Suite à l’invasion de l’Ukraine jeudi à l’aube, le Liban officiel s’est prononcé le soir même en condamnant clairement l’offensive militaire russe dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères. Alors que des milliers de Libanais sont pris au piège en Ukraine ou cherchent à s’enfuir vers les pays voisins, une partie de leurs compatriotes vantent les actions du président russe Vladimir Poutine, un personnage qu’ils apprécient et qu’ils érigent au rang de modèle.
Vladimir Poutine a-t-il beaucoup d’adeptes au Liban ?
Poutine bénéficie d’une cote de popularité assez impressionnante au Liban pour une conjonction de raisons. Le premier ressort de cette « poutinophilie » est l’appétence pour les hommes forts, la virilité et le machisme, ce côté « antar » (macho) que les Libanais les plus rétrogrades aiment beaucoup. Il est perçu comme quelqu’un qui peut faire usage de la force, qui tient bon, reste droit dans ses bottes. Alors que les leaders occidentaux, comme Emmanuel Macron, Justin Trudeau ou Barack Obama, sont parfois perçus par certains Libanais un peu comme des « mauviettes ». Poutine incarne également un conservatisme à l’échelle internationale. Il y avait à l’époque l’internationale communiste, il y a aujourd’hui une internationale nationaliste autoritaire dont Poutine est le leader et qui compte des personnalités qui vont de Viktor Orban à Bachar el-Assad, Marine Le Pen ou bien encore Éric Zemmour…
Le second ressort est la question de l’affrontement culturel sur la question des mœurs, par exemple, du rôle des femmes, des minorités, de l’homosexualité… Poutine incarne ce conservatisme un peu réactionnaire qui a encore de nombreux adeptes au Liban, dans une société qui a encore du mal à accepter les valeurs libérales, démocratiques. Alexandre Douguine, un intellectuel d’extrême droite qu’on appelait le « Raspoutine de Poutine », a théorisé l’idée que les démocraties occidentales, la modernité libérale entraînaient le monde vers la décadence et qu’il fallait en réaction à cela un retour au machisme, à la virilité et à une réaffirmation de la puissance russe.
Les Libanais ont-ils un tropisme prorusse ou au contraire un antiaméricanisme ?
À côté du tropisme prorusse dans certains milieux orthodoxes, il y a chez beaucoup d’autres Libanais un ressentiment, compréhensible, contre la politique extérieure des États-Unis qui les amènent à défendre Poutine, même lorsque celui-ci se comporte de façon indéfendable et similaire à celle des États-Unis dans d’autres régions du monde. Ce ressentiment les conduit de façon pavlovienne à choisir l’autre camp, le camp antiaméricain. Parce que le viol du droit international dans l’agression de l’Ukraine est, à bien des égards, similaire au viol du droit international qu’avaient commis les États-Unis en envahissant l’Irak en 2003.
À l’époque, Poutine s’y était opposé, donc il y a une hypocrisie assez manifeste dans la position russe que parfois les fans libanais ne perçoivent pas ou sur laquelle ils ferment délibérément les yeux. Ce même Poutine qui défendait le principe de souveraineté en Libye, en Irak et ailleurs n’hésite pas à enfreindre actuellement en Ukraine tous les fondements de l’ordre international.
Cette « poutinomania » est-elle plus répandue chez les chrétiens de la région, et particulièrement chez les orthodoxes ?
En effet, il y a un très fort sentiment communautaire chez les chrétiens orthodoxes. Plus de la moitié des chrétiens de Syrie étant orthodoxes, les relations sont très fortes entre l’Église orthodoxe russe et l’Église orthodoxe syrienne depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir. Il y a une sorte d’alliance du trône et de l’autel en Russie, avec des relations très solides entre le patriarche Cyrille de Moscou et le président Poutine. Ce dernier avait même fait bénir par des hommes de religion les missiles envoyés en Syrie. Il n’hésite pas, de manière décomplexée, à jouer la carte identitaire, la carte du protecteur des chrétiens du Moyen-Orient, rôle que la France jouait au XIXe siècle et qu’elle ne peut plus jouer aujourd’hui, car c’est une république laïque qui ne va pas défendre une communauté à l’exclusivité des autres.
Poutine, lui, n’a aucun état d’âme à dire « On défend les minorités. » Il y a quelques années, un de ses conseillers avait même déclaré qu’en défendant Bachar el-Assad, ce « n’est pas Damas que l’on défend, mais Moscou ». Il y avait cette idée, chez bon nombre de Russes, qu’une chute du régime Assad conduirait à une montée de l’islamisme, non seulement au Proche-Orient, mais aussi dans les républiques musulmanes anciennement soviétiques, dans le Caucase et même en Russie où il y a 20 % de musulmans.
commentaires (16)
C'est un peu dommage que cet article fait un lien explicite vers la position "particulièrement des chretiens orthodoxes". La religion n'est pas souvent un choix libre de la personne, mais en general plutot quelque chose du milieu ou on est ne. Il faudrait regarder aussi la situation des autres chretiens, armeniens et libanais, de l'eglises maronite par exemple, si on commence a faire des liens entre Poutine et l'appartenance religieuse. En fait, il faudrait aussi regarder les autres religions comme les druzes, sunnites et chiites car c'est probable que tous ces gens partagent plus en valeurs culturels, n'importe leur religion.
Stes David
14 h 50, le 27 février 2022