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Politique - Témoignages

A Dubaï, en Europe, en Afrique, des Libanais votent pour "le changement"... en y croyant plus ou moins

A Paris, l'attente se fait très longue dans certains bureaux de vote.

A Dubaï, en Europe, en Afrique, des Libanais votent pour

Des électeurs libanais devant le consulat général à Dubaï, le 8 mai 2022 aux Emirats dans le cadre des législatives libanaises. Photo Karim SAHIB / AFP

De Dubaï à Paris en passant par Athènes ou Abidjan, une forte volonté de contribuer au "changement" émane des électeurs libanais que L'Orient-Le Jour a pu joindre dimanche, au deuxième jour des élections législatives organisées pour les plus de 194.000 Libanais résidant dans 48 pays, après le vote de vendredi en Iran et neuf pays arabes.

C'est à Dubaï que la ferveur électorale semblait la plus forte dimanche matin, dès l'ouverture du centre de vote établi au consulat général. Une file de Libanais, sur plus d'un kilomètre, a même été filmée et partagée sur les réseaux sociaux, alors que les températures dépassaient les 35 degrés.

Longues files à Dubaï

Jenny Baroud, employée au Lycée libanais de Dubaï, vit aux Émirats depuis 22 ans. "Je suis venue sur place une première fois à 7h, mais la file était trop longue. J’y suis revenue à 9h30 et j’ai décidé d’attendre coûte que coûte", raconte-t-elle à L'Orient-Le Jour. J’ai attendu une heure et demie environ par 35 degrés. Des volontaires passaient pour nous donner de l’eau", explique cette électrice. "Je suis très fière d’avoir voté pour les candidats qui me convainquent et qui, je l’espère, vont initier un changement au Liban", confie-t-elle encore.

Contrairement à Jenny, Carl Chalhoub, employé depuis sept ans et demi dans une entreprise libanaise, n’a fait la queue que durant un peu plus de trente minutes. "C’était très bien organisé", affirme-t-il. De manière générale, les candidats étaient discrets. "J’ai constaté la présence des candidats Melhem Khalaf et Michel Hélou (...). Il y avait aussi des représentants de partis au pouvoir. Mais pas de slogans, ni de chants patriotiques. Et puis la police locale veillait", explique Carl. Selon lui, la jeunesse libanaise de Dubaï vote majoritairement pour les candidats indépendants. "Mais cette jeunesse est aussi consciente de la nécessité d’user dans certaines circonscriptions du vote utile pour déloger les partis au pouvoir, si les indépendants n’ont aucune chance d’être élus", explique-t-il. Par vote utile, il entend le vote en faveur des Forces libanaises contre le Courant patriotique libre, le Hebzollah et leurs alliés. 

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"Je suis venu aider les équipes à Dubaï. Il y a une énergie incroyable. Aujourd’hui, je crois au changement plus que jamais. Ce qui se passe à Dubaï est un indice de ce qui pourrait se passer le 15 mai. On entend que des encouragements pour l’opposition et pour le changement", explique Pascal Abchi. Lui ne vote pas à Dubaï, mais il est venu aider les mouvements de l’opposition aux partis traditionnels.

"Changer quelque chose"

Béchara Halabi, a voté dans la mairie du 16e arrondissement de Paris. Électeur enregistré dans la circonscription Liban-Sud II, il a accordé sa voix à la liste "Vers le changement", soutenue par les groupes d'opposition proches du mouvement de contestation.  A 46 ans, c'est la première fois qu'il vote lors de législatives.

Des électeurs libanais dans la mairie du 16e arrondissement, le 8 mai 2022. Photo Hanaa Gemayel

"On a essayé de me persuader qu'il ne servait à rien de voter, mais je me dis qu’il est temps d'essayer de changer quelque chose. Nous sommes conscients qu’il n’y aura pas de changement radical, mais c’est un premier pas vers le changement", déclare Béchara à L'Orient-Le Jour. Si les formations de l'opposition remportent des sièges à l'issue du scrutin, ce Libanais attend d'elles qu’elles soient unies à travers une coalition pour qu’elles fassent le poids face au pouvoir en place.

Georges Hachem a 31 ans. Venu aussi à la mairie du 16e, il est originaire du Chouf, et a accordé sa voix à la liste "Unis pour le changement", proche de la contestation, et son vote préférentiel à la candidate écologiste Najat Saliba. "Je suis persuadé que nous devons voter pour la compétence et nous débarrasser de cette classe politique pourrie. Nous, en tant que diaspora, avons le devoir d’essayer de changer la situation au moins pour ceux qui sont restés au Liban", estime le jeune homme.

Georges Hachem. Photo Hanaa Gemayel

Cheryl Matar, électrice à Paris, réclame elle aussi le changement. Son bulletin ira en faveur de la liste "Beyrouth le changement", dans la circonscription Beyrouth II. "Après l'explosion du 4 août 2020, après tout ce que nous avons vécu au Liban, je pense qu’il est aujourd’hui inadmissible de ne pas voter  pour tenter d’opérer un changement. Ne pas voter c’est participer à reconduire la même classe politique qui règne depuis des années", estime-t-elle. "Le changement ne s’opère pas du jour au lendemain, nous en sommes tous conscients", reconnaît toutefois Cheryl.

En soirée, l'attente se faisait longue, notamment dans le centre installé dans la mairie du 15e arrondissement. Stéphanie, une Libanaise de 30 ans, a attendu plus de deux heures pour pouvoir mettre son bulletin dans l’urne. "Cette attente est ridicule", lance la trentenaire. A ses côtés, Hanane, qui vient de voter après trois heures d'attente déclare : "Je suis très émue, c’est la première fois que je vote pour le Liban. J’ai 70 ans. L’attente, ce n’est pas grave".

Cheryl Matar. Photo Hanaa Gemayel

"Je n'y crois pas trop"

Rita, comme tant d'autres Libanais, a quitté le Liban pour s'installer à Athènes il y a un peu moins d'un an, en raison de la crise. Un départ qu'elle ne souhaitait pas, mais qu'elle jugeait nécessaire pour l'avenir de ses enfants, encore scolarisés. C’est dans la capitale grecque qu’elle a voté ce dimanche matin, peu avant 9h. "Il n’y avait pas beaucoup de monde, une dizaine de personnes devant moi. Mais le vote était plutôt bien organisé".  Rita, la quarantaine, a voté parce que, dit-elle, elle espère que "(son) vote va apporter le changement nécessaire pour le Liban". Mais, ajoute-t-elle rapidement : "Je n’y crois pas trop". Elle n’y croit pas trop en raison du "manque d'unité au sein des nouvelles ‘têtes’", comprendre l'opposition aux partis traditionnels. "Et beaucoup de gens que je connais vont voter soi-disant utile, c’est-à-dire pour les Forces libanaises afin de contrer le CPL de Gebran Bassil ou le Hezbollah".

Né à Abidjan, David Nassar, 29 ans, a essayé de s'établir au Liban, il y a quelques années. Mais il en a été "chassé par la crise". Dimanche, le jeune homme qui travaille dans le commerce, est allé voter avec un ami ingénieur de 35 ans, récemment établi à Abidjan après avoir en vain essayé de lancer son entreprise au Liban. Les deux votent pour la circonscription du Mont-Liban IV, au Chouf, et ne cachent pas leur sympathie pour l’opposition et la "thaoura". Pour David, qui constate des pressions sur les électeurs de la part de partisans de partis traditionnels, notamment le mouvement Amal, voter "est un droit mais aussi un devoir citoyen". Il espère que ces élections vont "initier un changement au sein de la vie politique au Liban, qui doit obéir à des règles plus rationnelles, avec un retour aux institutions de l’Etat plutôt qu’un partage du gâteau entre les partis politiques".

Murr et Marada

Au Cameroun, toutefois, des Libanais comptent toujours voter pour les figures traditionnelles. C'est le cas de Abdo Salim Hajal, originaire de Jal el-Dib dans le Metn. Ce forestier affirme voter pour Michel el-Murr, petit-fils de l'une des figures libanaises qui incarnait le clientélisme politique. "Nos relations avec la famille Murr datent de plusieurs décennies et ils nous ont toujours soutenus. Le changement ? C’est bien, mais il faut savoir que ce n’est pas 'kellon yaani kellon' (tous, ça veut dire tous, slogan de la thaoura, NDLR). Il faut que les coupables payent mais que les gens bien soient reconnus comme tels", estime Abdo.

Dans un bureau de vote au Consulat honoraire au Cameroun, le 8 mai 2022. Photo D.R.

Elie Khawaja, originaire de Zghorta, travaille dans l’industrie au Cameroun. "Je vote pour Tony Frangié, pour exprimer ma solidarité avec lui et sa famille. Nous avons toujours voté pour eux, ils ont toujours bien servi leur village et leur communauté", estime ce Libanais partisan du mouvement Marada des Frangié.

Aux Etats-Unis

"J'ai voté pour les candidats proches du président de la République car je soutiens son programme, notamment l'audit juricomptable, la lutte contre la corruption et l'exploration offshore à la recherche de gaz et de pétrole", explique Mona Haddad, 69 ans, qui habite aux Etats-Unis depuis 15 ans et interrogée à Washington D.C.

Un convoi aouniste à Washington D.C., le 8 mai 2022. Photo Nour Braidy

Tony, 56 ans, dont 20 en Amérique, vote pour le camp chrétien adverse, les Forces libanaises. "Je vote FL car leurs revendications rejoignent celles des formations qui réclament la souveraineté", explique-t-il.

Une autre électrice, qui a souhaité rester anonyme, a conduit pendant 6h pour pouvoir voter. Son bulletin ira pour les candidats du Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt. Cette Libanaise qui vit aux Etats-Unis depuis 2005, veut "restituer la vraie démocratie et la souveraineté". "Nous voulons pouvoir dire Non lorsque quelque chose ne va pas, et pouvoir changer lorsqu'il le faut", conclut-elle.

Montréal

"Quand j’ai quitté le Liban en 2020, je n’y croyais plus, j’étais aigrie. J’en voulais à mort à cette classe politique qui nous a chassés, qui a tué nos proches, qui nous a volé notre avenir et celui de nos enfants. Ces derniers mois, j’ai suivi de près la campagne électorale et ça m’a redonné espoir", explique Layla Nahas, qui vote depuis Montréal. "Aujourd'hui, je vote pour soutenir le peuple libanais qui souffre, je vote pour le changement. Je vote tout simplement parce que c’est mon devoir. Je vote pour que mon fils n’oublie pas d’où il vient et pour qu’il puisse revenir au Liban un jour", martèle-t-elle.

De Dubaï à Paris en passant par Athènes ou Abidjan, une forte volonté de contribuer au "changement" émane des électeurs libanais que L'Orient-Le Jour a pu joindre dimanche, au deuxième jour des élections législatives organisées pour les plus de 194.000 Libanais résidant dans 48 pays, après le vote de vendredi en Iran et neuf pays arabes.C'est à Dubaï que la ferveur électorale...

commentaires (4)

Il est vrai qu'on est allé voter sans trop d'illusion. la corruption, la fraude et l'argent coulant à flots à la pêche aux voix, nous ont enlevé toutes croyances en ce pays et en sa classe dirigeante sclérosée et archaïque. J'espère que ces dernières années difficiles ont servi de leçon au libanais, les poussant massivement à botter le cul à ces politiques professionnalisés dans le clientélisme et l'échange des affaires fructueuses et crapuleuses.

Citoyen

10 h 26, le 09 mai 2022

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Commentaires (4)

  • Il est vrai qu'on est allé voter sans trop d'illusion. la corruption, la fraude et l'argent coulant à flots à la pêche aux voix, nous ont enlevé toutes croyances en ce pays et en sa classe dirigeante sclérosée et archaïque. J'espère que ces dernières années difficiles ont servi de leçon au libanais, les poussant massivement à botter le cul à ces politiques professionnalisés dans le clientélisme et l'échange des affaires fructueuses et crapuleuses.

    Citoyen

    10 h 26, le 09 mai 2022

  • Aujourd’hui, à 50 ans, et pour la première fois de ma vie, j’ai voté à Dubaï. Malgré la chaleur cuisante et les longues files d’attente, les libanais, mus par l’espoir d’un changement malgré tout, étaient nombreux au rendez-vous. Le changement ne peut se faire d’un jour à l’autre. Un corps si gravement malade a besoin de temps pour se rétablir. L’essentiel c’est de ne pas se lasser de chercher les bons remèdes et les bons médecins. Cette quête, espérons la faire (plus nombreux) côte à côte.

    Lara Nader

    01 h 17, le 09 mai 2022

  • ""Par vote utile, il entend le vote en faveur des Forces libanaises contre le Courant patriotique libre, le Hebzollah et leurs alliés"" Grace a Dieu, on comprend mieux le sens donne a voter utile. Excellente option.

    Gaby SIOUFI

    16 h 40, le 08 mai 2022

  • C'est la première fois de ma vie qye je vote. Je vaus faire opus de 150kms pour aller voter tellement j'ai la rage de voir cette classe politique rouillée, corrompue et arrogante perdurer. J'ai la rage aussi de voir mes compatriotes me conseiller de voter pour tel ou tel candidat, et après recherche je me rends compte qu'il fait parti des partis traditionnels, je me dis alors qu'ils n'ont toujours rien compris, pour eux et pour leurs enfants. Je vais avoir ma conscience tranquille en allant voter pour des candidats indépendants, tout en étant malheureusement convaincu, que la souris de la conscience affronte la montagne des aveuglés er des argentés. J'espère voir ce pays émerger avec une nouvelle génération de volontaires, de colpetents, et de courageux.

    Citoyen

    16 h 22, le 08 mai 2022

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