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Nos Lecteurs ont la Parole

L’étincelle de Noël

Décembre. Dans l’une des rues de la vie règne un froid glacial. Un cœur frissonne. Errant, portant sa plaie douloureuse, une femme ressent atrocement l’absence du soleil, de son soleil. Que faire pour combler ce manque ? Écrire, rêver ou somnoler ? Écrasée par une existence trop lourde pour elle, tremblant de froid et de faim, elle traîne ses pas langoureux, d’un trottoir à l’autre, essayant de percer une ombre de son existence.

Prenant la folle décision de plonger la main dans les veines de son cœur frissonnant où elle avait enfoui un paquet d’étincelles amoureuses, elle en retire une et l’allume. Émerveillée par la flamme qui en jaillit et l’illumine tout entière, elle ne tarde pas à craquer, une à une, les étincelles restantes dont le rayonnement lui fait oublier pour un instant fugitif toutes ses douleurs…

D’une part, sa vie passée sombre dans l’obscurité la plus totale ; d’autre part, sa misère est annihilée par la lueur de quelques étincelles qui jaillissent d’un univers passionné. Un ciel étoilé, parsemé de perles, se fait entrevoir à travers un éclair. De délicieux effluves de passion lui parviennent du gîte amoureux. Des flocons de souvenirs atterrissent sur sa chevelure que des mains aimées caressent à présent. Des restes brûlés de sa vie morte lui font oublier les menottes transies des exigences de son labeur.

Les étincelles s’éteignent l’une après l’autre… Reste la dernière !

Son ciel en lambeaux si bas et si lourd, chargé de brouillard intense, tel un linceul glacial et piquant qui a déjà crevé, se vide et s’évide sur le sol de son existence, en gouttelettes de fièvre inimaginable. Plus grave encore que la fièvre du corps est celle de l’âme ; c’est un oiseau rapace qui dévore ses sentiments, becquette sa sensibilité, c’est le vent du Nord revêche qui s’acharne inlassablement sur son toit. Les ruisseaux déserts débordent à travers un grondement sonore et sa vie, pareille à une éponge, sue et s’imbibe paradoxalement de son humidité…

Qui abritera son cœur du désespoir, de la bourrasque gémissante qui bat les vitres de sa sensibilité ? Le déluge ne s’apaise habituellement que lorsque les nuages se trouvent fendus par un don exceptionnel. Et voici que, grâce à la dernière étincelle, ce don si généreux atténue la violence de l’averse, et ce n’est bientôt qu’une légère brume. Les saules pleureurs qui bordent le sentier où gît son cœur se dessinent gravement sur l’écran pour disparaître subitement. Dans les plis étroits de sa destinée, le brouillard devenu bien léger, fantôme vaporeux, baigne ses jambes, sa tête, atteint ses lèvres ; lèvres gercées par le froid, tapies sous les rayons éteints d’un pays humide et confus…

Incapable de résister aux flots ravageurs qui constituaient des bandes d’écume et venaient rouler, s’enrouler et se dérouler sur les galets, sa barque tend au soleil sa face détruite par la houle et repose, pour quelques instants éternels, sur la côte des paroles caressantes qui ressuscitent dans sa mémoire. Une grâce indicible la mène vers un chemin de sable chaud où une connivence avec la première vague originelle de la mer bleue l’attend. Les yeux assombris de la nature scrutent son âme meurtrie qui rêve de la saveur des feuilles vertes… Une gorgée d’air frais pénètre jusqu’au fond de son être ; imaginaire mais câline, elle se fait exister, elle s’impose. Une présence indescriptible, saugrenue, divine… Un instant où rien ne subsiste, la rend à elle-même, la recrée…. Tendres paroles qui la soulèvent doucement et précautionneusement à travers un souffle frais, si doux qu’il longe son corps et épouse ses soupirs les plus langoureux pour les ensevelir sous terre.

Là-haut, la chaleur, la lumière, l’amour, une mare de lumière se répand sur le sol des minutes ténébreuses, une surface moirée somnole sous les étoiles naissantes, la vie, quoi… et la femme toute émue ici-bas, tenant en main un petit bout de la dernière étincelle qu’elle avait allumée et qui agonisait déjà…

Une lueur se projette sur le misérable mur derrière elle et devient transparente. Mille bougies, mille couleurs chatoyantes, un paquet de merveilles semblent émerger de son âme afin de réaliser son ascension spirituelle. Des larmes qui se transforment en astres se détachent, parviennent au cœur convoité puis redescendent vers elle, laissant au fond du ciel une traînée de feu. En un instant, la femme tend sa main toute raidie et la trouve vide, vide, vide… Plus d’images… La dernière vision s’évanouit sur le pavé qui lui glace les pieds meurtris. Enveloppés d’or et d’argent, des baisers tout chauds, entassés au sein d’une étoile filante, scintillent merveilleusement et tuent ses minutes rabrouées qui se réfugient sous la palissade de la passion. Son corps se transforme en rosier : des pétales de rose voient le jour sur sa peau féminine sujette à de douces caresses. Et d’un coup, l’étincelle meurt, l’étoile disparaît furtivement, traçant au-dessus de sa tête une longue raie lumineuse.

Un laps de temps indéfini… Je pris la photo dans mes mains, photo de laquelle avait surgi cette femme inconnue qui était née sous mes doigts et avait manipulé les étincelles grâce à mon imagination…

En accrochant la photo sur le sapin de Noël, je fus attirée par le visage de la femme gisant sur le trottoir, un bout d’étincelle éteinte tenu fermement à la main comme un dernier brin d’espoir. Entrouvrant ses yeux, elle remua ses lèvres et me chuchota avec le plus délicieux sourire : « J’étais une image insipide, inachevée ; les souvenirs qui ont rejailli sous la chaleur de tes étincelles m’ont conféré les couleurs de la véritable vie… Joyeux Noël ! »

Émilie CHAMMAS FIANI

PhD

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Décembre. Dans l’une des rues de la vie règne un froid glacial. Un cœur frissonne. Errant, portant sa plaie douloureuse, une femme ressent atrocement l’absence du soleil, de son soleil. Que faire pour combler ce manque ? Écrire, rêver ou somnoler ? Écrasée par une existence trop lourde pour elle, tremblant de froid et de faim, elle traîne ses pas langoureux, d’un trottoir à...
commentaires (1)

C'est très beau Emilie Chamas Fiani ; Il faut toujours garder un espoir pour demain, la vie vaut tellement la peine d'être vécue. Joyeuses fêtes à tous les Libanais. Que 2022 soit l'année de la renaissance du Liban.???

Solange Le Beux

14 h 19, le 27 décembre 2021

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Commentaires (1)

  • C'est très beau Emilie Chamas Fiani ; Il faut toujours garder un espoir pour demain, la vie vaut tellement la peine d'être vécue. Joyeuses fêtes à tous les Libanais. Que 2022 soit l'année de la renaissance du Liban.???

    Solange Le Beux

    14 h 19, le 27 décembre 2021

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