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Lifestyle - Un peu plus

Vivre l’histoire (du Liban)

Vivre l’histoire (du Liban)

Un vieux timbre représentant la citadelle de Byblos, circa 1945. Photo Bigstock

L’histoire était bien plus facile quand elle se limitait à nos cours et à nos manuels scolaires. On étudiait l’Antiquité grecque, le Moyen Âge, les rois de France ou les deux premières Guerres mondiales. On retenait les dates des victoires et des défaites de Napoléon, Austerlitz et Waterloo. On dessinait des hiéroglyphes en écoutant la prof nous parler du règne des pharaons, des pyramides et de l’histoire d’amour entre Cléopâtre et Jules César. On confondait les noms des dieux grecs et romains. Zeus, Athéna, Vénus, Neptune. On maudissait Charlemagne en notre for intérieur parce qu’il avait eu la mauvaise idée d’inventer l’école. On faisait, en vrac, la connaissance de Hitler, Staline, JFK, de Gaulle, Abdel Nasser, Mandela, Mao. On parlait de l’Allemagne de l’Est, de Berlin-Ouest et du courage de ceux et celles qui avaient tenté d’enjamber le mur de la honte. On ne connaissait pas le nom des pays qui formaient l’Union soviétique, parce que c’était tout simplement l’URSS. Tout comme c’était la Yougoslavie ou la Tchécoslovaquie. On connaissait certaines images, certaines vidéos en noir et blanc. On regardait des films qui parlaient de l’époque. On voyait des photos et des dessins terrifiants de corps rongés par la peste ou le choléra. On apprenait l’histoire et la géographie. Parfois de façon ludique, d’autres fois plus sérieusement. Et on nous avait expliqué qu’on disait « Seconde Guerre mondiale », et pas deuxième, parce c’était une manière linguistique de nous rappeler que la guerre de 39-45 n’aurait pas de suite.

Et puis, on a grandi. La guerre, la violence, la mort, la haine, l’injustice, la famine et l’horreur ont commencé à faire partie de notre quotidien. De près ou de loin. De très près quand on est libanais(e). Il y avait notre histoire et celle des autres. On s’y intéressait tout autant parce que ainsi va le monde. Notre guerre s’est terminée. Nous nous sommes dit que cette guerre-là ferait partie du passé. Nous nous sommes trompés. L’histoire nous a rattrapés. De près et de loin. Nos anciens chefs de guerre ont troqué leurs uniformes contre des costumes-cravates et les bombes contre la corruption. Et l’histoire a pris un autre visage. Plus mesquin, plus vicieux, et tout aussi dangereux. Elle nous a parfois donné du répit, souvent pas. Des assassinats, une guerre en 2006, une petite accalmie, l’effondrement de l’économie, la dévaluation de la livre qui ne vaut plus que quelques piastres, une pandémie, la destruction de la moitié de la capitale et la lente agonie du pays. « Nous vivons l’histoire du Liban » et aujourd’hui « des moments historiques » dans le monde. Mais pourquoi donc, et dans un court laps de temps, sommes-nous condamnés à vivre perpétuellement les changements de notre destin? Ces moments historiques qui ne sont ni des accords de paix, ni la condamnation de toute notre classe dirigeante, ni la restauration de notre souveraineté. « Historique : la Suisse sort pour la première fois de sa neutralité en gelant les comptes bancaires de Poutine. » Et les comptes bancaires des crapules libanaises qui ont assoiffé le peuple ? « Historique : la Grèce vote une loi de capital control. » Après près de trois ans d’une crise sans précédent, notre Parlement (fantoche) n’a toujours pas pris de décision et laisse les banques faire leur loi.

Nous sommes éreintés par cette histoire qui a condamné à l’enfer l’ensemble de notre région. Fatigués d’avoir eu à vivre en même temps une pandémie, la perte de notre argent et la plus grande bombe non nucléaire de l’humanité. Las de ne pouvoir relever la tête tant les coups pleuvent. Épuisés par une histoire sanglante. Chez nous, ce ne sont pas les héros qui gagnent, c’est le peuple libanais qui perd. Un peuple qui paye le prix d’une injustice millénaire sur une terre que l’on pensait bénie. Une terre maudite, par les dieux et par les hommes.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis plus d’un an avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth.

Épisode du 20 février : Ralph Baydoun

https://youtu.be/KdSkMxf9ZwM

L’histoire était bien plus facile quand elle se limitait à nos cours et à nos manuels scolaires. On étudiait l’Antiquité grecque, le Moyen Âge, les rois de France ou les deux premières Guerres mondiales. On retenait les dates des victoires et des défaites de Napoléon, Austerlitz et Waterloo. On dessinait des hiéroglyphes en écoutant la prof nous parler du règne des pharaons, des...

commentaires (1)

Cet article met des mots sur ce que je ressens en tant que Libanais en ce moment. Merci à la rédactrice et bravo pour ces talents littéraires !

EL Darwiche Faycal

07 h 22, le 03 mars 2022

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Commentaires (1)

  • Cet article met des mots sur ce que je ressens en tant que Libanais en ce moment. Merci à la rédactrice et bravo pour ces talents littéraires !

    EL Darwiche Faycal

    07 h 22, le 03 mars 2022

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