Les divisions – réelles ou simulées – provoquées par le communiqué des Affaires étrangères condamnant l’attaque russe en Ukraine jeudi, et qui se sont poursuivies durant le week-end, ne peuvent être qualifiées que de burlesques. Un jeu auquel les protagonistes locaux semblent jouer sans trop se soucier de l’image que le Liban continue de projeter à l’étranger. Jeudi soir, le ministre des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib avait stigmatisé, via un communiqué officiel, l’intervention militaire russe en Ukraine, affichant clairement un parti pris pour les puissances occidentales, alors que le Liban se prévaut plutôt de relations cordiales avec Moscou. « Le Liban condamne fermement l’invasion du territoire ukrainien et appelle la Russie à arrêter immédiatement ses opérations militaires », indiquait le communiqué.
Cette prise de position particulièrement avancée a dévoilé une fois de plus les clivages qui minent la classe politique, et dont le ministre des Affaires étrangères a fini par payer le prix.
Comme le veut le protocole, ce communiqué n’a pu être rédigé et publié sans avoir obtenu au moins l’aval du chef de l’État Michel Aoun et du Premier ministre Nagib Mikati. Toutefois, depuis sa publication, le camp aouniste semble s’appliquer à ménager les uns et les autres, quitte à dire la chose et son contraire. Un grand écart difficile à maintenir dans une situation aussi explosive que la crise russo-ukrainienne et où le flou ne peut être toléré. Après le mécontentement affiché par Moscou et les déclarations courroucées du Hezbollah, qui a stigmatisé la position officielle libanaise, le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, soucieux de préserver des alliés incontournables pour sa survie politique, s’est dépêché de s’en laver les mains. M. Bassil s’est ainsi entretenu vendredi au téléphone avec l’ambassadeur de Russie et lui a affirmé que le CPL « n’a rien à voir avec le communiqué du palais Bustros », et que la formation respecte le principe de distanciation vis-à-vis des conflits de la région et dans le monde. Il venait de rejoindre ainsi la position du Hezbollah qui, comble de l’ironie, s’est lui aussi prononcé pour une forme de neutralité.
Du côté de Baabda, et après avoir entretenu le flou pendant quelques jours puis démenti via certaines sources avoir été au courant de la teneur du communiqué, le président de la République s’est employé hier à rectifier le tir. Dans une tentative de se démarquer de la position du ministère des AE, le chef de l’État a appelé à « résoudre les conflits à travers le dialogue ». « La position du Liban est claire quant à la nécessité de résoudre les conflits à travers le dialogue, notamment parce que le pays a connu des conflits, des confrontations et des incidents sécuritaires difficiles qui se sont terminés grâce au dialogue », a souligné Michel Aoun dans un entretien accordé à Assas Media. « Le Liban est en faveur de négociations politiques pour résoudre le conflit entre la Russie et l’Ukraine, suivant les principes fixés par la Charte des Nations unies et les lois internationales qui prônent les moyens pacifiques pour résoudre les conflits entre les pays », a-t-il ajouté.
« Fidèle à son parrain »
Lâché en pleine arène politique, le ministre des Affaires étrangères, pourtant compté dans le camp aouniste, avait cherché dès vendredi à sauver la situation en affirmant qu’il prenait sur lui toutes les responsabilités et qu’il était disposé à encaisser les coups, comprendre en lieu et place du président de la République.
« M. Bou Habib a tout simplement voulu faire plaisir à M. Aoun, son parrain politique, auquel il reste fidèle. À son âge, il ne risque pas grand-chose car il n’a plus d’ambition carriériste. Devenir ministre était le maximum auquel il pouvait aspirer », décrypte un diplomate libanais qui a requis l’anonymat.
Se défendant face au tollé, le chef de la diplomatie avait justifié la position libanaise qui émane « de l’attachement du pays au droit international » et n’est pas dirigée contre la Russie ou tout autre pays ami. Un principe que Baabda a repris hier à son compte.
Pour certains analystes, il est clair qu’entre Baabda et le CPL l’harmonie est de mise en dépit des contradictions apparentes. C’est finalement une répartition des rôles bien orchestrée entre le beau-père et le gendre qui expliquerait les retournements subits de situation. Selon cette thèse, le président aurait cherché à plaire à Washington dans l’espoir d’obtenir en retour des circonstances atténuantes à l’égard de son gendre Gebran Bassil, candidat à la présidentielle par excellence, qui fait l’objet de sanctions américaines. Des accusations que M. Bassil a vite fait de réfuter vendredi soir. Cette thèse se fonde en outre sur des informations selon lesquelles Washington aurait fait pression sur le Premier ministre Nagib Mikati pour que le Liban se prononce contre les agissements russes en Ukraine. « Je doute fort que les États-Unis soient aussi intéressés par la position du Liban qui n’a plus de poids sur l’échiquier international », commente un analyste proche du Parti socialiste progressiste. « La position libanaise ne changera pas le cours de cette guerre », ironise-t-il. S’il considère « probables » des pressions US qui auraient été exercées, le diplomate cité plus haut estime que cette mise en scène serait plutôt le fruit de l’incompétence et du manque de sérieux qui prévalent dans le pays et au sein de la classe politique en particulier.
« Ce n’est pas la première fois qu’il y a cafouillage. En tant que diplomates, nous en observons tous les jours. En politique étrangère, nos responsables sont naïfs et inexpérimentés », déplore le diplomate. Dans cette optique, tout cet imbroglio serait en définitive le résultat soit d’un manque de coordination entre les différents responsables, soit du fait que les décideurs ont tout simplement opté pour la condamnation de l’invasion russe de l’Ukraine sans avoir mesuré l’ampleur et les conséquences d’un éventuel alignement sur l’Occident. Un ancien diplomate abonde dans le même sens, critiquant le fait que « le Liban conçoit sa politique étrangère comme s'il s'agissait de la politique intérieure : à chaque communauté sa politique étrangère », déplore-t-il.
Les Russes minimisent
Autant de faux pas dont la Russie – à la recherche pourtant du moindre appui pour légitimer son offensive en Ukraine – a toutefois cherché à atténuer l’impact. Son ambassadeur au Liban Alexandre Rodakov a affirmé dans une conférence de presse hier que la position officielle libanaise « n’influera pas beaucoup sur les relations bilatérales entre les deux pays », déplorant toutefois qu’elle « ne prend pas en compte les relations amicales qui les lient ». « C’est durant les moments difficiles que nous savons qui est avec nous et qui est contre nous », a-t-il toutefois lâché.
Vendredi, l’ambassade de Russie avait exprimé sa « surprise face au communiqué du ministère des Affaires étrangères » et estimé qu’il « enfreint la politique de distanciation et prend position dans le cadre de ces événements, bien que la Russie n’ait jamais épargné ses efforts pour contribuer au redressement et à la stabilité du Liban ».
Rendez nous notre pognon et arrêtez de nous distraire bande de malfrats! Vous nous occupez avec le hublot Ukraine pendant que le bateau Liban coule dans le marécage Orange.
23 h 07, le 28 février 2022