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Nos Lecteurs ont la Parole

L’impossible pardon ?

Le pardon est une notion qui nous a toujours à la fois passionnés et posé question tout en semblant vital, il est parfois impossible. C’est sans doute pour cela qu’il est escamoté. Nous croyons qu’il ne peut être réellement vécu et rendu tolérable que dans une optique chrétienne. Ce qui ne le rend pas pour autant plus facile.

Le mot pardon a un sens fort, non pas démission, non pas complicité, non pas capitulation, mais plutôt un sens moral « donner par-delà ». Oui, par-delà le mal qu’on nous fait, donner à nouveau, jeter à nouveau un pont de communication entre l’autre et soi ; et non pas oublier, mais « passer par-dessus ».

Le pardon n’est pas naturel. La loi du talion que nous voyons s’exercer tous les jours, sous nos yeux – surtout entre la Russie et l’Ukraine –, est celle qui semble naturelle. La loi du talion semble même avoir valeur pédagogique : « Cela lui apprendra, il va voir, cela lui servira de leçon » sont des expressions qui reviennent sans cesse quand on rend coup pour coup. Et cela n’apprend rien, cela ne sert pas de leçon et personne ne veut rien « voir » en face. Le processus du malentendu est commencé. Nous sommes tous capables d’aimer. Mais jusqu’où ? Voilà la question.

Si le pardon est le bout de l’amour, parler de pardon à des êtres cassés par le malheur et ceux qui crient leur révolte est vain, comment ne pas comprendre que certains crient vengeance contre des hommes, des situations, des régimes politiques ? Intolérable de savoir son fils, son frère, son père et sa mère torturé(e)s, intolérable de savoir sa femme et ses enfants fauchés, mutilés par d’aveugles roquettes et missiles, intolérable de voir son épouse partir avec un autre.

Il est toujours facile d’être tolérant en idées. Mais quand on est atteint dans sa chair, son sang, son pauvre cœur, alors c’est ce long hurlement silencieux, c’est cette souffrance plus forte que tout pardon. Insoutenable à l’esprit humain qui crie : « Je ne pardonnerai jamais. »

Et celui qui, ayant lentement progressé, veut s’y essayer, ce processus est si difficile en réalité. À voir la douleur due à des conflits, à des blessures d’amitié, on mesure ce que doivent être ces grandes haines, ces refus de pardon qui dressent des générations, des familles, des peuples, les uns contre les autres, semble-t-il à jamais.

Comment pardonner ? Le pardon à tous les niveaux est compliqué. C’est déjà tout un long cheminement que de consentir à pardonner. Mais celui qui est prêt à le faire trouve la plupart du temps en face de lui quelqu’un qui ne veut pas être pardonné parce qu’il ne se reconnaît pas comme « devant être pardonné ».

Nous avons tous plus ou moins connu des tiraillements, et nous savons que vouloir pardonner n’est qu’une partie de la proposition ; il faut qu’en face de nous celui qui nous a fait du mal consente à notre pardon. Sinon, c’est un dialogue de sourds.

Encore plus, celui qui vient le cœur ouvert, prêt à pardonner, se voit souvent agressé et accusé. Non seulement il n’y a pas de reconnaissance du mal qu’on lui a fait, mais par perversion de l’esprit, qui se cherche des alibis de bonne conscience, c’est lui qui est accusé. Tout le monde connaît ce processus, tout le monde sait la signification profonde des mots « malentendu » et « erreur », ils peuvent aller jusqu’à des niveaux très graves, il peut aller jusqu’à l’aberration la plus totale.

Dans la page du fils prodigue, nous avons un père qui pardonne et un fils repentant. Combien de pères ont voulu pardonner à des fils inconscients qui n’éprouvaient pas le moindre besoin de pardon, et le fils chargeait le père de tous les défauts ? Et combien de fils ouverts ont trouvé des pères fermes et inflexibles ?

C’est cela le grand malentendu du pardon. Et quand les torts sont équilibrés, chacun des deux est « victime » de l’autre, chacun d’eux attend que l’autre revienne. Tous les jours, le brouillard s’épaissit, le dialogue se fausse de plus en plus. La communication est coupée.

Le pardon ne va pas sans une grande modestie : les êtres orgueilleux ne pardonnent pas. Et ceux qui pardonnent le font à la mesure de leur spiritualité, de la place de « Dieu en eux ». Et nous, qui en sommes si peu capables, nous regardons pleins d’admiration et d’étonnement ces virtuoses de la spiritualité, ces grands champions qui peuvent être de très modestes gens qui réussissent un pardon contre-nature et ce sont eux qui transforment le monde.

Ceux qui acceptent de pardonner acceptent de « regarder » l’autre à nouveau, avec une certaine distance, indépendamment de la crise traversée. La souffrance était telle qu’ils n’étaient capables de voir cet autre que par l’acte même dont ils souffraient. Ce nouveau regard est alors transformant et rend tolérable ce qui ne l’était pas, car il voit l’autre dans sa réalité d’homme, dans sa faiblesse, ses défauts, sa grandeur aussi, et le voyant ainsi, il « accepte » qu’il soit capable de faiblesse.

Et le jour où ceux qui pardonnent tendent la main, si cette main est saisie, c’est comme si pendant quelques instants, ils prenaient la place de l’autre, comme s’ils prenaient avec eux sa faiblesse et y adhéraient, comme s’ils pardonnaient gratuitement dans cette douleur.

Surmonter le caractère parfois impossible du pardon, c’est faire resplendir l’amour dans sa gratuité, c’est prendre exemple de l’acte gratuit de Dieu. Mais personne ne peut être « comme Dieu » si Dieu n’est pas là, actif en lui.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Le pardon est une notion qui nous a toujours à la fois passionnés et posé question tout en semblant vital, il est parfois impossible. C’est sans doute pour cela qu’il est escamoté. Nous croyons qu’il ne peut être réellement vécu et rendu tolérable que dans une optique chrétienne. Ce qui ne le rend pas pour autant plus facile.Le mot pardon a un sens fort, non pas démission, non pas...
commentaires (1)

Je ne pardonnerai jamais à Bashar el Assad , au Hezbollah et l’Iran

Eleni Caridopoulou

18 h 09, le 01 juin 2022

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Commentaires (1)

  • Je ne pardonnerai jamais à Bashar el Assad , au Hezbollah et l’Iran

    Eleni Caridopoulou

    18 h 09, le 01 juin 2022

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