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Culture - Scène

Et si les larmes de Racha Baroud n’étaient pas que les siennes ?

La comédienne et metteuse en scène libano-française présente au Masrah al-Madina les 20 et 21 mai « Et si ces larmes n’étaient pas que les miennes ? ». Un spectacle qui explore, à travers l’histoire intime de sa famille, les mécanismes de l’héritage inconscient. Rencontre.

Et si les larmes de Racha Baroud n’étaient pas que les siennes ?

Racha Baroud, une comédienne et metteuse en scène libano-francaise au travail souvent axé autour de la mémoire… Photo DR

« Fin 2017, j’étais assise face à la mer qui borde notre maison familiale au Liban-Sud. Je traversais une période difficile. Je tentais de monter un projet que j’envisageais comme une sorte de retour aux sources. Mais ça ne marchait pas. J’étais au creux de la vague quand j’ai soudainement pris conscience que mon retour aux sources se faisait justement dans ce lieu même. Cette maison de famille, que mon grand-père avait construite à son retour d’Afrique où, enfant, j’avais systématiquement passé tous mes étés », raconte Racha Baroud, longues boucles brunes d’orientale mais à l’accent et au débit rapide d’une Parisienne.

Ce domaine familial que le grand-père avait baptisé « Jal el-Bahr » consacrait sa fortune acquise durant son exil africain auquel l’avait poussé la grande famine des années 1920 au Liban, poursuit en substance la petite-fille, dont le parcours s’inscrit dans la même veine migratoire – assez emblématique d’une société libanaise marquée au fer rouge de l’émigration. Puisque Racha Baroud est née à Paris, où elle a vécu ses 9 premières années, avant de rentrer avec ses parents au Liban, d’où elle est repartie à 19 ans poursuivre ses études universitaires en France. « Pourquoi ne pas créer un spectacle à partir de ce lieu, où se rejoignent l’histoire familiale et la mienne ? » se demande alors cette comédienne et metteuse en scène libano-française, aux constants allers-retours entre deux pays, deux cultures, sans doute aussi deux modes de vie.

Cette culture de la bouche cousue…

C’est donc de là qu’est partie l’idée de Et si ces larmes n’étaient pas que les miennes ?. Une œuvre, entre souvenirs et réminiscences, dans laquelle Racha Baroud a carrément mis ses tripes. Car si elle commence par y raconter l’histoire de la maison elle-même, construite au cours de l’âge d’or du Liban, détruite par les bombardements de la guerre de juillet 2006 et aujourd’hui partiellement reconstruite, elle y dévoile surtout les secrets, les non-dits et « cette culture de la bouche cousue » que recèlent ses murs.

Un silence que l’artiste trentenaire va briser, dans cet audacieux seul en scène où les mots, les images et le corps en résonance ouvrent la boîte de Pandore sur des douleurs tues, des frustrations et des larmes ravalées inscrites en elle à travers les mécanismes d’un héritage inconscient…

Un spectacle dont la conception a quasiment occupé plus de 4 ans de la vie de Racha Baroud, qui voulait le présenter au départ in situ. « J’ai rapidement dû me rendre à l’évidence de ne pas pouvoir déplacer des foules jusqu’à Jal el-Bahr, situé juste avant Naqoura. En me basant sur mon lien sensible avec ce lieu, j’ai alors envisagé le docufiction. Mais plus j’approfondissais mes recherches, plus je glanais des témoignages des habitants du village qui ont connu les membres de ma famille, moins il me paraissait évident d’exposer leur intimité sous cette forme-là. La performance scénique s’est alors imposée d’elle-même », confie l’auteure-metteuse en scène et performeuse de cette création à forte charge émotionnelle.

Une pièce physique et visuelle alternant une dramaturgie corporelle venue des tréfonds de son être avec un monologue dans lequel Racha Baroud se met à nu et des images vidéo singulières filmées essentiellement de nuit. L’ensemble sous-tendu de sons constants et sourds ainsi que d’un morceau final signés Charbel Haber et Fadi Tabbal illustre l’idée du poids pesant de ces transmissions invisibles infiltrées en chacun d’entre nous…

En convoquant sur scène des figures de sa lignée familiale : ses tantes, sa mère, évidemment son grand-père, la jeune femme va aussi retisser avec certaines d’entre elles des liens longtemps désavoués. À l’instar de celui tendu qu’elle cultivait enfant avec cette grand-mère, une femme dure et austère qui, à travers les témoignages récoltés, va lui apparaître sous un autre visage…

« Elle est l’une des impulsions de ce projet. Elle qui s’est toujours tue, le jour de sa mort, j’ai éprouvé le besoin de pénétrer son silence », confie-t-elle. Et d’ajouter : « En fait, ce spectacle est le fruit de plusieurs moments de mon vécu. D’ailleurs, même son titre en est un lui-aussi. Une nuit où j’étais seule à Jal el-Bahr, la solitude des femmes de ma famille m’a traversé l’esprit. Chacune avec sa propre histoire, sa propre solitude. Les larmes se sont mises à couler sur mon visage. J’ai alors pensé : et si ces larmes ne sont pas que les miennes ? »

Rendez-vous donc les 20 et 21 mai, au Masrah al-Madina*, où Racha Baroud va présenter en français, sous-titré en arabe, cette œuvre de mémoire et d’émotions qui revisite l’histoire intime de sa famille. Et dont la narration avance cependant dans le temps pour aboutir à l’évocation de ce qui se passe dans nos vies actuelles et concerne chacun d’entre nous.

À l’affiche du Masrah al-Madina, une performance physique et visuelle autour de l’héritage inconscient...

Une jeune femme aux désirs polymorphes

Mais qui est donc Racha Baroud ?

À cette question, son psy vous répondra : « Une jeune femme aux désirs très polymorphes. » C’est ce qu’il lui avait dit, rapporte-t-elle, quand après avoir entamé des études d’histoire, puis de graphisme, elle se lance dans une formation de médiation culturelle tout en intégrant en parallèle les cours de L’Atelier du jeu dirigé par Jacques Fontaine. « Le théâtre rassemblant le son, l’image et la dramaturgie corporelle, tous ces différents médiums qui m’ont toujours intéressée, c’est là que je me suis trouvée », dit-elle. Elle poursuit alors une maîtrise en études théâtrales à la Sorbonne nouvelle où elle « rencontre », dit-elle, l’œuvre de Tadeusz Kantor. Littéralement conquise par l’esthétique scénique du grand dramaturge et metteur en scène polonais, elle décide de lui consacrer son mémoire. À cet effet, elle s’envole pour la Pologne s’immerger dans son univers. Elle y passera, en alternance, cinq ans au cours desquels elle approfondira, en parallèle, son jeu théâtral en se concentrant sur le travail physique avec le studio Matejka ainsi que dans le cadre de plusieurs ateliers en Europe, notamment chez Alessio Castellacci, Irena Tomazin et Theodoros Terzopoulos.

De retour à Paris, elle monte son premier spectacle en 2015, Aujourd’hui c’était mon anniversaire, un hommage musical au théâtre de Tadeusz Kantor. Et en parallèle, elle s’aventure sur les voies du jeune cinéma français. En tant qu’actrice (dans Magie noire de Zoé Cauwet notamment), mais aussi en tant que coréalisatrice de docufictions et courts-métrages, dont le dernier, Ali, Hachem et Khaled, qu’elle a cosigné avec le cinéaste franco-libanais Roy Arida, est directement inspiré de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth.

*« Et si ces larmes n’étaient pas que les miennes ? » au Masrah al-Madina, rue Hamra, les 20 et 21 mai à 20h. Billets en vente au guichet du théâtre.

« Fin 2017, j’étais assise face à la mer qui borde notre maison familiale au Liban-Sud. Je traversais une période difficile. Je tentais de monter un projet que j’envisageais comme une sorte de retour aux sources. Mais ça ne marchait pas. J’étais au creux de la vague quand j’ai soudainement pris conscience que mon retour aux sources se faisait justement dans ce lieu même. Cette...

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