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Nos Lecteurs ont la Parole

Le non-respect de la Constitution au Liban : portées et issues

« La sympathie naît facilement entre nations éloignées ne se connaissant pas. Dès qu’elles se trouvent en contact, leurs divergences de sentiments, d’idées et de croyances éclatent et toute sympathie s’évanouit. » (Gustave Le Bon).

La crise perpétuelle du système de gouvernance et celle des armes du Hezbollah poussent de nombreuses références politiques et religieuses locales, voire internationales, à réclamer le respect de la Constitution libanaise comme étant l’issue la plus logique, légitime et sûre pour mettre le pays sur le chemin de la rectitude et de la stabilité. Cette revendication s’appuie sur un texte constitutionnel qui définit les fonctions des institutions étatiques et stipule le monopole étatique de la force militaire. Elle permet aussi de préserver les intérêts du Liban sur la base de son identité propre et de son appartenance au monde arabe. De même, cette revendication confirme la neutralité du pays, qui est une garantie indéfectible de la souveraineté et du bien commun, et qui se trouve au cœur du pacte national de 1943, non écrit, mais devenu en pratique une annexe indissociable de la Constitution.

La gravité du contexte actuel ne devrait pourtant pas empêcher de poser un regard dépassant l’événementiel afin de comprendre les raisons profondes qui conduisent constamment au fait que la Constitution n’est plus respectée et que la souveraineté nationale est compromise.

Théoriquement, le principe constitutionnel et ses lois reflètent les valeurs partagées d’un peuple, représentent sa philosophie et son sens de la vie, donnent une orientation à ses efforts, à ses aspirations, et tissent ses liens sociaux.

Un problème surgit d’emblée lorsqu’on considère le rôle normatif de la Constitution dans le cadre libanais. En effet, le pacte national rend la dimension intégrale de la Constitution incohérente et par conséquent dysfonctionnelle. Il en découle que la souveraineté nationale, expression concrète d’une nation qui veut conserver ses intérêts, devient, elle aussi, problématique.

Émile Boustani, l’ami des deux hommes de l’indépendance Béchara el-Khoury et Riad el-Solh, cite dans son livre Le pacte national et le Liban du futur (1958) trois points qui révèlent la dimension du pacte dans la Constitution. D’abord, la répartition des sièges au Parlement sur les différentes confessions tout en accordant une majorité relative aux maronites. Ensuite, l’adoption du même principe de répartition pour les fonctions publiques. Enfin, l’application de la Constitution de 1926 qui attribue le pouvoir au président de la République. À ces mesures, s’ajoute la reconnaissance de la neutralité du Liban tout en affirmant son visage arabe.

Ces points répondent à un double objectif. D’une part, rassurer les chrétiens en octroyant beaucoup de privilèges à la communauté maronite qui représentait la majorité chrétienne démographique et historique depuis l’émirat maanide. D’autre part, garantir l’indépendance de l’entité libanaise tout en sauvegardant le visage arabe. C’est ainsi que le pays a pris la forme d’un rassemblement de communautés religieuses ou de confessions différentes ayant certes pour valeur nationale le « vivre-ensemble », mais dans un système de gouvernement qui manquait de parité. En effet, de nombreux facteurs externes négatifs, qui ne manquent pas dans une région en ébullition et ne favorisent pas l’unité nationale, sont venus fragiliser cette aspiration à « vivre ensemble » qui relève plus d’un souhait commun que du domaine législatif. L’arrière-fond historique et religieux des différentes confessions entretient en elles un climat permanent de suspicion et de méfiance.

Étant des communautés « suprafonctionnelles », les activités des confessions couvrent presque tous les champs de la vie en société, depuis le statut personnel, les secteurs éducatifs, sanitaires et sociaux jusqu’au partage du pouvoir. Le « groupe confessionnel » est ainsi une entité quasi autonome qui, pour se conserver et se consolider, n’a d’autre recours que le partage du pouvoir d’État.

Alors, la Constitution et la souveraineté nationale du Liban peuvent-elles être sauvegardées si la valeur de cette Constitution n’est pas reconnue ?

La participation croissante des dirigeants sunnites à la vie politique depuis l’ère de l’indépendance les a amenés à réclamer une égalité dans la répartition du pouvoir et plus d’ouverture au monde arabe et à son unité. En revanche, les plus éminents dirigeants maronites de l’époque se montraient prudents face à ces exigences et considéraient que les privilèges de la participation des chrétiens au pouvoir étaient une garantie de l’indépendance, de la souveraineté et de la pérennité du Liban. Le jeu des exigences et des garanties devenait ainsi un cercle vicieux. Les seules issues possibles étaient de nouvelles formules ambiguës devant assurer un équilibre chimérique entre la neutralité du Liban et son appartenance au monde arabe. Malgré le changement d’acteurs locaux et régionaux, cette même problématique fondamentale ne cesse de se poser encore aujourd’hui avec, par exemple, le lien du Hezbollah à l’Iran.

À vrai dire, l’aspect confessionnel et pactisant du système actuel de gouvernement ne permet pas la création de valeurs cohérentes s’accordant avec la dimension régulatrice et administrative de la Constitution. Au contraire, il mène le gouvernement du pays dans un état chaotique et parfois irrationnel, tout comme il fragmente et fragilise le rôle de la Constitution et la souveraineté nationale. Abstraction faite du confessionnalisme mentionné dans quelques paragraphes de la Constitution cependant, celle-ci exprime-t-elle des valeurs existantes dans la société libanaise ou s’agit-il de valeurs considérées comme importées de la Constitution française, telles que la démocratie, l’égalité, les libertés et les droits de l’homme ? Il n’y a pas lieu de s’étendre ici sur l’impact des idées de la modernité sur la société libanaise qui a commencé bien avant la chute de l’Empire ottoman. Il suffit de souligner le fait que ces valeurs revêtent une dimension internationale et s’enracinent de plus en plus dans la culture locale surtout dans les milieux de la jeunesse. Ainsi, y a-t-il une possibilité d’un changement progressif et salutaire ? La jeunesse libanaise illuminée est la seule capable de rendre le Liban un État libre et souverain.

Père Salah ABOUJAOUDÉ, s.j.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« La sympathie naît facilement entre nations éloignées ne se connaissant pas. Dès qu’elles se trouvent en contact, leurs divergences de sentiments, d’idées et de croyances éclatent et toute sympathie s’évanouit. » (Gustave Le Bon).La crise perpétuelle du système de gouvernance et celle des armes du Hezbollah poussent de nombreuses références politiques et...

commentaires (1)

tres belle analyse que je resumerais par : l'absence de justice veritable donnant aux divers services de controle la seule vraie arme qu'auraient crainte KELLON, depuis baabda jusqu'au dernier directeur general & ses sbires a lui sans oublier familles * & amis. a commencer par la loi annulant le secret bancaire & l'immunite accordee aux Kellon de tous genres.

Gaby SIOUFI

15 h 38, le 06 avril 2022

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Commentaires (1)

  • tres belle analyse que je resumerais par : l'absence de justice veritable donnant aux divers services de controle la seule vraie arme qu'auraient crainte KELLON, depuis baabda jusqu'au dernier directeur general & ses sbires a lui sans oublier familles * & amis. a commencer par la loi annulant le secret bancaire & l'immunite accordee aux Kellon de tous genres.

    Gaby SIOUFI

    15 h 38, le 06 avril 2022

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