Dans son article du 23 mars 2022 dans L’Orient-Le Jour, Zeina Antonios cite le ministre des Travaux Publics qui affirme que « la démolition des silos du port a été décidée en Conseil des ministres suite aux recommandations émises par une commission formée par lui-même, les ministres de la Justice, de la Défense et de l’Économie et par des représentants du CDR ». Il affirme d’autre part que « les experts assurent que ces structures sont en train de s’incliner et qu’elles risquent de s’effondrer, l’inclinaison étant égale à 2 mm/jour ».
Plus loin, et selon « une source » qui suit le dossier, « les silos sont bien en train de pencher, mais cette inclinaison est limitée » et, d’après le directeur de l’Office des céréales « depuis la survenue des explosions, les silos se sont inclinés d’un peu plus de 7 centimètres, ce qui n’est pas peu ». Il craint que « les réservoirs à grains s’effondrent car les fondements ont été touchés lors des explosions ».
J’ai pu avoir une copie du rapport de l’expert, M. Emmanuel Durand, sur lequel s’appuient toutes les affirmations qui ont précédé. Ce rapport distingue deux zones dans ces silos, la zone sud qui ne présente aucun mouvement et la zone nord qui accuse des inclinaisons qui pourraient conduire à une rupture. Donc déjà la moitié des silos est saine.
Par ailleurs les résultats donnés par M. Durand peuvent tromper. En effet, il présente trois schémas :
– Dans le premier, il indique que cette inclinaison notée dans la troisième mesure au laser le 27 mars 202? (sans préciser l’année) a été de 250 mm à 300 mm au sommet du silo 84 nord, attribuant cette inclinaison au tassement de la base après rupture des pieux de fondations, précisément de ceux qui sont les plus proches de l’explosion.
– Dans un autre, il indique que ces silos nord ont accusé une inclinaison (« tilt ») dont la valeur moyenne est égale à 0,85 mm/jour depuis le 4 août. Il ne fait pas le produit, mais à ce rythme, depuis 640 jours, cette inclinaison serait-elle de 544 mm ?
– Enfin, dans un troisième, il indique que les inclinomètres ont montré un déplacement de 10 cm au sommet des silos.
Le second schéma peut être alarmant mais apparemment il n’est pas précis car les silos, au moins celui qui présente cette inclinaison, seraient tombés ; par contre les deux autres montrent une inclinaison de 2 ‰, à 5 ‰ valeurs admissibles jusqu’à 5 ‰.
Le ministre des Travaux Publics, M. Hamiyé, n’ayant retenu que le déplacement de 2 mm/jour, il semble qu’il n’a pas lu tout le rapport car l’expert précise que « la valeur mesurée la plus grande est de 2 mm/jour mais qu’il y a des jours où le déplacement a été de 0,2 mm/jour », la valeur 0,85 mm/jour étant sans doute une moyenne.
Le rapport suppose que les pieux sur lesquels s’appuient les silos nord ont été cassés par l’explosion. Cela est possible et certains silos auraient tassé et accusé une inclinaison. Mais pourquoi donc le tassement se poursuivrait-il, surtout que le sol traversé par les pieux est « un sable avec des blocs » et non de l’argile qui se consoliderait et continuerait de tasser si les fondations des silos s’y appuient directement ? Question sans réponse précise.
Par ailleurs M. Durand affirme que la reconstruction éventuelle de certains silos nécessiterait la réalisation de nouvelles fondations profondes, opération difficile car il « existe sous les silos une forêt de 3 600 pieux de section 0,3 m x 0,3 m, c’est-à-dire selon lui un pieu par mètre carré ».
Il n’a pas sans doute su que, en cours de battage, le sable s’est densifié à tel point que les pieux ne pénétraient plus sur toute leur longueur et il restait dans l’air 3 à 5 m selon l’emplacement; ce qui a conduit le Conseil exécutif des grands projets du Liban (CEGP) à demander une consultation à M. Florentin.
D’autre part, un simple calcul rapide montre que les 48 silos, de diamètre 9 m environ chacun, transmettent au niveau du sol 400 kPa soit, pour une surface de 3 000 m2, une charge de 1 200 MN alors que les pieux présentent une réaction voisine de 3 600 x 450 kN = 1 620 MN, soit 35 % de plus.
Cela pour dire qu’on n’a pas besoin de beaucoup de pieux complémentaires dans le cas où certains seraient cassés mais qu’une injection de coulis de ciment dans la zone qui a bougé pourrait suffire. Cette opération est beaucoup moins compliquée et faisable.
Et je me demande pourquoi on ne s’est pas assuré de la nature du sol et de son état après l’explosion en réalisant quelques CPT statiques de part et d’autre des silos.
En conclusion, le ministère s’appuie sur un rapport certes intéressant mais non exhaustif et je conclus en persistant que l’effondrement n’est ni imminent ni à venir et que la réparation est possible dans le traitement du sol.
Les autorités libanaises ne peuvent s’appuyer sur ce seul rapport pour démolir les silos.
Ingénieur civil ENPC
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