En suspens depuis deux ans, le projet controversé du barrage de Bisri (une plaine entre Jezzine et le Chouf) a été remis sur le tapis lors du Conseil des ministres de vendredi dernier, faisant ainsi craindre une reprise de la construction, malgré l’opposition de la société civile et de nombre de parties politiques. Alors que ce dossier semblait avoir été relégué aux oubliettes, il a été remis à l’ordre du jour par les ministres des Travaux publics Ali Hamiyé et de l’Énergie Walid Fayad. Ces derniers ont profité d’une discussion sur le devenir des contrats signés avec l’entrepreneur avant l’arrêt des travaux pour se dire favorables à la reprise de la construction. Sauf que le financement, assuré grâce à un prêt de la Banque mondiale, a été annulé par cette instance en septembre 2020 après le tollé provoqué par cette affaire, aux niveaux écologique et politique.
Conçu pour alimenter Beyrouth en eau, le projet de Bisri fait partie de la série de barrages promue par l’ancien ministre de l’Énergie et chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil. La société civile, les municipalités de la région, le Parti socialiste progressiste (PSP) et les Forces libanaises s’opposent à ce projet pour différentes raisons. Selon eux, celui-ci menace la biodiversité et le riche patrimoine de cette vallée et peut constituer un danger car il se situe sur une faille sismique majeure. De plus, la nature du terrain, riche en eau souterraine, ne serait pas propice au stockage d’eau. Les militants écologistes avaient organisé plusieurs manifestations en 2020 pour appeler à l’arrêt des travaux et avaient fini par obtenir gain de cause. Fervent opposant à ce barrage, le chef druze Walid Joumblatt n’a pas tardé à réagir aux tentatives de ressusciter ce projet. « Il semble que Bisri soit à nouveau sur les devants de la scène et que le projet de Selaata (localité du Liban-Nord où Gebran Bassil souhaite construire une centrale électrique, NDLR) n’est pas près d’être abandonné », a-t-il écrit sur son compte Twitter lundi.
Utilité économique ?
Contacté par L’Orient-Le Jour, le ministre de l’Énergie Walid Fayad défend la reprise des travaux, même s’il affirme ignorer comment le financement sera assuré. « Le directeur régional de la BM pour le Moyen-Orient, Saroj Kumar Jha, m’avait affirmé que ce projet a une utilité économique pour le pays. Mais il m’a expliqué que les subventions ont été interrompues parce que le gouvernement n’avait pas une position unifiée et que certains délais n’ont pas été respectés. Le projet ne s’est donc pas arrêté à cause d’un problème stratégique », indique M. Fayad. « Malheureusement, la Banque mondiale ne veut pas reprendre le financement et nous ne savons pas pour l’instant qui pourrait accepter de nous subventionner. Il faudra voir si des pays étrangers pourraient nous aider. Au final, il s’agit de faciliter l’accès à l’eau et c’est essentiel pour les Libanais » , poursuit le ministre. Walid Fayad est par ailleurs assez critique par rapport à la Banque mondiale. « Pourquoi cette organisation a-t-elle déjà payé plus de 200 millions de dollars, si elle pensait que ce projet n’était pas faisable ? Pourquoi a-t-elle arrêté son financement, alors que le travail était en cours ? » déplore-t-il. Le prêt de la BM, d’un montant de 474 millions de dollars, avait été interrompu après le versement de près de la moitié de la somme promise au Liban. Interrogée par notre journal sur la reprise possible des travaux, la Banque mondiale dément fermement toute volonté de relancer le prêt. « Pour ce qui concerne la BM, la construction de ce barrage est annulée et nous n’avons pas l’intention d’octroyer un nouveau financement à cet effet », assure le bureau de l’institution à Beyrouth.
Transformer la plaine en réserve
La reprise des tractations concernant le barrage de Bisri, qui intervient à moins de deux mois des législatives, en a étonné plus d’un, à commencer par le ministre de l’Environnement, Nasser Yassine, un des premiers concernés par ce dossier. « Le sujet a été abordé alors qu’il ne figurait pas à l’ordre du jour du Conseil des ministres, affirme M. Yassine à L’OLJ. Je pense qu’il s’agit de discours populistes, en partie liés aux élections. On fait des promesses, puis on accuse les autres d’empêcher de mener à bien les projets. » « La discussion devrait désormais porter sur les alternatives, car toutes les données nous invitent à oublier ce barrage », poursuit M. Yassine. Il considère par ailleurs que le problème n’est pas celui d’un manque d’eau, mais d’une gestion défaillante des ressources naturelles du pays. « Le gaspillage d’eau annuel s’élève à 40 % environ. Il faut déjà commencer par maîtriser ces pertes et mettre en place une meilleure gestion du secteur. De plus, nous allons prochainement présenter des alternatives durables à ce barrage », assure le ministre de l’Environnement. Parmi ces propositions, la mise en place de cuves en altitude pour récupérer les eaux de pluie ou encore l’exploitation des nombreuses sources du pays. Le ministre espère également pouvoir transformer la plaine de Bisri en réserve naturelle.
Le militant écologiste Paul Abi Rached, un des défenseurs de Bisri, appelle pour sa part à exploiter pleinement le potentiel agricole de la plaine. « La plaine de Bisri servait à nourrir les villes phéniciennes de Saïda et Tyr, rappelle cet activiste de la première heure. On y plante normalement du blé, des pastèques, des aubergines, des avocats, des haricots et des agrumes. Or, nous avons besoin de développer l’agriculture dans le pays », explique-t-il. « Nous ne manquons pas d’eau au Liban, assure-t-il par ailleurs, rejoignant par là les propos du ministre de l’Environnement. Le gouvernement doit tout simplement étudier une nouvelle stratégie pour sa gestion. » M. Abi Rached, qui est un fervent opposant à la politique des barrages, estime que ces infrastructures « sont un échec » dans la nature libanaise. « Le barrage de Bekaata est vide, ceux de Balaa et Brissa aussi. La construction du barrage de Janné est à l’arrêt car l’entrepreneur a fait faillite. Quant à celui de Msaylha, il est rempli en ce moment, mais il faudra voir s’il pourra retenir l’eau », explique-t-il. « Des centaines de milliers de dollars ont été dépensés pour rien et les plus belles vallées du pays ont été défigurées. Les dégâts écologiques sont énormes. C’est un scandale ! » conclut ce militant.
commentaires (6)
Le barrage de Bisri est un projet excessivement cher qui ne peut remplir la mission pour laquelle il a été imaginé spécialement qu’il doit être alimenté pour la majeure partie avec les eaux polluées et toxiques du Litani et du Barrage du Qaraoun qui malheureusement est devenu une vraie bombe à retardement écologique ! La première démarche à faire devrait être de dépolluer le Litani Sinon ce sera un projet raté comme les autres projets réalisés par les mégalomanes de ce pays et les truands cherchant à se remplir les poches et appauvrir ce pays encore et encore et encore
Bersuder Jean-Louis
10 h 42, le 18 mars 2022