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Politique - Interview express

Aux yeux de beaucoup de Libanais, Poutine incarne l’homme viril

Karim Bitar, politologue et directeur de l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

Aux yeux de beaucoup de Libanais, Poutine incarne l’homme viril

Vladimir Poutine en pleine partie de pêche en 2013. Alewey Druzhinin/RIA-Novosti/AFP

Suite à l’invasion de l’Ukraine jeudi à l’aube, le Liban officiel s’est prononcé le soir même en condamnant clairement l’offensive militaire russe dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères. Alors que des milliers de Libanais sont pris au piège en Ukraine ou cherchent à s’enfuir vers les pays voisins, une partie de leurs compatriotes vantent les actions du président russe Vladimir Poutine, un personnage qu’ils apprécient et qu’ils érigent au rang de modèle.

Vladimir Poutine. Photo d’archives AFP

Vladimir Poutine a-t-il beaucoup d’adeptes au Liban ?

Poutine bénéficie d’une cote de popularité assez impressionnante au Liban pour une conjonction de raisons. Le premier ressort de cette « poutinophilie » est l’appétence pour les hommes forts, la virilité et le machisme, ce côté « antar » (macho) que les Libanais les plus rétrogrades aiment beaucoup. Il est perçu comme quelqu’un qui peut faire usage de la force, qui tient bon, reste droit dans ses bottes. Alors que les leaders occidentaux, comme Emmanuel Macron, Justin Trudeau ou Barack Obama, sont parfois perçus par certains Libanais un peu comme des « mauviettes ». Poutine incarne également un conservatisme à l’échelle internationale. Il y avait à l’époque l’internationale communiste, il y a aujourd’hui une internationale nationaliste autoritaire dont Poutine est le leader et qui compte des personnalités qui vont de Viktor Orban à Bachar el-Assad, Marine Le Pen ou bien encore Éric Zemmour…

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Le second ressort est la question de l’affrontement culturel sur la question des mœurs, par exemple, du rôle des femmes, des minorités, de l’homosexualité… Poutine incarne ce conservatisme un peu réactionnaire qui a encore de nombreux adeptes au Liban, dans une société qui a encore du mal à accepter les valeurs libérales, démocratiques. Alexandre Douguine, un intellectuel d’extrême droite qu’on appelait le « Raspoutine de Poutine », a théorisé l’idée que les démocraties occidentales, la modernité libérale entraînaient le monde vers la décadence et qu’il fallait en réaction à cela un retour au machisme, à la virilité et à une réaffirmation de la puissance russe.

Les Libanais ont-ils un tropisme prorusse ou au contraire un antiaméricanisme ?

À côté du tropisme prorusse dans certains milieux orthodoxes, il y a chez beaucoup d’autres Libanais un ressentiment, compréhensible, contre la politique extérieure des États-Unis qui les amènent à défendre Poutine, même lorsque celui-ci se comporte de façon indéfendable et similaire à celle des États-Unis dans d’autres régions du monde. Ce ressentiment les conduit de façon pavlovienne à choisir l’autre camp, le camp antiaméricain. Parce que le viol du droit international dans l’agression de l’Ukraine est, à bien des égards, similaire au viol du droit international qu’avaient commis les États-Unis en envahissant l’Irak en 2003.

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À l’époque, Poutine s’y était opposé, donc il y a une hypocrisie assez manifeste dans la position russe que parfois les fans libanais ne perçoivent pas ou sur laquelle ils ferment délibérément les yeux. Ce même Poutine qui défendait le principe de souveraineté en Libye, en Irak et ailleurs n’hésite pas à enfreindre actuellement en Ukraine tous les fondements de l’ordre international.

Cette « poutinomania » est-elle plus répandue chez les chrétiens de la région, et particulièrement chez les orthodoxes ?

En effet, il y a un très fort sentiment communautaire chez les chrétiens orthodoxes. Plus de la moitié des chrétiens de Syrie étant orthodoxes, les relations sont très fortes entre l’Église orthodoxe russe et l’Église orthodoxe syrienne depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir. Il y a une sorte d’alliance du trône et de l’autel en Russie, avec des relations très solides entre le patriarche Cyrille de Moscou et le président Poutine. Ce dernier avait même fait bénir par des hommes de religion les missiles envoyés en Syrie. Il n’hésite pas, de manière décomplexée, à jouer la carte identitaire, la carte du protecteur des chrétiens du Moyen-Orient, rôle que la France jouait au XIXe siècle et qu’elle ne peut plus jouer aujourd’hui, car c’est une république laïque qui ne va pas défendre une communauté à l’exclusivité des autres.

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Poutine, lui, n’a aucun état d’âme à dire « On défend les minorités. » Il y a quelques années, un de ses conseillers avait même déclaré qu’en défendant Bachar el-Assad, ce « n’est pas Damas que l’on défend, mais Moscou ». Il y avait cette idée, chez bon nombre de Russes, qu’une chute du régime Assad conduirait à une montée de l’islamisme, non seulement au Proche-Orient, mais aussi dans les républiques musulmanes anciennement soviétiques, dans le Caucase et même en Russie où il y a 20 % de musulmans.

Suite à l’invasion de l’Ukraine jeudi à l’aube, le Liban officiel s’est prononcé le soir même en condamnant clairement l’offensive militaire russe dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères. Alors que des milliers de Libanais sont pris au piège en Ukraine ou cherchent à s’enfuir vers les pays voisins, une partie de leurs compatriotes vantent les...

commentaires (16)

C'est un peu dommage que cet article fait un lien explicite vers la position "particulièrement des chretiens orthodoxes". La religion n'est pas souvent un choix libre de la personne, mais en general plutot quelque chose du milieu ou on est ne. Il faudrait regarder aussi la situation des autres chretiens, armeniens et libanais, de l'eglises maronite par exemple, si on commence a faire des liens entre Poutine et l'appartenance religieuse. En fait, il faudrait aussi regarder les autres religions comme les druzes, sunnites et chiites car c'est probable que tous ces gens partagent plus en valeurs culturels, n'importe leur religion.

Stes David

14 h 50, le 27 février 2022

Tous les commentaires

Commentaires (16)

  • C'est un peu dommage que cet article fait un lien explicite vers la position "particulièrement des chretiens orthodoxes". La religion n'est pas souvent un choix libre de la personne, mais en general plutot quelque chose du milieu ou on est ne. Il faudrait regarder aussi la situation des autres chretiens, armeniens et libanais, de l'eglises maronite par exemple, si on commence a faire des liens entre Poutine et l'appartenance religieuse. En fait, il faudrait aussi regarder les autres religions comme les druzes, sunnites et chiites car c'est probable que tous ces gens partagent plus en valeurs culturels, n'importe leur religion.

    Stes David

    14 h 50, le 27 février 2022

  • Merci aux contributeur qui me remontent le moral après la lecture de cet article très inquiétant. Ma sympathie pour les libanais en avait pris un coup. En France aussi nous avons des "chrétiens" adeptes de Poutine, mais ils ouvrent les yeux. Ce dictateur sème partout le malheur ; par la négation, la haine, le sabotage. L'entreprise Wagner, milice de la pire espèce, en est l'illustration et l'incarnation.

    F. Oscar

    09 h 26, le 27 février 2022

  • L’article s’arrête sur un mot coupé !

    Emmanuel Aragon / ZAM

    07 h 59, le 27 février 2022

  • Poutine est jaloux de l’Ucraine et il avait peur qu’elle fasse parti de l’OTAN ainsi que de l’UE .

    Eleni Caridopoulou

    00 h 36, le 27 février 2022

  • Le bon goût des Libanais pour les dirigeants.... c'est vrai qu'au Liban les hommes politiques sont au top niveau mondial! La classe interplanétaire!!

    Sfeir walid

    00 h 22, le 27 février 2022

  • Il y a beaucoup de boulot encore pour faire évoluer les mentalités ! Bon courage........".

    Darwiche Jihad

    23 h 06, le 26 février 2022

  • Il y a encore beaucoup de travail a faire au Liban pour sortir la masse de l’ignorance et l’orienter vers une pensée libérale et non machiste ringarde! C’est a notre désavantage, nous piétinons sur place, la preuve est la, il suffit de voir l'état politique du pays…

    CW

    18 h 59, le 26 février 2022

  • Les Libanais ont Toujours célébré la « Chatara .. »cet atavisme érigé hélas en gloire nationale ..Qui consiste à triompher de l’autre a n’importe quel prix .. Experts en tout , sans jamais écouter ou s’intéresser à l’autre chacun deux en bon individualiste Détenteur de la vérité absolue Jaloux à en crever de toute réussite Qui n’est pas la sienne Poutine doit les faire rêver .. Heureusement pas tous ..

    Noha Baz

    15 h 58, le 26 février 2022

  • Au juste, il incarne l'homme violent.

    Esber

    15 h 20, le 26 février 2022

  • Pectoraux affichés ou en costume cravate, il reste un dangereux dictateur sans conscience...poussé par des rêves irréalisables au 21ème siècle ! - Irène Saïd

    Irene Said

    14 h 38, le 26 février 2022

  • On peut être d'accord ou pas avec l'analyse, mais il y a au moins un point qui, à mon avis, est indiscutable: la prégnance, dans la société libanaise, du culte de la masculinité (il suffit de penser à la célèbre formule "inchallah nifrahelkum min aris", et pas d'une "arous"!). Ce culte est une des clés qui, selon moi, doit être prise en compte, et ne l'est que rarement, dans l'analyse des conflits politiques au niveau de la classe dirigeante, toutes tendances confondues. Pour nos hommes politique, qui donnent ainsi le mauvais exemple, la politique est une affaire de "tiksir ras", qui ne souffre pas le compromis. Tant que nous aurons cette conception du débat politique, la politique restera au Liban la continuation de la guerre par d'autres moyens (pour paraphraser Clausewitz, le théoricien de la guerre)...

    otayek rene

    13 h 09, le 26 février 2022

  • Les propos sont mal choisis et le titre représente une généralisation arbitraire. Le contenu de l'article ne témoigne pas de la réalité puisqu'il n'est basé sur aucun résultat de recherche.

    Zerbé Zeina

    11 h 34, le 26 février 2022

  • Donnez un couteau ou un fusil mitrailleur à un gringalet de surcroît fou et lâchez le dans une ville désarmée, peuplée de gens censés et robustes et voyez le résultat. Il arrivera à faire des victimes en grand nombre mais il restera ce gringalet fou et lâche puisque ces victimes ont été pris au dépourvu et ne possédaient pas un moyen de se défendre. Poutine envahit un pays souverain avec la deuxième armée du monde en bombardant et en tuant des innocents tout en sachant qu’aucune force militaire équivalente à son armée ne viendrait s’opposer à lui. Il utilise tous les moyens en sa possession pour isoler ce pays en prenant le contrôle de son ciel et de ses frontières et sur son parcours il tue tous ceux qui se mettent en travers de son chemin y compris les civils en fuite pour agenouiller un pays et un peuple et certains trouvent son acte héroïque. Moi je trouve que c’est un acte de lâcheté innommable.

    Sissi zayyat

    11 h 11, le 26 février 2022

  • oui c'est ca ! les chretiens "libanais & syriens" l'on adopte parce qu'il defend la chretiennete au MO ! voyez vous ? il defend la chretiennete lui l'ancien KGB .. aussi naifs que ca ou aussi cons que ca ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 23, le 26 février 2022

  • Je viens d’en trouver un qui n’aime pas, mais alors pas du tout ce Hitler du 21ème siècle. Moi. Pas plus que Trump d’ailleurs - un autre facho de la même veine.

    El moughtareb

    02 h 00, le 26 février 2022

  • Encore des approximations. Surtout le viol du droit international, et l’invasion de l’Irak en 2003. Pour ne pas remonter au déluge, qu’on se rappelle l’invasion israélienne en 1982 et les méthodes d’un Ariel Sharon. Il devrait avoir bien de monde à le pleurer alors. Quand on parle des Libanais, on prend la peine de préciser lesquels. Je connais bien d’orthodoxes décomplexés mais qui n’ont aucune sympathie, aucune nostalgie des tsars, et qui n’approuvent pas l’invasion de l’Ukraine. Poutine est-il très populaire en Grèce orthodoxe jusqu’à remettre en cause son adhésion à l’Union européenne ? Et le cas chypriote ? Mais d’où vient alors le soutien à Poutine chez les Druzes, d’un zaïm druze qui vient de se rendre à Moscou, ou d’un autre druze moins influent pour qui son suzerain alaouite est maintenu en place, et dont la moitié de sa population de réfugiés, par la bonne volonté du président russe. Tout cela n’explique pas les mouvements d’humeur, chez les uns et les autres. Si des Libanais sont encore réticents à Macron, Obama ou Trudeau se déclarant réformateurs, c’est qu’ils veulent maintenir un statut quo du règne des chefs de guerre.

    Nabil

    01 h 12, le 26 février 2022

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