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Culture - Entretien

Abbas Beydoun : Cette vieillesse m’échappe, il faut l’attraper par les mots

« Un billet pour deux » (Actes Sud, 2021) est l’intitulé de l’anthologie qui rassemble quatre recueils – traduits en français par Nathalie Bontemps – du poète, écrivain (Grand Prix du roman arabe en 2007) et journaliste libanais, rédigés entre 2020 et 2019. C’est aussi le titre de l’un de ceux-ci, suivi de « Prière pour le début du dégel », « Métaphysique du renard » et « Le Deuil ne porte pas de couronne ». Le poète, natif de Tyr, qui signe également un nouveau recueil en arabe (voir par ailleurs) partage son expérience de l’écriture d’une voix musicale et fervente, soucieuse de lien et d’altérité.

Abbas Beydoun : Cette vieillesse m’échappe, il faut l’attraper par les mots

Abbas Beydoun : « Le monde est fait d’hommes et d’objets, et leur mélange est intéressant. » Photo DR

À quel moment avez-vous commencé à écrire de la poésie ?

Mon père était écrivain, et j’ai souhaité au départ écrire des textes en prose. Lorsque j’étais au lycée, la poésie m’est venue, et j’ai écrit mon premier poème, Ghadan Tabki (Pleure demain), mais il a disparu. Je crois que j’ai hésité longtemps entre les nouvelles et les poèmes, puis la poésie m’a envahi et a tranché pour moi.

C’est difficile de parler de mes poèmes, mais dans ce que me disent mes lecteurs et mes amis, j’entends que les poèmes de cette dernière anthologie traduite en français sont plus intimes que les précédents. Le recueil Un billet pour deux est consacré à la mémoire d’un ami, Bassam Hajjar. On a passé beaucoup de temps ensemble, il avait dix ans de moins que moi. Sa mort m’a bouleversé, le texte que j’ai écrit n’est pas une élégie, c’est un poème sur lui, qui ressemble à un roman. Je voulais raconter mon ami, j’ai rédigé ce recueil scène après scène, comme un texte narratif, sans m’en rendre compte. Pendant longtemps, j’ai cru que nous écrivions des textes proches, qui appartenaient à la même œuvre, mais en fait, je crois que Bassam écrivait sur son monde, qui englobait sa maison, les films qu’il regardait, les livres qu’il lisait et qu’il traduisait. En le lisant aujourd’hui, je vois qu’il avance de son côté, et je vais à sa rencontre ; c’était un grand poète.

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Comment percevez-vous « Un billet pour deux » par rapport à vos ouvrages précédents ?

Je crois que ce recueil est un des plus intéressants dans sa manière de mélanger prose et poésie. Le thème de la vieillesse y est fondamental : j’ai presque 76 ans, je suis vieux et cette vieillesse m’échappe : il faut l’attraper par les mots. Elle existe et n’existe pas à la fois, elle est tour à tour profonde et superficielle.

Dans mes poèmes, j’utilise beaucoup la première personne du pluriel, qui englobe tout le monde qui m’entoure. Il relie le personnel et le collectif, il représente à la fois moi-même et soi-même. C’est le moi et l’ailleurs, le poète et l’homme : l’homme est une personne, le poète est un monde.

Le corps est essentiel dans mes textes, pour moi tout est lié à lui. Il représente à la fois le matériel et l’esprit. D’ailleurs, mes poèmes sont souvent fondés sur des images concrètes : la matière m’intéresse beaucoup, elle a une dimension sentimentale et mène une vie extérieure et intérieure.

« Les livres, quand ils se ferment ou se touchent, parviennent à leur forme, ou bien la réalisent progressivement. » Cet extrait des « Boîtes du silence » n’est-il pas emblématique de l’importance que vous accordez aux objets dans vos textes ?

Le monde est fait d’hommes et d’objets, et leur mélange est intéressant. Dans ma jeunesse, j’ai lu Ponge, et son Parti pris des choses : je n’ai pas beaucoup aimé le texte mais j’ai apprécié sa vision, sa proposition de chanter les choses, de les rendre poétiques et sentimentales. J’aime rendre le spirituel visible et donner corps à l’âme, à l’esprit, aux sentiments...

En ce qui concerne ce long poème sur les livres, il correspond à leur importance dans ma vie, je suis né avec les bouquins, et j’en ai toujours été entouré. J’ai tout un roman avec eux et c’est ce que j’ai voulu raconter dans ce poème, où je me demande toujours s’ils lisent, s’ils pensent...

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Selon vous, y a-t-il une connexion entre poésie et religion ?

Je dirais que non, mais je viens d’une famille religieuse, et si mes textes font écho à la religion, c’est un effet de la mémoire, notamment celle de la langue. En arabe, on ne peut pas s’éloigner définitivement de la religion, car elle est incrustée dans la langue, et semble l’habiter même quand elle n’y est pas ! Je n’ai jamais été croyant, et ces résurgences ne sont pas conscientes.

Vous avez un poème qui s’appelle « Zouleikha et Marylin ». Pour vous, la poésie permet-elle de créer des liens ?

Je crois que la poésie est une tentative incertaine de trouver des liens, et c’est ce qu’on fait dans la vie, que l’on écrive ou non : on essaie de se connecter avec le monde, avec les gens, avec la vie même...

La poésie arabe est un art oral, c’est un travail sur la musicalité. Les sonorités sont des éléments organiques, même dans les poèmes en prose. Dans ma jeunesse, on lisait nos propres poèmes à voix haute, à l’université, et la poésie était un moyen de communiquer avec les autres. Avant le Covid, il restait encore des soirées poétiques organisées dans les maisons, mais aujourd’hui c’est terminé, les textes sont uniquement publiés, pourtant, j’aime beaucoup lire mes poèmes : ce sont des mots que l’on envoie aux autres.

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Depuis la pandémie, avez-vous beaucoup écrit ?

Au départ non, puis l’inspiration est revenue. Je crois comme Heidegger que la poésie nous vient d’en haut, elle vient à notre rencontre. J’ai rédigé tout un recueil autour du Covid, il a été publié en arabe en 2021 sous le titre Al-hayat taht el-sefer (La vie en dessous de zéro). Puis j’ai enchaîné sur une autobiographie poétique sous forme de textes courts.

Quel sont vos livres préférés ?

J’ai toujours beaucoup lu. Aujourd’hui je choisis Don Quichotte, Les Mille et Une Nuits, les poèmes d’Elliot et les élégies de Rilke.

La traductrice Nathalie Bontemps

Nathalie Bontemps, la traductrice de l’anthologie Un billet pour deux (Actes Sud, 2021) de Abbas Beydoun, avait déjà traduit ses poèmes en 2009, dans Les Portes de Beyrouth (Actes Sud). Après des études de littérature arabe, elle a travaillé sur différents auteurs libanais, comme Bassam Hajjar, Hassan Daoud ou Abbas Beydoun, dont elle perçoit l’évolution littéraire au fil du temps. « Dans la première anthologie que j’ai traduite, on pouvait parler de prose poétique, dans celle-ci, il s’agit de vers libres, marqués parfois par une certaine opacité. Pour les traductions précédentes, j’avais l’habitude de rencontrer l’auteur, qui me parlait des coulisses du texte, ce qui était très inspirant. Cette fois-ci, c’est ma familiarité avec l’univers poétique de l’auteur qui m’a aidée », explique la traductrice, qui insiste sur les récurrences thématiques dans les poèmes. « Les textes de Beydoun sont centrés sur la maladie, le corps mort incrusté dans le vivant, les organes, la souffrance de la mort, et les objets qui entourent les personnages. La traduction française tend à garder la dimension rythmée du texte original, par le jeu d’assonances par exemple », ajoute Nathalie Bontemps.

À quel moment avez-vous commencé à écrire de la poésie ? Mon père était écrivain, et j’ai souhaité au départ écrire des textes en prose. Lorsque j’étais au lycée, la poésie m’est venue, et j’ai écrit mon premier poème, Ghadan Tabki (Pleure demain), mais il a disparu. Je crois que j’ai hésité longtemps entre les nouvelles et les poèmes, puis la poésie m’a envahi et...

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