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Nos Lecteurs ont la Parole - La principauté du Liechtenstein, le sultanat d’Oman

L’État libanais en comparaison internationale (I)

L’État libanais en comparaison internationale (I)

Forte de liens privilégiés avec Washington et Londres, Mascate entretient des relations diplomatiques étroites avec Téhéran tout en étant membre du Conseil de coopération du Golfe. Photo Mohammed Mahjoub/AFP

Alors que l’État libanais est prisonnier des partis féodaux qui le minent de l’intérieur et en sapent le crédit sur la scène internationale, il serait parfois bon de porter un regard curieux sur les pratiques ou idées qui ont cours dans d’autres pays. Une telle comparaison permettrait de juger les développements politiques dont est victime le Liban à l’aune d’un étalon autre que celui, médiocre, qui nous est servi dans notre pays.

À l’occasion d’une conférence donnée à l’université de Zurich (« Défis et opportunités des petits États », 10 novembre 2021), le prince héritier Alois de Liechtenstein, régent de la principauté depuis 2004, a exposé les fondements de la politique internationale adoptée par son pays. Ces principes, dont une part non négligeable a déjà servi le Liban par le passé, pourraient à nouveau y être mis en application à l’avenir.

Les faiblesses diplomatiques et la manière d’y pallier

Aux dires du prince Alois, les trois principales faiblesses des petits États sont leur manque de pouvoir sur la scène internationale, la répartition des coûts de fonctionnement de l’État sur un nombre moins élevé de citoyens et la petitesse de leur marché national.

La petite taille de leurs marchés nationaux rend ces États dépendant de l’accès qu’ils se forgent aux marchés internationaux. Cette nécessité, de même que l’absence de pouvoir sur la scène internationale, confèrent à leur diplomatie une importance de premier plan. Les petits États ne peuvent ainsi garantir leur sécurité géopolitique et leur prospérité commerciale qu’en menant une diplomatie prudente et équilibrée ; cette dernière doit notamment être basée sur la coopération avec d’autres États ainsi que sur la préservation du multilatéralisme. A contrario, le nationalisme est un danger pour les petits États, qui doivent combiner de manière proportionnée la souveraineté nécessaire à leur crédibilité et la dépendance utile à leur survie.

La diplomatie libanaise s’est délitée en même temps que s’effondrait l’État libanais, et a été un moment le fait des partis politiques, qui tiraient chacun à hue et à dia au gré des événements. Elle est aujourd’hui l’apanage du plus puissant d’entre eux, le Hezbollah, qui mène une diplomatie « de rupture », aux antipodes d’une diplomatie prudente et équilibrée. Loin d’ouvrir aux entreprises libanaises l’accès à des marchés internationaux, cette diplomatie s’efforce de faire du Liban un lieu de confrontation des différents blocs régionaux et mondiaux, en rattachant le Liban – avec le plus d’ostentations et de discours belligènes possibles – à l’axe de la moumânaa (résistance, rétivité).

En guise de compensation pour les retombées négatives de cette politique, il a été avancé que le Liban pourrait « se tourner vers l’Est », soit s’allier étroitement à la Syrie, l’Iran, la Russie, la Chine (voire, selon une proposition risible qui a été énoncée il y a quelques années de cela, à Cuba et à la Corée du Nord). Alors qu’il est évidemment nécessaire que le Liban maintienne et développe ses liens avec les premiers, le côté spécieux de cette politique repose sur le fait que la conclusion de telles alliances présuppose un anéantissement de toutes les autres relations diplomatiques qu’entretenait le Liban depuis sa fondation. La politique diplomatique suivie n’a donc pour seule conséquence que de renforcer les faiblesses intrinsèques au Liban en tant que petit État, et de raffermir l’emprise des partis politiques sur la diplomatie. L’utilisation avantageuse des points forts qu’apporte la petite taille du Liban en est rendue impossible.

Les avantages des petits États

Les petits États jouissent en effet de certains avantages dans le concert diplomatique des nations. Ces avantages doivent cependant être mis à profit par un corps diplomatique et un personnel politique capables et indépendants des factions extérieures.

Selon le prince Alois de Liechtenstein, les petits États ont souvent des intérêts communs et exercent parfois, en raison de leur nombre, un pouvoir disproportionné dans les instances internationales. Surtout, la reconnaissance internationale peut être obtenue par un positionnement prudent : la petite taille d’un État renforce la confiance que peuvent y placer les grandes puissances. Les petits États peuvent par la suite acquérir un rôle de médiateur, au lieu de subir leur condition d’« États-tampons ». Enfin, le manque de ressources de l’État est compensé par le Liechtenstein à travers une limitation de l’activité diplomatique de l’État aux tâches diplomatiques essentielles, ce qui implique le renoncement à l’adhésion aux organisations non stratégiques, ou le partage des représentations à l’étranger avec d’autres États voisins.

La situation libanaise, coincé entre deux États aux comportements peu amènes, au cœur d’un Proche-Orient en tension permanente, n’est certes pas toujours comparable avec celle du Liechtenstein. Le Liban a en revanche beaucoup à apprendre du sultanat d’Oman, dont la situation géographique, là où les deux puissances iranienne et saoudite se font face, augure du pire : le sultanat a toutefois réussi à garder la confiance de chacun de ses voisins. Forte de liens privilégiés avec Washington et Londres, Mascate entretient des relations diplomatiques étroites avec Téhéran – basées notamment sur la gestion commune du détroit d’Ormuz qui les sépare – tout en étant membre du Conseil de coopération du Golfe.

Le sultanat a su maintenir une politique de bon voisinage détachée des conflits idéologiques et endosser le rôle de médiateur lors de nombreux conflits. Oman a ainsi proposé ses bons offices entre le Pakistan et l’Inde en 1985, lors de la guerre Iran-Irak (au cours de laquelle Oman demeure neutre, puis accueille des négociations en 1988), pour la réunification du Yémen dans les années 1990, et enfin, entre l’Iran et les États-Unis en 2013, lors de réunions qui ont pavé la voie à l’accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien. Surtout, le sultanat joue ce rôle de manière discrète et tolérante, sans se laisser entraîner dans des conflits régionaux.

L’État libanais, quant à lui, jouissait d’une bonne réputation jusqu’au déclenchement de la guerre civile, en 1975. Cette réputation a ensuite été ternie par l’accumulation des déboires internes et externes qu’a connus la République depuis les années 1990. Au lieu de tirer profit de cette considération dont il bénéficiait, le Liban a souffert de l’implication des puissances locales au sein de sa politique nationale par le truchement des partis qui ont phagocyté l’État. Cette implication a supprimé l’indépendance d’action de la diplomatie libanaise et a ainsi achevé de la décrédibiliser.

L’écart qui sépare la diplomatie de la principauté du Liechtenstein ou du sultanat d’Oman de celle de la République libanaise nous renseigne sur l’ampleur des efforts à fournir pour que Beyrouth puisse retrouver sa crédibilité. Cette différence nous éclaire également sur les défis à relever sur le plan intérieur.

Sur le plan intérieur

Selon le prince Alois, les petits États doivent tirer profit de leur grande faculté d’adaptation afin de bâtir une administration efficace et coordonnée. Surtout, la petite taille peut permettre d’accéder à un niveau de démocratie plus élevé, en raison de la proximité d’avec les citoyens. La confiance est donc souvent plus élevée au sein des petits États, qui peuvent mettre en œuvre des solutions politiques pragmatiques et humaines. Ces facteurs sont renforcés, au Liechtenstein, par la monarchie et par la démocratie directe.

Il est de plus intéressant de noter que la taille de l’État peut favoriser la révélation des conflits d’intérêt et limiter la place occupée par le lobbying et les pressions des groupes d’intérêts – ce qui conduit à plus d’indépendance.

La petite taille du Liban est loin d’entraîner une proximité de l’État et des partis, d’une part, et des citoyens, d’autre part. La culture politique, sous des oripeaux démocratiques – sans manquer néanmoins d’être parfois véritablement démocratique – y repose sur l’institution féodale de la « zaâma » (chefferie politico-communautaire) et sur le clientélisme. Les partis politiques, eux-mêmes communautaires, segmentent la population de manière verticale, en s’efforçant de créer des scènes politiques propres à chaque communauté sur lesquelles l’empiètement serait interdit ; un ou deux « zaïm » (leader) règnent ainsi seuls sur chaque communauté. Les partis traitent avec la population de manière unilatéralement utilitaire en s’adressant à une clientèle électorale et partisane: le pouvoir est donc principalement un instrument de distribution de prébendes qui servent à maintenir l’influence de chaque « zaïm ».

Ces deux facteurs – le féodalisme politique et le clientélisme – contribuent à l’affaiblissement de l’État, et à son remplacement par les partis politiques ou par des organismes privés. Ceci interdit le développement entre l’État et les citoyens de rapports basés sur une identification factuelle des maux dont souffre le pays, et sur l’élaboration commune de programmes réalistes.

Enfin, le prince Alois avance que de tels résultats ne peuvent être obtenus qu’à la condition que le pays se dote d’un système éducatif de qualité. Ce dernier conditionne en effet le degré de réussite de l’ouverture du pays à l’international, ainsi que la préservation de son particularisme national autrement que par le biais du nationalisme. Un bon système éducatif est également une condition – nécessaire mais non suffisante – préalable à un système démocratique participatif dans lequel se reconnaissent les citoyens. La préservation du niveau du système scolaire et universitaire libanais n’en devient donc que plus essentielle.

La condition de « petit État », loin d’être une fatalité, apporte d’inestimables avantages. Il revient donc aux Libanais de prendre exemple sur de nombreux petits États qui comptent parmi les plus accomplis au monde sur différents plans – à titre d’exemples : le Liechtenstein, la Suisse, Oman, Singapour, l’Islande, le Costa Rica. Sur le plan diplomatique, le Liban ne ferait que réintégrer un rôle en accord avec sa dimension et sa raison d’être initiales.

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Alors que l’État libanais est prisonnier des partis féodaux qui le minent de l’intérieur et en sapent le crédit sur la scène internationale, il serait parfois bon de porter un regard curieux sur les pratiques ou idées qui ont cours dans d’autres pays. Une telle comparaison permettrait de juger les développements politiques dont est victime le Liban à l’aune d’un étalon autre...

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