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Nos Lecteurs ont la Parole

Les états d’âme des Libanais de l’étranger

Parler de la diaspora libanaise nécessite de parler des Libanais de la première génération, celle qui maintient les liens les plus étroits avec le Liban au niveau familial, socio-économique et émotionnel. Au-delà de cette génération, les liens s’avachissent dans la majorité des cas et disparaissent dès la troisième génération sauf cas particuliers. Depuis 1975, on considère qu’il y a environ 1 million et demi qui ont quitté le Liban, un exode qui est toujours en cours : ce sont eux qui forment aujourd’hui cette première génération de la diaspora libanaise, qui reste majoritairement chrétienne.

Il est difficile d’être un Libanais de la diaspora première génération : ces Libanais font partie de la société libanaise mais ils ne sont plus dans cette société, parcourus par des sentiments d’attachement et de détachement. Selon une enquête de l’Université Saint-Joseph, environ 7 % rentrent de nouveau au pays, les retours depuis les pays arabes et depuis l’Afrique sont bien plus nombreux que ceux des autres régions du monde, l’accès à la nationalité étant extrêmement fermé dans les pays arabes à la différence de l’Amérique du Nord, de l’Australie, voire de l’Europe occidentale où l’obtention d’un second passeport est souvent un objectif explicite de l’émigration. La diaspora libanaise est multiple, organisée en réseaux confessionnels et familiaux mais aussi suivant des intérêts communs. En comparaison avec les conflits existant entre les organisations politiques de la diaspora palestinienne, les émigrés libanais manifestent une paix dans les rapports assez étonnante (Amir Abdulkarim, 1994). Ils affichent tous leur identité libanaise, y compris les musulmans, avec des nuances suivant la religion. Les sunnites ont une aisance affichée de parler du Liban que Bachir Gemayel défendait sauf sur la question de sa domination chrétienne (Sami Abi Khalil, 2007).

Bien évidemment, les divisions politiques au Liban se répercutent également à l’extérieur, mais avec une intensité moindre. Les Libanais se côtoient, fustigent tous la classe politique corrompue dont ils se disent les victimes. Cependant, quand les discussions deviennent plus profondes, les divisions traditionnelles refont surface. En quelque sorte, un savoir-vivre, nécessaire, se crée entre les Libanais à l’étranger. Ils continuent à apporter une aide financière ou envoie des médicaments par de multiples canaux. Ils vivent au rythme de l’évolution de la situation au Liban. Selon le FMI, sur la période 1990-2003, le Liban a reçu en moyenne plus de deux milliards de dollars par an. Ramené au pourcentage du PIB, le Liban se classerait au 3e rang mondial pour les remises des émigrés, avec un chiffre d’environ 25 % du PIB. Cet apport risque de diminuer fortement (c’est déjà le cas), dû non seulement à l’absence de confiance dans le système bancaire actuel mais également à la crise économique en Europe et aux États-Unis, fortement endettés par les aides massives apportées à leurs sociétés pour contrer les conséquences économiques désastreuses du Covid-19.

Malgré la douleur ressentie par ces Libanais en regardant leur pays d’origine plonger dans l’abîme, il n’y a que 244 442 inscrits aux élections législatives de 2022. Malgré les humiliations, les séparations, la pauvreté, la crise unique dans l’histoire du pays : seulement 16 % se décident à aller voter ! Cependant, ce chiffre peut, sans aucun doute, changer l’équilibre des forces au Parlement. À défaut d’une mobilisation maximale, sauront-ils voter utile et aider à amorcer un changement radical de la situation au Liban ?

Les divisions entre les Libanais de l’étranger sont les mêmes qu’au Liban (Thawra, FL, CPL…). Il est illusoire d’attendre une solution de l’extérieur qui ne sera qu’à l’encontre des intérêts de la nation. Les Libanais de l’émigration doivent assumer leurs choix et prouver leur maturité sociale et politique. Il est également illusoire de vouloir supprimer tous les partis politiques en les mettant au même niveau de responsabilité et faire table rase de tout. Cela manquera de réalisme et d’efficacité. Par ailleurs, il est décevant de constater que la société civile n’a pas su s’unir autour d’un projet commun, ni su trouver en son sein un leader charismatique capable de porter l’effort commun à une grande échelle nationale. Comment puis-je donc, en tant que citoyen émigré, donner confiance à ce mouvement, peu visible, peu audible, multiforme et divisé ? Ne serait-il pas plus efficace et plus réaliste de faire corps commun avec les partis politiques qui défendent également la souveraineté, l’indépendance et l’État de droit au Liban ? Comme les FL, les Kataëb, le PNL…

Prenons comme exemple les Forces libanaises qui seraient probablement le parti majoritaire chez les chrétiens : il est de l’avis commun que ce n’est pas un parti corrompu ni familial. Certains peuvent considérer que ce parti a fait des erreurs de jugement sur tel ou tel sujet, cependant est-ce une raison suffisante pour le considérer comme un parti du « système », incapable de comprendre le soulèvement des Libanais ? Ce parti n’était-il pas révolutionnaire avant l’heure, dès 1976, fustigeant le féodalisme, la corruption, le clientélisme… ? Il me semble impossible, voire dangereux, de vouloir isoler un parti dont la base populaire est large. L’essentiel, c’est d’unir les forces du changement dans un même combat, le moment est suffisamment grave pour ne pas manquer le rendez-vous avec l’histoire.

Un autre exemple est celui du PSP : la société druze, il est vrai, est celle qui est la plus féodale au Liban. Les Joumblatt ont une assise populaire très forte dans cette société. Si certains considèrent que ce leader et certains de son équipe sont corrompus, un État de droit uniquement peut les juger. Vouloir isoler ce parti aujourd’hui entraînera une tension sociale, voire une guerre civile. S’unir avec ce parti pour un même combat ne veut pas dire que celui qui est responsable de mal gérer l’argent public ne va pas être demain, quand l’État de droit sera construit, jugé par une justice « juste » et indépendante. Unir les forces de changement au Parlement afin d’entraîner la formation d’un gouvernement intègre et efficace, et élire un véritable homme d’État à la présidence de la République ouvrira la voie à la consécration d’un État de droit, réel et efficace, avec une justice indépendante qui jugera le moment venu les corrompus et les irresponsables. Viendra après le changement du système politique qui est inévitable. Utopique ? En tout cas hautement urgent et sans cela le Liban va à sa perte !

Les hommes politiques ne sont pas la patrie. Certains même peuvent nous faire perdre la patrie. L’essentiel, c’est de soutenir dans l’élection les vrais hommes d’État. Les émigrés ont un grand rôle à jouer autant que les Libanais de l’intérieur. Tout le monde sera responsable.

Euripide, auteur grec du Ve siècle av. J.-C., disait qu’« il n’existe de plus grande douleur au monde que la perte de sa terre natale ». Les Libanais doivent se rappeler que plusieurs nations et peuples ont disparu, définitivement, de l’histoire humaine. Il leur appartient de ne pas inclure leur pays avec ceux à venir du XXIe siècle.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Parler de la diaspora libanaise nécessite de parler des Libanais de la première génération, celle qui maintient les liens les plus étroits avec le Liban au niveau familial, socio-économique et émotionnel. Au-delà de cette génération, les liens s’avachissent dans la majorité des cas et disparaissent dès la troisième génération sauf cas particuliers. Depuis 1975, on considère...

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