole des Nations unies Stéphane Dujarric a souligné que « l’ONU s’engage à soutenir les négociations sur la frontière maritime entre le Liban et Israël conformément à la manière dont le demandent les deux parties », selon des propos rapportés par des médias locaux. « Nous encourageons Israël et le Liban à résoudre tout différend à travers le dialogue et les négociations », a-t-il insisté.

Un navire israélien à la frontière de la zone disputée entre le Liban et Israël. Jalaa Marey/AFP

Les deux choix du Liban

Dans la journée de dimanche, c’est à qui mieux mieux que Michel Aoun et Nagib Mikati se sont fendus de déclarations. Selon un communiqué de Baabda, « les négociations sur la délimitation de la frontière maritime sont toujours en cours, et toute activité ou opération dans la zone contestée constitue une provocation et un acte hostile ». De son côté, le Premier ministre a accusé Israël de chercher à provoquer « une nouvelle crise » avec le Liban en « empiétant sur ses ressources offshore » et en cherchant à « imposer un fait accompli ». En cours de journée, le président Aoun a chargé le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, de lui donner des précisions sur l’emplacement de la plateforme.

« Actuellement, le chef de l’État a demandé au commandement de l’armée de s’assurer de l’emplacement exact de l’unité flottante Energean Power. Il se pourrait fort qu’elle ne se trouve pas dans la zone maritime disputée, ce qui changerait la donne », révèle à L’Orient-Le Jour une source informée proche de Baabda. « Et qui plus est, l’État israélien pourrait commencer par extraire son gaz d’un puits qui n’est pas situé dans la zone controversée, vu que Karish est constitué de plusieurs puits ». « L’important est qu’il n’y ait pas d’extraction dans la zone disputée », souligne encore la source.

Sauf que, pour Charbel Skaff, universitaire et expert dans le dossier du gaz, le positionnement de l’unité d’extraction n’est pas la question. « Il est important de savoir que l’Energean Power est capable d’extraire des hydrocarbures à deux kilomètres de distance, affirme-t-il. La plateforme peut donc procéder à l’extraction de gaz dans la zone controversée, même si elle ne se trouve pas dans cette zone. » D’où la nécessité, estime-t-il, de sortir du flou officiel et d’officialiser la revendication maximaliste libanaise. « Le Liban est face à une alternative : soit il amende le décret 6433, soit il reconnaît que Karish n’est pas sur son territoire maritime », martèle-t-il.Une porte-parole du ministère israélien de l’Énergie a déclaré hier à l’AFP que le forage était terminé depuis des mois et que « le flux de gaz en provenance de Karish devrait commencer en septembre ». Le navire qui est arrivé dimanche sera connecté à Karish via des gazoducs, a-t-elle précisé.

Pas question d’amender le décret 6433

Une chose est sûre aujourd’hui. Le chef de l’État, qui détient le dossier des négociations, n’a pas l’intention d’amender le décret 6433. Et le gouvernement sortant ne devrait pas aller à l’encontre de la décision présidentielle. « La seule ligne enregistrée officiellement auprès de l’ONU est la ligne 23. Quant à la ligne 29, le Liban la considère comme une ligne de négociations », explique la source proche de la présidence. « Baabda se dit d’ailleurs prêt à reprendre les négociations avec l’émissaire américain Amos Hochstein, après lui avoir signifié son refus de la ligne frontalière sinueuse qu’il avait proposée en février dernier », ajoute-t-elle. Cette ligne, dont le point de départ se trouve au large de Naqoura, accorde au Liban une importante partie du champ d’hydrocarbures de Cana et l’autre partie de ce même champ à Israël. Par contre, elle accorde à Israël la totalité du champ de Karish, de même qu’une partie du bloc 8. « Amos Hochstein devrait arriver au Liban dans les deux prochaines semaines », assure dans ce cadre la source précitée.

Point de vue

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Sauf que ce « refus » libanais semble n’avoir pas été enregistré par Washington. Il ne s’est pas non plus accompagné de la moindre contre-proposition. « Washington attend toujours la réponse libanaise à la proposition écrite présentée par Amos Hochstein », rappelait Abbas Ibrahim, directeur général de la Sûreté générale, dans l’édition de juin de la revue de la SG à son retour d’un voyage officiel à Washington où il a évoqué, entre autres, le dossier de la frontière maritime. Et sur la position libanaise, le responsable explique que « le Liban considère, en principe, la ligne 29 comme une ligne de négociations » tant que la frontière maritime commune entre le Liban et Israël n’a pas été délimitée. « Tout ce qui se situe à l’intérieur de la ligne 29 est une zone contestée, précise Abbas Ibrahim. L’ennemi n’a donc pas le droit d’extraire du pétrole ni d’agir de quelque façon que ce soit au nord de cette limite. Au cas où il le ferait, il serait en train de porter atteinte à la richesse libanaise en hydrocarbures et, par le fait même, à la souveraineté et aux droits du Liban. »

Un « devoir souverain »

Hier, sur la scène libanaise, le dossier suscitait un tollé. Le chef de l’Église maronite Béchara Raï a estimé que « les autorités libanaises doivent à tout prix poursuivre les négociations et fixer la frontière maritime (du Liban) sans concessions ni surenchères ». Il a également noté que la préservation des droits du Liban est un « devoir souverain qui ne peut faire l’objet de concessions ni être transformé en polémique politique et sectaire ».Les 13 députés libanais issus des mouvements de la contestation élus le 15 mai dernier ont, dans un communiqué commun, lu hier par le député Melhem Khalaf, défendu la ligne 29 et demandé à l’État libanais d’amender le décret 6433. Ils ont aussi appelé à un sit-in populaire à Naqoura, à la frontière avec Israël, samedi prochain.Quant au Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, allié chrétien du Hezbollah, il a dénoncé « une surenchère » au sujet de la délimitation de la frontière maritime et rappelé « avoir mis en garde contre la dangerosité de la situation ». « L’État libanais doit refuser qu’Israël exploite le gaz de Karish avant que le Liban n’assure ses droits sur les blocs méridionaux (...) », a estimé le CPL.

L’escalade verbale est-elle annonciatrice d’une guerre du gaz en Méditerranée ? La question est sur toutes les lèvres, mais demeure sans réponse. « Nous sommes dans la zone orange. Mais la diplomatie se démène », commente une source proche du dossier. « Au cas où une guerre serait déclenchée dans la région, elle ne partirait pas d’un souci de protection de la souveraineté libanaise, estime de son côté Charbel Skaff. Son point de départ serait plutôt les intérêts de l’Iran, mis à mal par le gel du dossier des nouveaux accords de Vienne sur le nucléaire iranien. »

Tous les regards étaient rivés hier sur le champ gazier de Karish en Méditerranée orientale, après l’arrivée au cours du week-end de l’unité flottante Energean Power de traitement et de stockage des hydrocarbures produits offshore (FPSO). Une unité tout droit venue de Singapour où elle a été spécialement construite pendant un an pour l’exploitation des champs gaziers de Karish...

commentaires (8)

Encore une question de bâteau: après le Rhosus qui a fait exploser la moitié de Beyrouth, voilà l'Energean Power qui risque de faire exploser tout le pays, ce pays (mal) gouverné par des incompétents, des traîtres et des vendus, mais à qui malheureusement ce peuple de moutons vient de renouveler sa confiance. Tous sont dans le coup, tous ont vendu le gaz et le pétrole il y a belle lurette. Tout le reste n'est que gesticulations et larmes de crocodiles!

Georges Airut

23 h 19, le 07 juin 2022

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Commentaires (8)

  • Encore une question de bâteau: après le Rhosus qui a fait exploser la moitié de Beyrouth, voilà l'Energean Power qui risque de faire exploser tout le pays, ce pays (mal) gouverné par des incompétents, des traîtres et des vendus, mais à qui malheureusement ce peuple de moutons vient de renouveler sa confiance. Tous sont dans le coup, tous ont vendu le gaz et le pétrole il y a belle lurette. Tout le reste n'est que gesticulations et larmes de crocodiles!

    Georges Airut

    23 h 19, le 07 juin 2022

  • BIZARRE QUE PERSONNE NE PARLE DE LA FRONTIERE NORD AVEC LA SYRIE QUI N'INQUIETTE PERSONNE ET QUI A BOUFFE DES MILLIERS DE KM2 DE NOTRE REGION MARITIME LA VERITE: QUAND LE LIBAN SIGNE AVEC CHYPRE UNE LIGNE MAIS QU'IL VEUT LA CHANGER QUAND C'EST D'ISRAEL QU'IL SAGIT, ON PEUT SE DEMANDER COMMENT CES POLICHINELS POLITIQUES SONT ENCORE AU POUVOIR. JE RAPPELLE QUE TOUT CE DOSSIER ETAIT ENTRE LES MAINS DE BASSIL ET IL A LUI MEME MIS DES SPECIALISTES A 25000 DOLLARS LE MOIS POUR ETUDIER CES DOSSIERS VIVE LE LIBAN QUI A PERDU DEJA PLUS DE DIX ANS DANS CE DOMAINE ET QUI A DES ; SPECIALISTES GRASSEMENT PAYES POUR NE RIEN FAIRE SAUF ALIMENTER AMAL ET LE CPL APRES UNE RENCONTRE MEMORABLE ENTRE BERRY ET GEBRAN ET TOUT A ETE RESOLU PAR LE PARTAGE DES ...........(pour ne pas etre censure )

    LA VERITE

    17 h 22, le 07 juin 2022

  • L’Iran ne veut pas que le Liban hausse la tête. Figli di buona donna

    Eleni Caridopoulou

    15 h 41, le 07 juin 2022

  • On n’a pas entendu le président de la république bananière commenter les propos de HB. Est ce que son silence équivaut à un oui? Où est l’armée libanaise pour rappeler ce mec qu’on ne l’avait pas sonné et que nous n’avons pas besoin de son aide pour défendre les droits de notre pays? Il est temps de remettre les choses et les gens à leur place.

    Sissi zayyat

    14 h 41, le 07 juin 2022

  • Qui croit encore à cette fiction ? Brader nos ressources naturelles pour espérer négocier la levée de sanctions visant un corrompu fini ? Non, c'est plutôt l'Iran qui mise sur l'effondrement complet du Liban.

    CHAHINE Omaya

    13 h 32, le 07 juin 2022

  • Wake up before it’s too late ! Cette situation est totalement surréaliste et programmée par L’Iran et ses esclaves au Liban qui nous retiennent tous en otages. C’est maintenant qu’il faut s’unifier afin de se libérer de ce système obscur . Où est il le changement ??

    Wow

    13 h 18, le 07 juin 2022

  • Il faut être logique : il nest pas possible de prétendre la zone de Karish contestee, et en même temps, refuser d'amender le décret 6433. Nos dirigeants sont corrompus certes, mais pas stupides, loin de là ! Cette évidence n'a pu leur échapper. La situation actuelle est donc voulue. Le Hezbollah qui a interdit à Aoun de signer l'amendement du décret 6433 veut deux choses: empêcher tout relèvement économique du Liban, et, d'autre part, maintenir un point de friction avec Israël, susceptible de déclencher une guerre, le jour où il en recevra l'ordre de Téhéran.

    Yves Prevost

    07 h 13, le 07 juin 2022

  • De pathétiques acteurs libanais jouant très mal un vaudeville sinistre. Ce serait presque comique si ceux qui veulent la disparition du Liban tout en prétendant le défendre n’étaient pas, en réalité, les marionnettistes qui mettent en scène ce spectacle affligeant.

    JB El catalán

    00 h 48, le 07 juin 2022

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