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Et de plus, ils s’en foot !

Officiellement, c’est pour le coup d’envoi, hier, de la Coupe arabe de football que le président Michel Aoun vient de séjourner brièvement au Qatar.


Pour nous Libanais pourtant, ce sport qui passionne le monde ne ravive pas toujours des souvenirs heureux. Depuis des décennies en effet, notre pays n’est rien d’autre qu’un stade de foot pour les puissants joueurs du Proche et du Moyen-Orient. Pire, c’est le Liban lui-même qui, sur ses propres terres, a servi de ballon à la foule de protagonistes; durant la guerre de quinze ans, on aura même vu des volontaires venus de Somalie, de Mauritanie, ou de contrées plus lointaines encore, se mettre de la partie.


C’est dire que pour nombre d’entre nous, la Coupe est pleine. Et même plus que pleine, quand ce sont les dirigeants libanais qui s’acharnent avec le plus de criminelle ardeur sur la pitoyable pelote de cuir. Qui affament le peuple après l’avoir dépossédé. Qui mettent le pays à terre avec bien plus d’efficacité que tous les obus et les chenilles de tanks qui ont cuit et recuit son sol. Qui, à coups d’hérésies constitutionnelles, massacrent de leurs chaussures à crampons le fragile gazon d’un système démocratique désormais méconnaissable et élèvent la triche au rang de méthode de gouvernement.


S’en aller regarder, du haut des premières loges, les matches de Doha n’était pas exactement ainsi une de ces feintes où excellent les monstres sacrés du foot. C’était quasiment là un hors-jeu, une très visible tentative d’emprunter le providentiel raccourci de Qatar, seul État du Golfe à frayer encore avec le Liban officiel, dans le puéril espoir de se faufiler plus loin : de se regagner les faveurs de l’Arabie saoudite qui nous accable de sanctions pour cause de complaisance abusive envers le Hezbollah et son patron iranien.


Pour le chef de l’État cependant, ce voyage était aussi l’occasion d’ajouter aux soucis qui assaillent en ce moment les Libanais les affres de la devinette, posée à l’échelle nationale. À un an de l’expiration de son mandat qui a vu l’effondrement du Liban, Michel Aoun songe-t-il sérieusement à rempiler ou non ? Dans une salve d’interviews où étaient dits la chose et son contraire, l’homme n’a cessé d’entretenir l’équivoque, jouant avec l’idée comme l’on fait de cet irrésistible bonbon dont raffolent les présidents en place, et qu’on se plaît à sucer et resucer en le passant d’une joue à l’autre. De la poignée de petits cailloux qui ont jalonné les déclarations présidentielles, on retiendra toutefois le plus révélateur, et qui n’est guère le plus rassurant : le président se laissera faire une douce violence, et demeurera donc à son poste, si c’est le Parlement qui lui en fait la prière.


Voilà qui vient jeter un énorme point d’interrogation sur la tenue des élections législatives programmées pour le printemps prochain, et dont on escompte l’émergence d’une majorité nouvelle, sensiblement différente, en tout cas moins encline à satisfaire d’aussi effarantes ambitions. Ou de cautionner, à défaut, une passe savante où l’on verrait Aoun refiler finalement le ballon à son gendre et dauphin qui, bien qu’en grave déficit de popularité, n’a renoncé en rien à ses prétentions présidentielles, ni d’ailleurs à son incroyable culot. L’homme à qui l’on doit l’énorme gouffre financier du secteur de l’Électricité n’hésitait pas, le week-end dernier, à voir dans le gouverneur de la Banque centrale le principal, sinon le seul, responsable de la crise ; il ne craignait pas de mettre en relief les poursuites judiciaires engagées contre Riad Salamé, alors qu’il est lui-même l’objet d’infamantes sanctions américaines édictées pour cause de corruption.


La famille, le clan, la clientèle : c’est à l’entretien de cette trinité pas très sainte que se réduit l’exercice de la politique au Liban, sans aucun égard pour les populations souffrantes. Ce que la Coupe arabe de football peut très bien apporter, en définitive, aux Libanais, c’est de leur donner de furieux fourmillements à la cheville : comme une irrésistible envie d’y aller d’un magistral shoot dans le tas.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Officiellement, c’est pour le coup d’envoi, hier, de la Coupe arabe de football que le président Michel Aoun vient de séjourner brièvement au Qatar. Pour nous Libanais pourtant, ce sport qui passionne le monde ne ravive pas toujours des souvenirs heureux. Depuis des décennies en effet, notre pays n’est rien d’autre qu’un stade de foot pour les puissants joueurs du Proche et du...