
Un portrait de Saad Hariri sur lequel on peut lire « boycott », dans une rue de Beyrouth, à quelques jours des législatives du 15 mai. Mohammad Azakir/Reuters
C’est probablement la première fois depuis des décennies que le vote sunnite, plus particulièrement haririen, s’avère aussi nébuleux à trois jours du scrutin législatif qui se tiendra dimanche. L’appel lancé par le chef du courant du Futur, Saad Hariri, aux membres de sa formation, en janvier dernier, les invitant à ne pas prendre part aux élections à moins de démissionner auparavant, incitant implicitement à l’abstention, a laissé des traces indélébiles auprès de ses partisans. Certains cadres du parti bleu ont décidé de braver ce mot d’ordre en se présentant sur des listes éparses alors que d’autres se sont abstenus, plongeant ainsi l’électorat sunnite dans la confusion la plus totale. Faut-il ou non voter ? Si oui, pour quelles listes alors que les choix sont multiples face à l’effritement des assises haririennes et à l’éparpillement des mouvements de contestation ?
Le vote sunnite sera d’autant plus déterminant cette fois-ci qu’il pose deux enjeux majeurs : tout d’abord, celui d’un vote barrage à l’expansion pronostiquée du Hezbollah et de son camp en cas de large abstention sunnite. Ensuite, l’attitude électorale de cette communauté sera tout aussi décisive en matière du choix du futur Premier ministre, et surtout du taux de légitimité dont il pourra se prévaloir au lendemain des législatives. Un vote sunnite souverainiste timide ne pourra qu’affaiblir le futur chef du gouvernement, comme ce fut le cas avec Hassane Diab en décembre 2019 – considéré proche du camp du 8 Mars et à qui l’on avait largement reproché un manque d’envergure au sein de sa communauté face à la popularité notoire dont jouissait encore Saad Hariri.
Dans ce contexte crucial, et face à l’indécision dans laquelle se trouve une majeure partie de l’électorat sunnite, le mufti de la République, Abdellatif Deriane, s’est récemment engagé dans une contre-offensive pour limiter « les dégâts » et combattre le mot d’ordre donné par Saad Hariri. Alors que le mufti a incité, mardi dernier, l’ensemble des dignitaires sunnites à exhorter dans leur prêche du vendredi précédant le scrutin les électeurs de la communauté à se rendre massivement aux urnes, l’ambassadeur d’Arabie saoudite, Walid Boukhari, a fait campagne sur le terrain pour tenter, à son tour, d’inverser la tendance. Depuis plus de deux semaines, le diplomate sillonne les régions et mène une croisade contre une abstention qui risque, selon le camp hostile au Hezbollah, de livrer le pays définitivement au camp pro-iranien. Des informations de presse non confirmées ont fait état d’une double visite effectuée auprès de Michel Daher et de Myriam Skaff, tous deux candidats à Zahlé, pour les convaincre de retirer de leurs listes respectives les candidats sunnites (Omar Halablab et Mohammad Chafic Hammoud) au profit de Bilal Hecheïmé, candidat sur la liste soutenue par les Forces libanaises, principal allié de Riyad.
Saad persiste et signe
Dans les fiefs haririens, comme le quartier beyrouthin de Tarik Jdidé, des panneaux exprimant la loyauté absolue au parti bleu se veulent comme un défi à tous ceux qui voudraient les convaincre de voter. On peut y lire des slogans à l’adresse de Saad Hariri : « Nous nous abstiendrons, rien que pour tes beaux yeux » ou encore « Nous pouvons certes voter, mais nous ne le ferons pas. » Et comme pour enfoncer le clou, le courant du Futur a publié hier, pour la troisième fois en l’espace de quelques mois, un communiqué rappelant les directives de sa formation et interdisant à tout partisan de faire campagne pour un candidat ou un autre. Ce nouveau geste, vraisemblablement destiné à contrer les efforts de l’ancien chef de gouvernement Fouad Siniora, qui soutient des listes dans plusieurs circonscriptions, ceux du mufti et du diplomate saoudien, a douché les espoirs de beaucoup de candidats proches de la ligne haririenne qui continuaient d’espérer que Saad Hariri puisse donner, en dernière minute, ne serait-ce qu’un léger signe encourageant à la participation. Dans un discours qui se voulait à portée historique, Fouad Siniora a exhorté hier les électeurs sunnites à se mobiliser dimanche pour voter en faveur des listes souverainistes, appelant « tous les Libanais à contribuer au changement et à l’édification d’un État fort ». Ce discours virulent, dans lequel l’ancien chef de gouvernement n’a pas mentionné une seule fois le nom de Saad Hariri, est à n’en point douter une ultime tentative de réduire autant que possible ce qu’il considère être « l’effet de nuisance » causé par l’attitude du chef du courant du Futur.
Éparpillement des voix
À en croire certains observateurs, ce ne serait toutefois pas les campagnes incitatives menées par Walid Boukhari ni celles du mufti ou l’appel de M. Siniora qui pourraient avoir un effet de dissuasion sur les abstentionnistes, même si leur influence n’est pas à écarter. « Si les sunnites vont renoncer à l’abstention, ce serait plutôt grâce aux associations et grandes familles sunnites, beaucoup moins que le mot d’ordre de Abdellatif Deriane qui a peu d’ascendant sur eux ou de Walid Boukhari qui peut convaincre à peine 20 pour cent des électeurs sunnites considérés encore proches de Riyad », commente une personnalité influente de la communauté sous couvert d’anonymat. D’après une analyste tripolitaine, c’est surtout le slogan anti-Hezbollah et la campagne acharnée en ce sens menée sur les réseaux sociaux qui auraient eu au final raison de l’abstention sunnite. « Beaucoup d’électeurs ont été convaincus par l’idée qu’il ne faut absolument pas laisser le champ libre aux candidats sunnites pro-Hezbollah », confie l’analyste.
Si une partie des sunnites ont vraisemblablement changé d’avis et décidé d’exercer leur droit de vote, la question est de savoir pour qui ils vont le faire. Une problématique qui risque de provoquer une dispersion des voix face à la discipline partisane chez le tandem chiite.
À part le Akkar où la liste souverainiste proharirienne présidée par Walid Baarini est unifiée, partout ailleurs, les candidats issus des rangs du Futur sont éparpillés sur des listes bigarrées. Nawaf Kabbara, politologue et enseignant à l’université de Balamand, estime que les voix sunnites souverainistes vont se répartir en trois catégories : un tiers des électeurs, principalement constitués des haririens purs et durs, qui, de toute évidence, vont s’abstenir. Les deux autres tiers qui vont prendre part au scrutin vont répartir leurs voix entre les listes de la contestation et les listes soutenues par Fouad Siniora, Achraf Rifi, Moustapha Allouche ou d’autres personnalités de couleurs similaires qui ont quitté les rangs de la formation bleue. « À ne pas écarter non plus ceux parmi les sunnites qui auraient souhaité voter pour le changement et qui vont s’abstenir parce qu’ils ont été déçus par les listes qui se présentent et par l’effritement de la contestation », note Nawaf Kabbara. Il ne faut pas perdre de vue non plus l’enjeu qui, dans nombre de localités périphériques, reste éminemment familial et clanique. Une dimension qui prime sur la politique politicienne et sera déterminante. C’est le cas, par exemple au Akkar, de Walid Baarini, député haririen sortant et un notable de la région qui table sur les membres de son clan.
Siniora appelle à « voter en nombre pour les listes souverainistes »
L’ancien Premier ministre Fouad Siniora a appelé hier les électeurs à voter en nombre « pour les listes souverainistes » aux législatives de dimanche, alors que le boycott du scrutin par le courant du Futur de Saad Hariri fait craindre une forte abstention auprès des sunnites.
Dans un discours prononcé depuis son bureau à Beyrouth, M. Siniora a déploré que les listes qu’il soutient ainsi que lui-même aient dû « faire face, dans toutes les régions, à des campagnes de diffamation et de mensonges qui avaient pour but de détourner l’attention des dossiers primordiaux ». « La période à venir s’annonce encore plus difficile pour nous tous si des réformes ne sont pas lancées », a-t-il mis en garde, appelant « tous les Libanais à contribuer au changement et à l’édification d’un État fort ». Et l’ancien Premier ministre d’inviter les électeurs à voter en masse « pour des listes souverainistes ». « Votez pour un État fort, dirigé selon les principes de la Constitution et des lois, et non par les silencieux des armes et les explosifs », a-t-il exhorté. « N’oubliez pas les résultats de précédents boycottages des élections », a-t-il ajouté, en référence au scrutin de 1992 qui s’était déroulé sous occupation syrienne à la sortie de la guerre civile et que les partis politiques les plus représentatifs sur la scène chrétienne avaient boycotté avec l’approbation de Bkerké. Il a dans ce cadre salué le rôle du mufti de la République Abdellatif Deriane, qui a « motivé les électeurs à voter en nombre ». Dans la journée, les ambassadeurs d’Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït avaient été reçus par le mufti et avaient exhorté depuis Dar el-Fatwa à une forte participation au scrutin. Fouad Siniora a critiqué avec virulence le « mini-État du Hezbollah » et ses alliés. Par crainte que « Beyrouth ne sombre dans le chaos », il a estimé qu’il était « de (son) devoir, envers le défunt Rafic Hariri », ancien Premier ministre assassiné en 2005, de s’impliquer dans les élections en soutenant certaines listes.
C’est probablement la première fois depuis des décennies que le vote sunnite, plus particulièrement haririen, s’avère aussi nébuleux à trois jours du scrutin législatif qui se tiendra dimanche. L’appel lancé par le chef du courant du Futur, Saad Hariri, aux membres de sa formation, en janvier dernier, les invitant à ne pas prendre part aux élections à moins de démissionner...
commentaires (5)
Nous nous abstiendrons, rien que pour tes beaux yeux Qu’elle projet politique et qu’elle belle perspectiive qui soutiennent cette Abstention Hariri synonyme d’un ventre mou Votez utile FL et ses alliés
william semaan
04 h 13, le 15 mai 2022