À la faillite du Liban ; au jeu immonde des politiciens à l’approche des élections ; à la catastrophe socio-économique dans laquelle le peuple est plongé; à la fuite des cerveaux ; au vol de notre argent par des banquiers véreux ; à la flambée des prix ; à l’absence d’électricité ; au manque de tout et aux variations d’un dollar qui se joue de nous, est venue se greffer l’humiliation. Chaque jour, dans ce pays, le peuple libanais est humilié. Traité comme de la merde par ses concitoyens, au nom du sacro-saint fric. Comme s’il ne suffisait pas qu’on soit mis à genoux et pris en otages, il fallait aussi qu’on subisse un avilissement dégueulasse et injuste contre lequel il est quasiment impossible de se révolter. Si la classe dirigeante est corrompue jusqu’à la moelle, de nombreux Libanais le sont encore plus. Ils profitent d’une situation déjà inhumaine pour écraser de leur botte ce qu’il nous reste de dignité.
Commençons d’abord par cette sale espèce que sont les propriétaires des générateurs. Dans un grand nombre de secteurs beyrouthins, ils ont refusé de placer des compteurs pour pouvoir extorquer un tarif fixe mensuel. Que l’on consomme ou pas la totalité de cet abonnement miteux de 10 ampères, nous paierons 10 ampères. Ces 10 ampères dont les prix varient en fonction des régions. 1 million de livres les 5 ampères ici, 2 millions de livres là-bas. « Madame, ghélé l’mazout, le prix du mazout a augmenté. » Ça, on le sait, la crise est mondiale. Et même si on paie le prix fort du rationnement, le te’nin est devenu encore plus drastique. On attend que le moteur revienne pour pouvoir s’affairer à nos besognes. On reste dans le noir, la torche du téléphone à la main. Un téléphone qu’on a pu charger à la sauvette entre deux coupures. On attend que l’électricité de la dawlé (si on peut appeler ça un État) arrive pour mettre en marche la machine à laver, passer deux coups de fer à repasser, recharger une batterie qui nous donnera de quoi allumer deux ampoules une fois la nuit tombée, ou tout simplement faire marcher la petite deffeyyé dans la salle de séjour pour que la famille se réchauffe. Nous vivons au rythme de ce courant parkinsonien, en sachant qu’avec la guerre russo-ukrainienne, nos conditions de vie vont se détériorer encore plus.
Passons maintenant aux mini- zaïms des stations d’essence qui, pour les mêmes raisons que ceux des générateurs, attendent que les prix des carburants augmentent pour remplir les réservoirs de ceux qui peuvent encore faire des trajets en voiture. Les files d’attente ont recommencé à faire surface et des petits aantars qui protègent leurs pompes à essence se font un malin plaisir de vous envoyer paître quand votre tour est arrivé. Si la chance était de votre côté, vous avez pu remplir un galon dont le prix est devenu exorbitant et si la chance était véritablement avec vous ce jour-là, vous avez eu le droit à un mabrouk de la part du ministre de l’Énergie.
Passons aux petites mafias des changeurs. Déjà qu’ils jouent avec nos nerfs en se sucrant sur notre dos depuis deux ans, ils ont décidé que les « vieux » dollars ne valaient plus autant que les nouveaux. 10 % en moins sur un billet de 100, donné pourtant par une banque. Parlons-en de ces banques qui un coup, vous empêchent de déposer des livres libanaises pour ne pas profiter du taux de Sayrafa, un coup, vous empêchent de retirer vos dernières misérables livres libanaises. « La’ monsieur, vous n’avez pas le droit de mettre de l’argent dans votre compte. » « La’ madame, vous ne pouvez pas retirer plus de 3 millions par mois. » Trois millions dont vous avez urgemment besoin parce que la facture de votre examen de sang n’est plus couverte par l’assurance à laquelle vous cotisez depuis des années. « Sorry monsieur, l’assurance ma wéfai’t. Elle n’a pas donné son accord.» Vous avez beau expliqué que votre petite fille souffre de carences, que nenni. De toutes les manières, les médicaments que vous devez lui acheter ne sont plus mad’oumin et ceux qui restent disponibles ont été scrupuleusement stockés par les fournisseurs, en vue… d’une augmentation des prix. La liste est longue. Aussi longue que le vide des étals des supermarchés qui n’acceptent plus les paiements par carte.
Hayda zell. Un mot fort en arabe. Parce que si l’humiliation est instantanée, le zell lui, est continu. Une persistance dont on n’est pas près de voir la fin.
Chroniqueuse, Médéa Azouri anime avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth.
Épisode du 6 mars: Bachar Halabi
commentaires (10)
Combien d’humiliations il faudra encore pour que le peuple Libanais se mette à mordre au lieu d’aboyer. S’il y a un exemple à suivre c’est celui de L’Ukraine dont tout les citoyens hommes, femmes, civils, militaires, sportifs artistes se mobilisent et portent les armes, et ils sont en train de mettre en déroute la seconde armée du monde. Les ukrainiens ont eu comme nous leur révolution en 2005 mais eux l’ont défendu bec et ongle sans compromis. De quoi le Libanais a-t-il encore peur, que risque t’il de perdre ??
Liban Libre
21 h 02, le 17 mars 2022