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Nos Lecteurs ont la Parole

Les élections législatives : la dernière cartouche à tirer

« Ça ne sert à rien de voter, les mêmes personnes seront élues. »

J’ai dû écouter cette phrase au moins une centaine de fois au cours de ces derniers mois. Un leitmotiv qui prouve qu’aux yeux de certains, tout est joué d’avance. Les mêmes acteurs joueront sur la même scène la même comédie infernale. Mêmes répliques, mêmes mensonges, mêmes mascarades. Sauf que les spectateurs (ou du moins, la plupart d’entre eux), ont retenu la chanson (ou plutôt la leçon), et connaissent par cœur le dénouement de la pièce.

Les élections législatives représentent normalement l’occasion d’infléchir le cours de l’histoire, de renouveler les députés, d’élire ceux qui légifèrent en notre faveur, de désigner ceux qui pourront défendre au mieux l’intérêt de la patrie. Elles relèvent d’un enjeu politique majeur dans la mesure où elles pourraient complètement rebattre les cartes et redéfinir le jeu politique.

Un diplomate qui suit l’actualité du Liban devrait penser que les législatives de 2022 feraient l’objet d’un engagement exalté des citoyens déterminés à faire frémir la classe politique corrompue. Il pourrait croire que les Libanais attendaient la date des législatives comme l’occasion ultime d’éliminer les rois de l’inaction qui n’ont pas manqué de pérenniser leur empire. Pourtant, à la surprise (ou pas) de tous, le taux d’abstention possible est déconcertant. Une majorité silencieuse, fatale pour les forces de l’opposition qui tentent d’émerger malgré une très forte adversité.

J’anticipe vos critiques : « le Liban n’est qu’un pantin manipulé par d’autres puissances », « même si on vote, l’État trouvera un moyen de saboter le scrutin », « de toute façon, le pays ne changera jamais », « mon vote ne fera aucune différence », « je n’ai confiance en personne ».

Et j’y réponds par la simple question : que proposez-vous comme alternative ? Croiser les bras sous prétexte que voter ne changera rien ? Attendre l’intervention des Nations unies, ou peut-être endosser des costumes de mendiants pour recevoir des aides des pays étrangers ?

À mes yeux, toutes ces excuses ont une part de vérité, mais s’ancrent dans un discours contraire à l’intérêt de la nation. Elles signent l’effritement d’une démocratie déjà en lambeaux, et le début d’une autre décennie noire pour le Liban.

J’admets que les fraudes sont courantes lors des élections, que des États comme l’Iran ont la mainmise sur notre pays et que le peuple peine à avoir foi en les « forces de l’opposition » après avoir été trahi par les personnes qui clamaient les mêmes slogans. Mais ceci vaut-il d’inhumer le pouvoir concret d’un vote ? De sacrifier le potentiel renouveau du pays sur l’autel d’une ridicule abstention ? Mais pourquoi aller cracher sur leurs tombes alors que vous pouvez les éliminer de leur vivant par votre voix ?

À ceux qui veulent voter pour les mêmes personnes, pour être honnête, je ne sais plus quoi vous dire. J’ignore si je dois égrener les crimes perpétrés par vos leaders confessionnels, ou mettre des mots sur l’indicible humiliation des Libanais. Au cas où vous ne l’auriez pas constaté, les malheurs du monde s’abattent sur le peuple, mais épargnent comme par magie tous les « zaïms ». Il en faudrait peu pour vous rendre compte du complot monté de toutes pièces contre les citoyens. Vous les avez nimbés de gloire alors qu’ils se fichent carrément de votre intérêt. Une bande d’abrutis, serait-on tenté d’écrire, une trahison de la patrie qui n’ose dire son nom. Je me contenterai de considérer que vous êtes aveugles, et d’espérer que les effets du lavage de cerveau s’atténueront d’ici à la mi-mai.

Je voudrais quand même consacrer quelques phrases aux partisans du Hezbollah, parti armé et dominateur, qui entend bien maintenir l’hégémonie iranienne au Liban. Leur slogan « nous restons pour protéger et construire », a tout d’une controverse. En as de la démolition ils se sont affirmés, sapant les institutions étatiques, et dynamitant l’identité libanaise. La protection n’étant pas leur fort, ils ont créé des ennemis imaginaires pour justifier leur présence, pour ensuite tuer tout opposant. À vous partisans, voter pour eux serait adorer vos assassins.

À ceux qui, comme moi, croient que ces législatives pourraient être le tournant historique qui briserait cette spirale infernale, faites de ce combat la matrice de votre citoyenneté. À vous, révolutionnaires, souvenez-vous de l’héritage de Chevtchenko : « Luttez, vous vaincrez ».

À ceux qui se demandent : voter, oui, mais pour qui ? La réponse est simple, elle ne l’a jamais autant. Votez pour ceux qui sont à l’antipode de vos gouverneurs. Ceux qui ne vous feront subir ni oppression, ni discrimination, ni privation indues. Des députés qui représentent notre Liban, pas la république décrépie, dérisoire et minable qu’ils ont façonné de leurs mains.

À ceux qui ne sont toujours pas convaincus, la confiance se gagne, certes. Le droit de critiquer aussi. Serait-il sensé de vous révolter contre la classe politique alors que vous n’avez même pas tenté d’y changer quelque chose ?

À vous, à moi, une promesse : j’affûterai ma plume, de la tribune où je me tiens, contre les traîtres du pays.

Je suis tout à fait consciente que les élections ne pourront pas immédiatement donner un nouveau visage au Liban. Mesurable en années-lumière est l’écart entre l’abîme actuel et l’état civilisé que nous envisageons. Le pays dont nous rêvons est le fruit de décennies de travail et d’un changement de mentalité opéré sur des générations. Mais si l’on veut rebâtir notre nation de nos propres mains, il faudrait mettre la première pierre à l’édifice. Et pas n’importe laquelle : la pierre angulaire. Nous ne pouvons rien construire sans la volonté de discréditer une classe politique accaparant le pouvoir, et sans le vote qui demeure la seule voie légitime pour le faire.


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« Ça ne sert à rien de voter, les mêmes personnes seront élues. »J’ai dû écouter cette phrase au moins une centaine de fois au cours de ces derniers mois. Un leitmotiv qui prouve qu’aux yeux de certains, tout est joué d’avance. Les mêmes acteurs joueront sur la même scène la même comédie infernale. Mêmes répliques, mêmes mensonges, mêmes mascarades....

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